Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
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Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

Автор: Marcel Proust

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066373511

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СКАЧАТЬ son maître d’hôtel m’aurait fait plaisir en me demandant de lui donner ma montre, mon épingle de cravate, mes bottines et de signer un acte qui le reconnaissait pour mon héritier: selon la belle expression populaire dont, comme pour les plus célèbres épopées, on ne connaît pas l’auteur, mais qui comme elles et contrairement à la théorie de Wolf en a eu certainement un (un de ces esprits inventifs et modestes ainsi qu’il s’en rencontre chaque année, lesquels font des trouvailles telles que «mettre un nom sur une figure»; mais leur nom à eux, ils ne le font pas connaître), je ne savais plus ce que je faisais. Tout au plus m’étonnais-je quand la visite se prolongeait, à quel néant de réalisation, à quelle absence de conclusion heureuse, conduisaient ces heures vécues dans la demeure enchantée. Mais ma déception ne tenait ni à l’insuffisance des chefs-d’oeuvre montrés, ni à l’impossibilité d’arrêter sur eux un regard distrait. Car ce n’était pas la beauté intrinsèque des choses qui me rendait miraculeux d’être dans le cabinet de Swann, c’était l’adhérence à ces choses – qui eussent pu être les plus laides du monde – du sentiment particulier, triste et voluptueux que j’y localisais depuis tant d’années et qui l’imprégnait encore; de même la multitude des miroirs, des brosses d’argent, des autels à saint Antoine de Padoue sculptés et peints par les plus grands artistes, ses amis, n’étaient pour rien dans le sentiment de mon indignité et de sa bienveillance royale qui m’était inspiré quand Mme Swann me recevait un moment dans sa chambre où trois belles et imposantes créatures, sa première, sa deuxième et sa troisième femme de chambre préparaient en souriant des toilettes merveilleuses, et vers laquelle, sur l’ordre proféré par le valet de pied en culotte courte que Madame désirait me dire un mot, je me dirigeais par le sentier sinueux d’un couloir tout embaumé à distance des essences précieuses qui exhalaient sans cesse du cabinet de toilette leurs effluves odoriférants.

      Quand Mme Swann était retournée auprès de ses visites, nous l’entendions encore parler et rire, car même devant deux personnes et comme si elle avait eu à tenir tête à tous les «camarades», elle élevait la voix, lançait les mots, comme elle avait si souvent, dans le petit clan, entendu faire à la «patronne», dans les moments où celle-ci «dirigeait la conversation». Les expressions que nous avons récemment empruntées aux autres étant celles, au moins pendant un temps, dont nous aimons le plus à nous servir, Mme Swann choisissait tantôt celles qu’elle avait apprises de gens distingués que son mari n’avait pu éviter de lui faire connaître (c’est d’eux qu’elle tenait le maniérisme qui consiste à supprimer l’article ou le pronom démonstratif devant un adjectif qualifiant une personne), tantôt de plus vulgaires (par exemple: «C’est un rien!» mot favori d’une de ses amies) et cherchait à les placer dans toutes les histoires que, selon une habitude prise dans le «petit clan», elle aimait à raconter. Elle disait volontiers ensuite: «J’aime beaucoup cette histoire», «ah! avouez, c’est une bien belle histoire!»; ce qui lui venait, par son mari, des Guermantes qu’elle ne connaissait pas.

      Mme Swann avait quitté la salle à manger, mais son mari qui venait de rentrer faisait à son tour une apparition auprès de nous. – Sais-tu si ta mère est seule, Gilberte? – Non, elle a encore du monde, papa. – Comment, encore? à sept heures! C’est effrayant. La pauvre femme doit être brisée. C’est odieux. (À la maison j’avais toujours entendu, dans odieux, prononcer l’o long – audieux – mais M. et Mme Swann disaient odieux, en faisant l’o bref.) Pensez, depuis deux heures de l’après-midi! reprenait-il en se tournant vers moi. Et Camille me disait qu’entre quatre et cinq heures, il est bien venu douze personnes. Qu’est-ce que je dis douze, je crois qu’il m’a dit quatorze. Non, douze; enfin je ne sais plus. Quand je suis rentré je ne songeais pas que c’était son jour, et en voyant toutes ces voitures devant la porte, je croyais qu’il y avait un mariage dans la maison. Et depuis un moment que je suis dans ma bibliothèque les coups de sonnette n’ont pas arrêté; ma parole d’honneur, j’en ai mal à la tête. Et il y a encore beaucoup de monde près d’elle? – Non, deux visites seulement. – Sais-tu qui? – Mme Cottard et Mme Bontemps. – Ah! la femme du chef de cabinet du ministre des Travaux publics. – J’sais que son mari est employé dans un ministère, mais j’sais pas au juste comme quoi, disait Gilberte en faisant l’enfant.

