Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi
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Читать онлайн книгу Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi страница 43

Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï

Автор: León Tolstoi

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066446673

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      — C’est absurde! J’ai honte pour vous! Quels sont vos secrets, je vous prie?

      — Chacun a les siens, et nous te laissons en repos, toi et Berg, reprit Natacha en s’échauffant.

      — Il est facile de me laisser tranquille, puisque je ne fais rien de blâmable. Mais, quant à toi, je dirai à maman comment tu te conduis avec Boris.

      — Natalie Ilinischna se conduit très bien avec moi, je n’ai pas à m’en plaindre.

      — Finissez, Boris; vous êtes un vrai diplomate!»

      Ce mot «diplomate», très usité parmi ces enfants, avait dans leur argot une signification toute particulière.

      «C’est insupportable, dit Natacha, irritée et blessée. Pourquoi s’accroche-t-elle à moi? Tu ne nous comprendras jamais, car tu n’as jamais aimé personne; tu n’as pas de cœur, tu es MmedeGenlis, et voilà tout (ce sobriquet, inventé par Nicolas, passait pour fort injurieux); ton seul plaisir est de causer de l’ennui aux autres: tu n’as qu’à faire la coquette avec Berg tant que tu voudras.

      — Ce qui est certain, c’est que je ne cours pas après un jeune homme devant le monde, et…

      — Très bien, s’écria Nicolas, tu as atteint ton but, tu nous as dérangés pour nous dire à tous des sottises; allons-nous-en, sauvons-nous dans la chambre d’étude!…»

      Aussitôt tous les quatre se levèrent et disparurent comme une nichée d’oiseaux effarouchés.

      «C’est à moi au contraire que vous en avez dit,» s’écria Véra, tandis que les quatre voix répétaient gaiement en chœur derrière la porte:

      «MmedeGenlis! MmedeGenlis!»

      Sans se préoccuper de ce sobriquet, Véra s’approcha de la glace pour arranger son écharpe et sa coiffure, et la vue de son beau visage lui rendit son impassibilité habituelle.

      Dans le salon, la conversation était des plus intimes entre les deux amies.

      «Ah! Chère, disait la comtesse, tout n’est pas rose dans ma vie; je vois très bien, au train dont vont les choses, que nous n’en avons pas pour longtemps; toute notre fortune y passera! À qui la faute? À sa bonté et au club! À la campagne même, il n’a point de repos… toujours des spectacles, des chasses, que sais-je enfin? Mais à quoi sert d’en parler? Raconte-moi plutôt ce que tu as fait. Vraiment, je t’admire: comment peux-tu courir ainsi la poste à ton âge, aller à Moscou, à Pétersbourg, chez tous les ministres, chez tous les gros bonnets et savoir t’y prendre avec chacun? Voyons, comment y es-tu parvenue? C’est merveilleux; quant à moi, je n’y entends rien!

      — Ah! Ma chère âme, que Dieu te préserve de jamais savoir par expérience ce que c’est que de rester veuve, sans appui, avec un fils qu’on aime à la folie! On se soumet à tout pour lui! Mon procès a été une dure école! Lorsque j’avais besoin de voir un de ces gros bonnets, j’écrivais ceci: «La princesse une telle désire voir un tel,» et j’allais moi-même en voiture de louage une fois, deux fois, quatre fois, jusqu’à ce que j’eusse obtenu ce qu’il me fallait, et ce que l’on pensait de moi m’était complètement indifférent.

      — À qui donc t’es-tu adressée pour Boris? Car enfin le voilà officier dans la garde, tandis que Nicolas n’est que «junker». Personne ne s’est remué pour lui. À qui donc t’es-tu adressée?

      — Au prince Basile, et il a été très aimable. Il a tout de suite promis d’en parler à l’Empereur, ajouta vivement la princesse, oubliant les récentes humiliations qu’elle avait dû subir.

