L'Écuyère. Paul Bourget
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Название: L'Écuyère

Автор: Paul Bourget

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066081218

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СКАЧАТЬ serait bien traité...» Et tout haut, derechef, en flattant l'encolure du cheval du manche de sa cravache: «Oui, vous seriez bien traité, gentil Rhin.» Et tout bas: «Il sent que je lui parle de lui, il le sait... Quand je serai chez moi, c'est un cheval de cette robe que j'aurai pour moi... Chez moi? Y serai-je jamais? Et quand? Je ne dois pas quitter mon père. Que ferait-il, seul?... Et lui, voudra-t-il jamais quitter la rue de Pomereu?... Il ne nous faudrait pourtant pas beaucoup d'argent pour vivre heureux en Angleterre, papa, moi et mon mari... Jack garderait la maison d'ici... Un mari? Aurai-je jamais un mari? Ce n'est pas à Paris que je le trouverai. Les Français sont si flirt... Comme c'est drôle que le mot anglais serve à désigner une chose qui est si peu anglaise!... Bon!... Un autre auto, un second...» Tout haut: «Du calme, boy, du calme...» Tout bas: «Comme ce pavé de bois de l'avenue Bugeaud est glissant, par ces matins où il y a eu beaucoup de rosée! Mais le Rhin a le pied très sûr. Décidément, il a tout pour lui, ce petit cheval. Et nous voilà hors de danger... Ce fermier de Brokenhurst ne sait pas l'orthographe, mais comme il s'y entend à choisir des bêtes!... Brokenhurst!... Ah! quel endroit que cette New Forest!... Oui, c'est là que je voudrais être mariée... Mon mari et mon père seraient associés pour faire de l'élevage. Nous aurions les allées sablées pour nous promener, mon mari et moi. Nous irions à la chasse, l'hiver. En été, nous aurions la mer pour les enfants... Je me souviens comme les grands hêtres noirs étaient beaux, dans cette forêt, quand nous y sommes allés avec maman. Et ces poneys qui se ramassaient par troupeaux dans cette ombre, vers midi, tous la tête contre le tronc de l'arbre!... Ce Bois-ci est tout de même joli, quand c'est le printemps... Bon! le Rhin a senti qu'il aillait pouvoir galoper. On dirait qu'il connaît déjà l'allée des Poteaux.» Et encore, tout haut: «Du calme, petit... Ne pars pas comme un fou... Attends d'être un peu plus avant dans l'allée... Va, maintenant. Va, mais règle-toi, règle-toi...»

      Comme s'il eût compris le petit discours que lui tenait sa nouvelle amie,—il n'était arrivé d'Angleterre que depuis dix jours, cependant,—le Rhin avait, en effet, réglé son galop. La tête relevée, la narine ouverte, mâchant son mors et, de temps à autre, poussant une espèce d'ébrouement joyeux, il se ramassait, se cadençait. La jeune fille, maintenant, était tout entière à cette course rapide à travers les taillis, où l'innombrable poussée des bourgeons jetait comme un saupoudrement de tendre verdure. A peine si elle rencontrait un cavalier de place en place. Le Bois était vide, pour bien peu de temps, à cause de l'heure. Il n'y a guère, aujourd'hui comme alors, que trois séries de personnes qui montent à cheval, à Paris: les officiers, d'abord. Ils sont en selle dès les sept heures et à huit heures et demie, ils rentrent déjà. Premier entr'acte... Vers neuf heures moins le quart, c'est le tour des gens d'affaires. Ceux-là gagnent, à la Bourse ou dans une banque, de quoi suffire à leurs goûts de haute vie. Le cheval est un de ces goûts. Ils ne peuvent s'y livrer qu'à ce moment. C'est aussi l'heure des diplomates, qui devront être au quai d'Orsay vers les dix heures; de quelques officiers attardés; de quelques artistes qui veulent faire les gens du monde, mais qui sont tout de même des ouvriers, et ils ne peuvent pas empiéter trop avant sur leur matinée. Les dix heures sonnées, second entr'acte... Peu à peu, vont arriver, au trot allongé ou raccourci de leurs montures, suivant qu'ils ont des bêtes de prix ou des «carcans» de louage, tous ceux qui défilent au Bois pour s'y montrer, pour y donner des coups de chapeau et pour en recevoir, pour saluer des amis et des amies, aux endroits désignés par la mode, ainsi la contre-allée ironiquement surnommée, à cette époque-là: «Le sentier de la vertu.»