      – Comment, petite sotte, tu parles comme si tu avais deux ans. Qu’est-ce que tu dis: employé dans un ministère? Il est tout simplement chef de cabinet, chef de toute la boutique, et encore, où ai-je la tête, ma parole, je suis aussi distrait que toi, il n’est pas chef de cabinet, il est directeur du cabinet.

      – J’sais pas, moi; alors c’est beaucoup d’être le directeur du cabinet? répondait Gilberte qui ne perdait jamais une occasion de manifester de l’indifférence pour tout ce qui donnait de la vanité à ses parents (elle pouvait d’ailleurs penser qu’elle ne faisait qu’ajouter à une relation aussi éclatante, en n’ayant pas l’air d’y attacher trop d’importance).

      – Comment, si c’est beaucoup! s’écriait Swann qui préférait à cette modestie qui eût pu me laisser dans le doute un langage plus explicite. Mais c’est simplement le premier après le ministre! C’est même plus que le ministre, car c’est lui qui fait tout. Il paraît du reste que c’est une capacité, un homme de premier ordre, un individu tout à fait distingué. Il est officier de la Légion d’honneur. C’est un homme délicieux, même fort joli garçon.

      Sa femme d’ailleurs l’avait épousé envers et contre tous parce que c’était un «être de charme». Il avait, ce qui peut suffire à constituer un ensemble rare et délicat, une barbe blonde et soyeuse, de jolis traits, une voix nasale, l’haleine forte et un oeil de verre.

      – Je vous dirai, ajoutait-il en s’adressant à moi, que je m’amuse beaucoup de voir ces gens-là dans le gouvernement actuel, parce que ce sont les Bontemps, de la maison Bontemps-Chenut, le type de la bourgeoisie réactionnaire, cléricale, à idées étroites. Votre pauvre grand-père a bien connu, au moins de réputation et de vue, le vieux père Chenut qui ne donnait qu’un sou de pourboire aux cochers bien qu’il fût riche pour l’époque, et le baron Bréau-Chenut. Toute la fortune a sombré dans le krach de l’Union Générale, vous êtes trop jeune pour avoir connu ça, et dame on s’est refait comme on a pu.

      – C’est l’oncle d’une petite qui venait à mon cours, dans une classe bien au-dessous de moi, la fameuse «Albertine». Elle sera sûrement très «fast» mais en attendant elle a une drôle de touche.

      – Elle est étonnante ma fille, elle connaît tout le monde.

      – Je ne la connais pas. Je la voyais seulement passer, on criait Albertine par-ci, Albertine par-là. Mais je connais Mme Bontemps, et elle ne me plaît pas non plus.

      – Tu as le plus grand tort, elle est charmante, jolie, intelligente. Elle est même spirituelle. Je vais aller lui dire bonjour, lui demander si son mari croit que nous allons avoir la guerre, et si on peut compter sur le roi Théodose. Il doit savoir cela, n’est-ce pas, lui qui est dans le secret des dieux?

      Ce n’est pas ainsi que Swann parlait autrefois; mais qui n’a vu des princesses royales fort simples, si dix ans plus tard elles se sont fait enlever par un valet de chambre, et qu’elles cherchent à revoir du monde et sentent qu’on ne vient pas volontiers chez elles, prendre spontanément le langage des vieilles raseuses, et quand on cite une duchesse à la mode, ne les a entendues dire: «Elle était hier chez moi», et: «Je vis très à l’écart»? Aussi est-il inutile d’observer les moeurs, puisqu’on peut les déduire des lois psychologiques.

      Les Swann participaient à ce travers des gens chez qui peu de monde va; la visite, l’invitation, une simple parole aimable de personnes un peu marquantes étaient pour eux un événement auquel ils souhaitaient de donner de la publicité. Si la mauvaise chance voulait que les Verdurin fussent à Londres quand Odette avait eu un dîner un peu brillant, on s’arrangeait pour que par quelque ami commun la nouvelle СКАЧАТЬ