      — A-t-il beaucoup vieilli, le prince Basile? Je ne l’ai pas rencontré depuis l’époque de nos comédies chez les Roumianzow; il m’aura oubliée, et pourtant à cette époque-là il me faisait la cour!

      — Il est toujours le même, aimable et galant; les grandeurs ne lui ont pas tourné la tête! «Je regrette, chère princesse, m’a-t-il dit, de ne pas avoir à me donner plus de peine; vous n’avez qu’à ordonner.» C’est vraiment un brave homme et un bon parent. Tu sais, Nathalie, l’amour que je porte à mon fils; il n’y a rien que je ne sois prête à faire pour son bonheur. Mais ma position est si difficile, si pénible, et elle a encore empiré, dit-elle tristement à voix basse. Mon malheureux procès n’avance guère et me ruine. Je n’ai pas dix kopeks dans ma poche, le croirais-tu? Et je ne sais comment équiper Boris.»

      Et, tirant son mouchoir, elle se mit à pleurer:

      «J’ai besoin de cinq cents roubles, et je n’ai qu’un seul billet de vingt-cinq roubles. Ma situation est épouvantable: je n’ai plus d’espoir que dans le comte Besoukhow. S’il ne consent pas à venir en aide à son filleul Boris et à lui faire une pension, toutes mes peines sont perdues.»

      Les yeux de la comtesse étaient devenus humides, et elle paraissait absorbée dans ses réflexions.

      «Il m’arrive souvent de penser à l’existence solitaire du comte Besoukhow, reprit la princesse, à sa fortune colossale, et de me demander – c’est peut-être un péché – pourquoi vit-il? La vie lui est à charge, tandis que Boris est jeune…

      — Il lui laissera assurément quelque chose, dit la comtesse.

      — J’en doute, chère amie; ces grands seigneurs millionnaires sont si égoïstes! Je vais pourtant y aller avec Boris, afin d’expliquer au comte ce dont il s’agit. Il est maintenant deux heures, dit-elle en se levant, et vous dînez à quatre… j’aurai le temps.»

      La princesse envoya chercher son fils:

      «Au revoir, mon amie, dit-elle à la comtesse, qui la reconduisit jusqu’à l’antichambre; souhaite-moi bonne chance.

      — Vous allez voir le comte Cyrille Vladimirovitch, ma chère, lui cria le comte en sortant de la grande salle? S’il se sent mieux, vous inviterez Pierre à dîner; il venait chez nous autrefois et dansait avec les enfants. Faites-le-lui promettre, je vous en prie. Nous verrons si Tarass se distinguera; il assure que le comte Orlow n’a jamais donné un dîner pareil à celui qu’il nous prépare.»

      XV

      «Mon cher Boris, dit la princesse à son fils, pendant que la voiture mise à sa disposition par la comtesse Rostow quittait la rue jonchée de paille et entrait dans la grande cour de l’hôtel Besoukhow, mon cher Boris, répéta-t-elle en dégageant sa main de dessous son vieux manteau et en la posant sur celle de son fils avec un mouvement à la fois caressant et timide, sois aimable, sois prudent. Il est ton parrain, et ton avenir dépend de lui, ne l’oublie pas. Sois gentil, comme tu sais l’être quand tu veux.

      — J’aurais voulu, je l’avoue, être sûr de retirer de tout cela autre chose qu’une humiliation, répondit-il froidement; mais vous avez ma promesse, et je ferai cela pour vous.»

      Après avoir refusé de se faire annoncer, la mère et le fils entrèrent dans le vestibule vitré, orné de deux rangées de statues dans des niches. Le suisse les examina des pieds à la tête, ses yeux s’arrêtèrent sur le manteau râpé de la mère; alors il leur demanda s’ils étaient venus pour les jeunes princesses ou pour le comte. En apprenant que c’était pour ce dernier, il s’empressa de leur déclarer, СКАЧАТЬ