Название: Cités et ruines américaines: Mitla, Palenqué, Izamal, Chichen-Itza, Uxmal
Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Bookwire
Жанр: Книги о Путешествиях
isbn: 4064066084158
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Mollement étendue sur l'un des contre-forts de la Cordillère, Jalapa s'épanouit au soleil dans un climat délicieux. Peu de villes au monde réunissent comme elle les productions des trois zones. Le voisinage des montagnes lui amène, quelle que soit la saison, des ondées bienfaisantes qui tempèrent les ardeurs de l'atmosphère et lui donnent cette robe d'éternelle verdure. Le café, cependant, n'y arrive pas à maturité complète, et l'humidité permanente entraîne avec elle des fièvres dangereuses. L'étranger doit s'y préserver de la fraîcheur des nuits.
Après avoir gravi la dernière pente qui dérobe la ville à ses yeux, le voyageur l'aperçoit tout à coup à ses pieds à demi cachée sous des flots de verdure. Le coup d'œil est charmant et grandiose, c'est un nid de colombes dans les branches d'un laurier-rose; au loin, l'horizon est fermé par les lignes sévères de la sierra que dominent sur la gauche le pic neigeux de l'Orizaba et les cimes plus rapprochées du coffre de Perote. Les pentes lointaines, bleuies par la distance, passent, en se rapprochant, au vert sombre sous les sapins qui les couvrent, pour arriver au vert tendre des chênes d'Europe. Dans le fond des vallées, quelques fermes aux murs blanchis animent le paysage un peu désert; quant au chemin qui vous conduit à la ville, c'est un fouillis de roses grimpantes, de caféiers aux baies rouges et de dahlias arborescents; d'énormes daturas agitent à la brise leurs grandes fleurs blanches au parfum pénétrant et des bosquets de bananiers abritent à l'ombre de leurs feuilles gigantesques les régimes de leurs fruits succulents. Les maisons placées en amphithéâtre sont blanches et propres, ornées de ces balcons espagnols en fer ou en bois, qui leur donnent un air de défiance jalouse. Les cours intérieures sont entourées de portiques, garnies d'habitude d'une fontaine et plantées d'orangers et de grenadiers fleuris. Partout vous entendez le bourdonnement de l'oiseau-mouche; des cages pleines de moqueurs et de sensontlis se suspendent aux voûtes, pendant qu'un perroquet, vieux favori de la maison, traîne au hasard sa marche bancale, en poussant quelques éclats de son parler ventriloque.
Les femmes de Jalapa ont une réputation de beauté méritée, et se distinguent par une grâce toute créole. Les forêts qui entourent la ville sont peuplées d'oiseaux rares, la chasse y est abondante et l'amateur peut y réunir de magnifiques collections. On s'éloigne à regret de cette ville charmante pour s'enfoncer dans les gorges de la Cordillère; le paysage change graduellement et s'assombrit; les vallées se rétrécissent, des pentes abruptes s'élèvent de toutes parts et semblent barrer la route; vous êtes alors en pleine sierra; ainsi vous arrivez au village de Pajarito. Mais ce qui surprend le plus, c'est le changement subit qui s'opère dans les populations.
À partir de Jalapa, il faut renoncer à la gracieuse et légère cabane de roseau pour le jacal délabré, d'aspect sombre; il faut dire adieu à ces beaux types d'Indiennes et de métis que vous avez si souvent admirés; vous laissez derrière vous les teintes claires, la superbe beauté des chairs, et vous ne retrouverez plus ces femmes en chemisettes brodées, laissant voir leurs bras, deviner leur sein robuste, étalant sur des épaules pleines les longues nattes de leurs cheveux noirs; plus de grâces, plus de rires, plus de beaux enfants nus, se roulant à l'entour des mères souriantes; vous n'avez plus devant les yeux que des femelles hideuses, aux crins hérissés, aux seins pendants, recouvertes de lambeaux d'étoffes de couleur sombre. Des hommes, les mâles, au buste nu, marchant en silence, courbés sous le poids d'un fardeau, tout cela, noir, misérable et sale à faire peur. C'est l'Indien de la montagne, vieil esclave affranchi, sans le savoir, des tyrannies de l'Espagne. Du reste, les types se croisent, se modifient, changent d'un village à l'autre, et, nulle part au monde, il ne serait possible de trouver dans un diamètre aussi restreint une telle diversité de races.
