Название: L'Écuyère
Автор: Paul Bourget
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066081218
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—«You are a dear old boy, Johnny. » (Vous êtes un cher vieux garçon, mon petit John.)
Et Corbin avait émis une espèce de réponse inintelligible qui rappelait fort un ébrouement. Mais, à force de fréquenter ces animaux, n'était-il pas arrivé à leur ressembler? Son long visage maigre avait pris la ligne busquée d'un profil de cheval, ce que les maquignons de là-bas appellent le «nez romain». Il était mince et ensellé comme un pur sang. Quel âge avait-il alors? Le même qu'aujourd'hui, je gagerais, s'il existe encore... Son extrait de naissance lui aurait donné trente-cinq ans ou cinquante, que vous n'auriez été étonné ni dans un cas, ni dans l'autre, tant le cuir tanné qui lui servait de peau avait été bistré, brûlé, gaufré par le vent, le soleil, la pluie. Son existence, depuis qu'il avait été mis en selle, à peine capable d'empoigner une crinière, s'était passée tout entière dehors, sans autre couvre-chef qu'une casquette en drap brouillé. En réalité, à cette date de 1902, il avait quarante-trois ans. Des mains, fortes à étrangler un bœuf, terminaient ses longs bras. Ses jambes démesurées, maigres et nouées de muscles durs comme des cordes d'acier tressé, s'achevaient par des pieds proportionnés aux mains. Il était chaussé, du lever au coucher, de bottines tellement astiquées de crème jaune, qu'elles avaient la couleur du buis. Des jambières d'un ton pareil serraient, on ne peut pas dire son mollet—où ce renflement se serait-il placé?—mais son tibia. Lui aussi ne quittait jamais, quelle que fût, par ailleurs, son occupation, son costume de cavalier. Avec ces formidables pinces, il n'avait pas plus tôt enfourché une bête, que celle-ci pouvait sauter, ruer, se secouer. Un étau de fer l'étreignait. Elle se serait roulée sur le dos, qu'elle n'aurait pas désarçonné son écuyer. Un jour, la chose était arrivée. Au cours d'une chasse dans la forêt de Chantilly, le cheval que montait Corbin avait manqué des quatre pieds. Il était tombé sans que le cavalier desserrât les genoux. L'animal ne s'était arraché de cette prise qu'après une lutte désespérée. En se relevant, le fer d'un des sabots de derrière avait littéralement scalpé le malheureux homme. La peau du front fut comme coupée avec un couteau, d'une oreille à l'autre. Une hémorragie suivit, si forte qu'elle sauva le blessé du transport au cerveau que devait provoquer un tel coup. Les chirurgiens ont rabattu cette calotte sanglante qui pendait. Ils l'ont recousue tellement quellement. Jack avait guéri, mais un long bourrelet rouge marquait la suture, juste à la racine des cheveux, qui avaient tous disparu. Un traitement électrique les a fait plus tard repousser, floconneux, légers, comme ceux d'un petit enfant. Ce terrible accident n'avait pas embelli cette physionomie déjà si peu faite pour inspirer l'amour. Aussi Jack Corbin, qui avait toujours été un peu misogyne, comme sont volontiers les professionnels d'un athlétisme quelconque, l'était-il devenu davantage encore. Il était visible, aux moins réfléchis, qu'il souffrait, lorsqu'une des clientes de la maison de la rue de Pomereu venait demander à voir un cheval, et que, ni le patron ni sa fille n'étant là, il devait faire les honneurs de l'écurie.
