Название: Chacune son Rêve
Автор: Daniel Lesueur
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066079901
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Sans hésiter, Perrelot riposta:
—«Voulez-vous qu'avant tout nous écartions les considérations qui me concernent? Jamais la vérité ne m'a fait peur, Delchaume. Je me suis dérobé à elle une seule fois, sur vos instances. Mon Dieu! ce que vous me demandiez était si naturel, presque si juste!... Toutefois, vous le reconnaissez à présent, nous avons eu tort. Eh bien, laissons cela. Que ce tort devienne manifeste, public, me cause des désagréments plus ou moins graves, ceci est secondaire. Vous entendez... N'en parlons même plus. Encore une fois, la vérité ne me fait pas peur. La satisfaction de revenir à elle compense les difficultés du chemin que j'ai à faire pour cela. Nommez-moi, invoquez-moi, citez-moi, je vous y autorise, je vous le demande...
—Noble cœur... admirable maître...
—Laissons... laissons!... Maintenant, regardons un peu les choses en face. Un enfant a disparu. Vous allez dire au chef de la Sûreté: «Cherchez-le-moi.»
—Oui. Et j'ajouterai: l'auteur du rapt est aussi l'auteur d'un assassinat. Je vais déposer contre lui une double plainte au Parquet.
—Je vous en supplie, Delchaume, ne séparons pas les questions. L'enfant, d'abord, l'enfant... Quels arguments donnerez-vous à un procureur de la République pour vous faire rendre un enfant que vous avez reconnu parce que vous le croyiez le fils de votre femme, mais qui ne l'est pas, et qui a été repris, de votre propre aveu, par son véritable père?
—Son père se gardera bien de se donner pour tel. D'ailleurs, le pourrait-il, s'il le voulait? En cas d'adultère, non? Et, pour moi, c'est un roman de l'adultère qui a coûté la vie à ma pauvre Francine.
—Vous imaginez qu'on inculpe aussi aisément un prince Omiroff?»
Le vieux maître avait dit cela doucement, d'un air où quelque âpreté se mitigeait d'une profonde tristesse. Et, tout aussitôt, il décela le motif de cette tristesse.
—«Quel malheur!... Un garçon comme vous, parti pour de tels triomphes scientifiques, pour de telles victoires sur les misères de l'humanité! Par quelle meute de passions, de chagrins voraces, laisserez-vous dévorer la moelle de votre cerveau, de vos nerfs, de votre génie!
—Ah! oui, j'en serai dévoré,» cria impétueusement Delchaume, «si, comme vous me le faites entendre, je dois invoquer une justice volontairement sourde, une police qui saura se faire aveugle. Un prince Omiroff!... Eh quoi!... même votre grand cœur loyal, à qui j'en appelle, s'effare devant le prestige d'un tel rang, l'inviolabilité de ce prince étranger! Si je vous avouais tout... Si je vous disais que j'ai rêvé d'un moyen plus expéditif, que j'ai presque manié la bombe destinée à cet homme, l'engin fatal qui, l'été dernier, déchiqueta ou livra ses inventeurs!
—Vous, malheureux!...»
Le chirurgien s'était levé. D'un élan instinctif, il courait aux portes, tournait les clefs, rabattait plus hermétiquement les tentures. Il entr'ouvrit même un instant pour explorer des yeux le palier de l'étage. Mais il ne vit personne. Une rumeur de voix, de rires, d'adieux monta. Les roulements des voitures qui partaient prolongeaient dans les murs des vibrations atténuées. Nul ne songeait à épier ces deux hommes, qu'on supposait absorbés par la discussion de quelque cas médical déconcertant.
Perrelot revint vers son jeune confrère. Il murmura:
—«L'affaire de la Petite-Barrerie?...»
Raymond, presque solennellement, inclina la tête.
—«Comment étiez-vous dans cette horrible aventure?
—La principale accusée, Tatiane Kachintzeff, cette fille de vingt ans,—ah! si intéressante!... elle a vu,—vous m'entendez, maître,—elle a vu Boris Omiroff rejoindre ma femme dans un wagon, la suivre à Paris, la faire monter dans une auto, le soir où Francine revint chez moi blessée à mort. L'auto était une voiture particulière... Le chauffeur avait le type d'un moujick...»
Le visage de Perrelot se durcissait, se fermait. Il dit presque rudement:
—«Ainsi, vous déposerez une plainte contre ce prince russe, dont le père occupa les plus hautes fonctions, dont le frère fut un des héros de la guerre d'Orient... Et vous citerez comme témoin une malheureuse nihiliste, convaincue d'avoir joué une part active dans un complot qui avait pour but d'assassiner ce prince... Mais vous allez à un abîme, mon pauvre ami!...»
Il ajouta, devant le silence de Raymond:
—«Et vous n'en avez pas le droit! Vous n'avez pas le droit de fausser la valeur scientifique, sociale, que vous êtes.
—Je veux venger ma pauvre Francine... Ah! son récit!... ce qu'elle a souffert!...
—Sera-ce la venger?
—Je veux sauver l'enfant. Dieu sait quels risques il court!...»
Encore une fois, le génial guérisseur prit l'expression dont s'aiguisait sa physionomie au moment d'un diagnostic difficile, pour demander à Delchaume:
—«Dites-moi, en vous interrogeant à fond, en descendant jusqu'au dernier ressort de votre sentiment le plus secret, ce qui vous attache à cet enfant.»
Le jeune homme regarda Perrelot, d'abord avec un peu de surprise, puis avec une concentration profonde, et enfin, avec trouble. Son vieux maître le vit rougir légèrement, détourner les yeux.
—«Delchaume...
—Je... je réfléchis.
—Une réflexion vient de vous frapper déjà. Pourquoi ne me la dites-vous pas?
—Parce qu'elle constate en moi un état d'âme trop récent...
—C'est celui-là qu'il importe de connaître.
—Mais, dès le début, tout inclinait ma tendresse vers ce petit être... Ma pitié pour lui, mon désir d'exécuter le vœu de Francine, sa propre grâce, à cet innocent... Il est adorable... Son isolement dans la vie... le nom que je lui ai donné, et qui l'a fait mien... Aujourd'hui, je me sens pris, lié... Je n'aimerais pas davantage mon propre fils...
—J'admets... oui. Maintenant voyons, mon ami, ce dernier motif dont vous hésitiez à convenir avec vous-même.
—Ah! diagnostiqueur infaillible!» s'écria Raymond, qui ne put s'empêcher de sourire. «Oui... j'hésite,—non pas à en convenir avec moi-même, mais avec vous. Car c'est trop long à expliquer. Et, sans explication, cela vous paraîtra si étrange...
—Racontez... sans explication.
—Eh bien, une autre personne que moi souffrira cruellement si je ne retrouve pas mon fils adoptif.
—Une autre personne?... une femme?
—Une femme... oui.
—Une femme...» répéta encore le vieillard pensivement.
Il sembla peser en lui-même l'importance, les conséquences, СКАЧАТЬ