La rôtisserie de la Reine Pédauque. Anatole France
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Название: La rôtisserie de la Reine Pédauque

Автор: Anatole France

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066089788

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СКАЧАТЬ Vous n'avez point le respect de votre habit. Retournez d'où vous venez et allez voir, s'il vous plaît, dans la rue si la reine Pédauque a des engelures.

      Mais ma mère fit signe au frère de s'asseoir sous le manteau de la cheminée, ce qu'il fit tout doucement.

      —Il faut beaucoup pardonner aux capucins, dit l'abbé, car ils pèchent sans malice.

      Mon père pria M. Coignard de ne plus parler de cette engeance, dont le seul nom lui échauffait les oreilles.

      —Maître Léonard, dit l'abbé, la philosophie induit l'âme à la clémence. Pour ma part, j'absous volontiers les fripons, les coquins et tous les misérables. Et même je ne garde pas rancune aux gens de bien, quoiqu'il y ait beaucoup d'insolence dans leur cas. Et si, comme moi, maître Léonard, vous aviez fréquenté les personnes respectables, vous sauriez qu'elles ne valent pas mieux que les autres et qu'elles sont d'un commerce souvent moins agréable. Je me suis assis à la troisième table de M. l'évêque de Séez, et deux serviteurs, vêtus de noir, s'y tenaient à mon côté: la Contrainte et l'Ennui.

      —Il faut convenir, dit ma mère, que les valets de monseigneur portaient des noms fâcheux. Que ne les nommait-il Champagne, l'Olive ou Frontin, selon l'usage!

      L'abbé reprit:

      —Il est vrai que certaines personnes s'arrangent aisément des incommodités qu'on éprouve à vivre parmi les grands. Il y avait à la deuxième table de M. l'évêque de Séez un chanoine fort poli, qui demeura jusqu'à son dernier moment sur le pied cérémonieux. Apprenant qu'il était au plus mal, monseigneur l'alla voir dans sa chambre et le trouva à toute extrémité: "Hélas! dit le chanoine, je demande pardon à Votre Grandeur d'être obligé de mourir devant Elle.

      —Faites, faites! ne vous gênez point," répondit monseigneur avec bonté.

      A ce moment, ma mère apporta le rôti et le posa sur la table avec un geste empreint de gravité domestique dont mon père fut ému, car il s'écria brusquement et la bouche pleine:

      —Barbe, vous êtes une sainte et digne femme.

      —Madame, dit mon bon maître, est en effet comparable aux femmes fortes de l'Écriture. C'est une épouse selon Dieu.

      —Dieu merci! dit ma mère, je n'ai jamais trahi la fidélité que j'ai jurée à Léonard Ménétrier, mon mari, et je compte bien, maintenant que le plus difficile est fait, n'y point manquer jusqu'à l'heure de la mort. Je voudrais qu'il me gardât sa foi comme je lui garde la mienne.

      —Madame, j'avais vu, du premier coup d'oeil, que vous étiez une honnête femme, repartit l'abbé, car j'ai ressenti près de vous une quiétude qui tenait plus du ciel que de la terre.

      Ma mère, qui était simple, mais point sotte, entendit fort bien ce qu'il voulait dire et lui répliqua que, s'il l'avait connue vingt ans en çà, il l'aurait trouvée toute autre qu'elle n'était devenue dans cette rôtisserie, où sa bonne mine s'en était allée au feu des broches et à la fumée des écuelles. Et, comme elle était piquée, elle conta que le boulanger d'Auneau la trouvait assez à son goût pour lui offrir des gâteaux chaque fois qu'elle passait devant son four. Elle ajouta vivement qu'au reste, il n'est fille ou femme si laide qui ne puisse mal faire quand l'envie lui en prend.

      —Cette bonne femme a raison, dit mon père. Je me rappelle qu'étant apprenti dans la rôtisserie de l'Oie Royale, proche la porte Saint-Denis, mon patron, qui était en ce temps-là porte-bannière de la confrérie, comme je le suis aujourd'hui, me dit: "Je ne serai jamais cocu, ma femme est trop laide". Cette parole me donna l'idée de faire ce qu'il croyait impossible. J'y réussis, dès le premier essai, un matin qu'il était à la Vallée. Il disait vrai: sa femme était bien laide; mais elle avait de l'esprit et elle était reconnaissante.