Mais la route poursuit, contournant les escarpements de la montagne, et vous arrivez à San Miguel del Soldado; là s'éteignent les dernières traces de la végétation tempérée; un pas de plus, vous êtes en Terre Froide. Avant d'atteindre la Hoya, jetez un regard derrière vous; le coup d'œil est admirable. De cette hauteur, de 3,000 mètres environ, vous voyez se dérouler tout le panorama du versant du golfe. Au premier plan, les maisons de San Miguel; autour de vous, sur les plateaux d'alentour, quelques villages perchés comme des nids d'aigles, avec leurs clochers étincelant au soleil; plus loin, l'œil suit, sous les vapeurs transparentes comme au travers d'un voile, le cours sinueux des torrents; plus bas, les divers plateaux étages se fondent par la distance en une vaste plaine d'où surgissent ça et là les sommets des derniers contre-forts ou que sillonnent en lignes foncées les profondeurs des barrancas; quelques éclaircies de champs cultivés varient les couleurs, et tout à l'horizon qui va s'éteindre dans le ciel, des miroitements lointains laissent deviner la mer.
Après avoir traversé la Hoya, village pauvre et froid, placé comme étape pour les convois qui vont et reviennent de Mexico, le voyageur s'enfonce dans des gorges pittoresques et sauvages, qu'il serait difficile d'enlever à une poignée d'hommes résolus; la route s'ouvre alors sur des champs de lave refroidie, s'enfonce sous les sapins et débouche, par une descente rapide, sur le versant de l'Anahuac, en passant par las Bigas et Cruz Blanca. En cet endroit, le chemin se bifurque; à gauche, il mène à la ville de Perote; la droite conduit à Céruleum.
En temps de guerre, les partis qui veulent éviter le fort de Perote, dont les feux défendent l'entrée de la ville, prennent cette dernière direction. La forteresse, bâtie par des ingénieurs américains, est une des plus importantes et la mieux construite du Mexique. Lors de la guerre de 1847, les Américains ne s'en emparèrent qu'avec difficulté. La ville de Perote est triste et déserte; les nuits y sont froides et glaciales, surtout en arrivant de Jalapa; le contraste est brusque, violent, inattendu; vous passez de la puissante végétation de la zone tempérée et des grandes forêts pleines de bruits et de chansons, à la plus désolante aridité; on se croirait transporté dans les steppes arides de la Russie.
Il était tard quand, après avoir traversé la ville, nous arrivâmes au mezon de San Antonio, vaste enclos pour les mules, premier abri des caravanes qui s'engagent dans le désert.
Nous étions harassés de fatigue, et, roulés dans nos couvertures, nous nous étendîmes autour des feux de bivouac allumés dans l'intérieur de la cour. À trois heures, tout se préparait pour le départ. Il régnait une animation extraordinaire; dans la demi-obscurité de la nuit, à la flamme vacillante des feux mourants, on voyait des multitudes d'hommes s'agiter et courir, tandis que des mules rétives fuyaient en tous sens les atteintes du lasso. Cependant le jour commençait à poindre, et la cime neigeuse de l'Orizaba se teignait rapidement d'une nuance pourpre qui du sommet s'étendit bientôt à la base. Ces levers de soleil sont splendides.
L'intérieur du mezon offrit alors un curieux tableau: des milliers de mules, rangées par troupes ou atajos, attendaient, frissonnantes et les yeux bandés, que les ballots de marchandises, symétriquement rangés devant les énormes bâts qui les soutiennent, fussent hissés sur leur dos. C'étaient alors des luttes d'hommes et de bêtes, une mêlée, une foule incroyable, où les appels de l'un à l'autre, les cris, les jurons, les hennissements composaient un concert de clameurs impossibles.
Les mules une fois chargées, la jument conductrice, la clochette au cou, prenait les devants, et chacune la suivait, ployant sous la charge, gémissant, lançant ruades et pétarades. Le défilé dura deux heures.
Le désert de Perote s'étend sur un diamètre de vingt-cinq lieues au moins. Il n'a d'autre végétation que des nopals rabougris: de nombreuses trombes de poussière le sillonnent; le sol est semé de scories volcaniques et de ponces, coupé de marais couverts de canards et de nuées de bécassines; on y remarque de fréquents effets de mirage. Pour les voyageurs, comme pour les convois, deux pauvres villages se trouvent échelonnés dans la plaine; gîtes souvent assaillis СКАЧАТЬ