Il n'était pas moins visible que, dans son antipathie pour le sexe, ce women hater,—les Anglais, ce peuple de sportsmen, ont créé un mot pour une disposition fréquente chez eux—ce «haïsseur de femmes», donc, faisait une exception pour sa cousine. Il avait pour elle, dans le regard, quand il ne se croyait pas observé, une tendresse analogue à celle de Birnam et de Norah, les deux terriers de l'île de Skye, lesquels allaient et venaient dans la cour, entre les pieds des chevaux et les jambes des gens, si bas sur pattes et si velus, qu'ils semblaient d'énormes manchons en train de rouler à terre. Leurs yeux bruns de braves chiens très gâtés dardaient, à travers leurs longs poils d'un gris noir, la même lueur émue que les yeux bruns de John Corbin sous la visière de sa casquette, aussitôt que miss Hilda s'approchait. Mais qui avait le loisir—sauf des maniaques d'observation comme nous l'étions, mon ami toujours regretté Eugène-Mëlchior de V... et moi-même, et comme je pense à nos parties de cheval d'alors avec mélancolie, en évoquant ces images!—oui, qui avait le loisir de démêler cette trace d'un sentiment si obscur, qu'il ne se connaissait peut-être pas lui-même, dans cette écurie toute retentissante du piaffement des sabots des bêtes sur le caillou de la cour? Les appels des garçons s'interpellant les uns les autres s'y mêlaient, et le bruit de l'eau de la fontaine coulant dans les seaux, et le claquement des portes brusquement ouvertes et fermées, et la rumeur des automobiles amenant ou remmenant des clients, et les claquements de fouet du gros Bob excitant un cheval qu'un homme faisait courir en le tenant en main... Qu'une rêverie romanesque eût jamais pu éclore parmi ce décor et dans le cerveau d'un des personnages les plus frustes entre ceux qu'il encadrait, autant valait imaginer Campbell lui-même renonçant à son tailleur anglais, à ses chevaux anglais, à son église anglaise, à sa reine anglaise et à son breakfast pris sur les neuf heures, à la vieille mode de là-bas.
Ce n'est pas seulement l'aspect, en effet, qui transformait ce bizarre endroit en un coin détaché d'Angleterre. Bob «colonisait» chez nous comme des milliers de compatriotes à lui étaient et sont en train de «coloniser» dans tous les pays de l'un et l'autre hémisphères. Coloniser, c'est d'abord rester soi, et, par conséquent, imposer, dans sa maison, les habitudes du pays natal. La plus significative est la distribution des heures et le genre de la nourriture. Le marchand de chevaux et toute sa tribu, depuis sa fille et son neveu qui vivait avec lui jusqu'au petit groom de dix ans, en passant par la légion des garçons d'écurie, faisaient ce premier repas de neuf heures à la fourchette: les hommes à leur idée, lui avec une forte assiettée de porridge, des œufs au petit salé, un poisson frit ou grillé, de la marmelade d'oranges amères. A deux heures, c'était un lunch froid, pris, le plus souvent, debout, et qui se composai d'un peu de jambon d'agneau arrosé d'une sauce à la menthe. Un thé vers les cinq heures et, à huit, un souper léger, complétaient la liste de ces repas où il ne se versait jamais une goutte de vin. Hilda ne buvait que de l'eau et les deux hommes de la limonade quelquefois, et, le plus souvent du whiskey. Jamais un légume n'a paru sur cette table qui n'eût été cuit simplement à l'eau, sans beurre. Quand Mrs. Campbell vivait, ces menus se complétaient par quelques-uns de ces innombrables plats sucrés, puddings et pies, seules ingéniosités de la monotone cuisine d outre-Manche. Mais Mrs Campbell n'était pas une femme de cheval. C'était une douce et pâle créature, mariée à Bob par un hasard de destinée, et, comme tant de femmes de son pays, une ménagère sentimentale. Elle était la fille, trop finement élevée, d'un gros fermier du Yorkshire, Campbell, lui, le fils, élevé trop rudement, d'un autre fermier du voisinage. Le portrait de la morte, pendu aux murs du petit salon, expliquait ce qui dut être le drame de sa vie,—un drame peut-être ignoré d'elle, et que V... et moi avons si souvent commenté, en trottant botte à botte sur des chevaux que nous avions loués là. Il arrive souvent, dans un mariage mal apparié, qu'une femme silencieuse et craintive s'étiole de mélancolie sans en comprendre les causes,—quelquefois en se croyant heureuse. C'est la plante d'essence trop peu robuste qui dépérit par le seul voisinage d'une autre plus forte. La seconde a pris tout l'air, toute l'eau, tous les sucs nourriciers du sol, dont la plus grêle avait besoin. Mrs Campbell s'était fanée de même, victime inconsciente du non moins inconscient bourreau qu'avait été le pauvre gros Bob. Comment le maquignon aurait-il jamais soupçonné que ses gestes, le son de sa voix, son rire, ses façons de manger et de boire, d'aller et de venir, son métier, tout, enfin, de sa personne brutalisait les nerfs trop faibles de sa Millicent, si douce, СКАЧАТЬ