      C'était, précisément, le public que la sauvage Hilda Campbell cherchait à éviter,—quand elle le pouvait. Car elle était la fille d'un marchand, et son père lui faisait un peu jouer le rôle du «mannequin» dans les grandes maisons de couture. Qui ne sait que l'on appelle ainsi les jolies filles chargées de passer les robes qui doivent servir de modèles et de les promener devant les riches clientes? Elles n'ont pas deux louis, quelquefois, dans leur porte-monnaie, et elles se pavanent des après-midi entières dans des toilettes de trois, de quatre, de dix mille francs. Hilda, elle aussi, devait, le plus souvent, «présenter» à l'heure la plus élégante, quelque animal d'un grand prix, pour tenter le client ou la cliente. D'autres fois, quand le cheval n'était pas encore suffisamment fait, qu'il était trop «vert»,—pour parler le langage de Bob Campbell et de Jack Corbin,—il lui était recommandé d'éviter, aux heures trop fashionables, les avenues trop fréquentées, où les acheteurs possibles auraient vu l'animal pointer, ruer, faire des tête-à-queue trop brusques ou des sauts de mouton. C'était le cas, ce matin-ci, quoique le Rhin fût parfaitement sage, mais il n'était pas confirmé. Hilda allait donc, jouissant de sa solitude avec délice. Tantôt, elle ralentissait le train de la bête; pour jouir des lointains aperçus à travers les fûts encore dénudés des arbres: la vaste pelouse de Longchamp, la silhouette du mont Valérien. Des vapeurs transparentes flottaient partout dans l'atmosphère, numide, comme bleutée, qui donnait, à ce coin perdu d'horizon, des teintes délavées d'aquarelles. Tantôt, c'étaient des détails plus rapprochés qui distrayaient son regard: une biche s'arrêtant au milieu d'un fourré pour laisser passer l'amazone,—un cocher en train de promener un cheval de voiture, coiffé d'un camail, et devenu soudain rétif,—un oiseau posé sur une branche et tournant de tous côtés sa mignonne tête, avec la curiosité d'une jeune vie encore animée par le rajeunissement universel des choses;—une vieille femme cheminant, les épaules pliées sous une charge de bois mort. Ces touches de simple nature, rencontrées brusquement, à si peu de distance de ce Paris artificiel qu'elle n'aimait pas, ravissaient toujours la jeune Anglaise. Elle fermait les yeux à demi, et, abandonnée au rythme du petit galop, elle se croyait loin, très loin, dans quelque vallée de Grande-Bretagne ou d'Irlande dont elle gardait le souvenir.

      —«Le Bois est comme un grand parc, ce matin,» songeait-elle. «Il ressemble à celui de Kenmare, que nous avons visité, maman et moi, au-dessus de Killarney, quand nous sommes allées à Dublin, avec papa, pour le Horse Show... Il n'y a pas plus de quatre ans!...»

      Les visions de ce voyage, si rapproché par les dates et si distant, si perdu dans un abîme de nuit, à cause du recul tragique de la mort, affluèrent dans l'esprit de Hilda. Elle tomba dans une espèce d'hypnotisme rétrospectif, dont elle fut réveillée par le plus vulgaire des accidents. Le Rhin ayant, tout d'un coup, commencé de se désunir et de sautiller, elle constata que la selle n'avait plus la fixité ordinaire. En se retournant, elle s'aperçut qu'une des courroies, la transversale, pendait, détachée. C'était le battement de la lanière de cuir contre ses jambes qui agaçait l'animal.

      —«Quand Jack saura cela», pensa lia jeune fille, «il en fera une maladie. Lui qui ne laisse jamais personne seller mon cheval quand il est à la maison, et c'est lui-même qui l'avait sanglé, ce matin... Bah! Ce ne sera pas grand'chose... Heureusement que cette bête est la sagesse même... Il n'y a pas de cavalier en vue qui puisse me la tenir... Mais, quand on ne sait pas s'aider soi-même, il ne faut pas monter...»

      Elle avait sauté à terre lestement seule, en formulant ainsi tout bas, pour son propre compte, la grande maxime nationale du self-help. Elle se trouvait, à ce moment, dans une des parties les plus désertes, en ces années-là, du bois de Boulogne, celle qui s'étend entre la Muette, le champ de courses d'Auteuil et les fortifications, et qu'un peuple de malandrins rendait aussi dangereuse qu'une route perdue de Grèce ou du Maroc. Aujourd'hui, un quartier neuf commence d'y surgir. Hilda s'était promenée là cent fois, et il ne lui était jamais rien arrivé. Elle se dit que pour réparer, dans la mesure du possible, le dégât survenu à sa selle, le mieux était de tirer le cheval hors de l'étroite allée cavalière où il pourrait être effaré par d'autres bêtes et les effrayer. Elle entra donc dans le taillis avec le Rhin, qu'elle attacha, par la bride, à la branche d'un sapin. Le goulu s'occupa aussitôt à manger les pousses, verdissant avec ivresse son filet, son mors et sa gourmette. Hilda, cependant, penchée près de l'épaule, procédait à un minutieux examen des sangles demeurées intactes et du surfaix de sûreté dont la bouche s'était simplement décousue. Elle en était à se demander s'il valait mieux le couper entièrement ou bien l'assujettir avec un nœud, quand une sensation de terreur s'empara d'elle, si violente que, pour une seconde, СКАЧАТЬ