      A cette anecdote, ma mère se fâcha tout de bon, disant que ce n'étaient point là des propos qu'un père de famille dût tenir à sa femme et à son fils, s'il voulait garder leur estime.

      M. Jérôme Coignard, la voyant toute rouge de colère, détourna la conversation avec une adroite bonté. Interpellant de façon soudaine le frère Ange qui, les mains dans ses manches, se tenait humblement au coin du feu:

      —Petit frère, lui dit-il, quelles reliques portiez-vous sur l'âne du second vicaire, en compagnie de soeur Catherine? N'était-ce point votre culotte que vous donniez à baiser aux dévotes, sur l'exemple d'un certain corelier dont Henry Estienne a conté l'aventure?

      —Ah! monsieur l'abbé, répondit frère Ange de l'air d'un martyr qui souffre pour la vérité, ce n'était point ma culotte, mais un pied de saint Eustache.

      —Je l'eusse juré, si ce n'était péché, s'écria l'abbé en agitant un pilon de volaille. Ces capucins vous dénichent des saints que les bons auteurs, qui ont traité de l'histoire ecclésiastique, ignorent. Ni Tillemont, ni Fleury ne parlent de ce saint Eustache, à qui l'on eut bien tort de dédier une église de Paris, quand il est tant de saints reconnus par les écrivains dignes de foi, qui attendent encore un tel honneur. La vie de cet Eustache est un tissu de fables ridicules. Il en est de même de celle de sainte Catherine, qui n'a jamais existé que dans l'imagination de quelque méchant moine byzantin. Je ne la veux pourtant pas trop attaquer parce qu'elle est la patronne des écrivains et qu'elle sert d'enseigne à la boutique du bon M. Blaizot, qui est le lieu le plus délectable du monde.

      —J'avais aussi, reprit tranquillement le petit frère, une côte de sainte Marie l'Égyptienne.

      —Ah! ah! pour celle-là, s'écria l'abbé en jetant son os par la chambre, je la tiens pour très sainte, car elle donna dans sa vie un bel exemple d'humilité.

      "Vous savez, madame, ajouta-t-il en tirant ma mère par la manche, que sainte Marie l'Égyptienne, se rendant en pèlerinage au tombeau de Notre Seigneur, fut arrêtée par une rivière profonde, et que, n'ayant pas un denier pour passer le bac, elle offrit son corps en paiement aux bateliers. Qu'en dites-vous, ma bonne dame?

      Ma mère demanda d'abord si l'histoire était bien vraie. Quand on lui donna l'assurance qu'elle était imprimée dans les livres et peinte sur une fenêtre de l'église de la Jussienne, elle la tint pour véritable.

      —Je pense, dit-elle, qu'il faut être aussi sainte qu'elle pour en faire autant sans pécher. Aussi, ne m'y risquerais-je point.

      —Pour moi, dit l'abbé, d'accord avec les docteurs les plus subtils, j'approuve la conduite de cette sainte. Elle est une leçon aux honnêtes femmes, qui s'obstinent avec trop de superbe dans leur altière vertu. Il y a quelque sensualisme, si l'on y songe, à donner trop de prix à la chair et à garder avec un soin excessif ce qu'on doit mépriser. On voit des matrones qui croient avoir en elles un trésor à garder et qui exagèrent visiblement l'intérêt que portent à leur personne Dieu et les anges. Elles se croient une façon de Saint-Sacrement naturel. Sainte Marie l'Égyptienne en jugeait mieux. Bien que jolie et faite à ravir, elle estima qu'il y aurait trop de superbe à s'arrêter dans son saint pèlerinage pour une chose indifférente en soi et qui n'est qu'un endroit à mortifier, loin d'être un joyau précieux. Elle le mortifia, madame, et elle entra de la sorte, par une admirable humilité, dans la voie de la pénitence où elle accomplit des travaux merveilleux.

      —Monsieur l'abbé, dit ma mère, je ne vous entends point. Vous êtes trop savant pour moi.

      —Cette grande sainte, dit frère Ange, est peinte au naturel dans la chapelle de mon couvent, et tout son corps est couvert, par la grâce de Dieu, de poils longs СКАЧАТЬ