La rôtisserie de la Reine Pédauque. Anatole France
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La rôtisserie de la Reine Pédauque - Anatole France страница 5

Название: La rôtisserie de la Reine Pédauque

Автор: Anatole France

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066089788

isbn:

СКАЧАТЬ de plus haut devant la philosophie chrétienne. Il était subtil théologien et bon catholique. Sa foi demeurait entière sur les débris de ses plus chères illusions et de ses plus légitimes espérances. Ses faiblesses, ses erreurs, ses fautes, qu'il n'essayait ni de dissimuler ni de colorer, n'avaient point ébranlé sa confiance en la bonté divine. Et, pour le bien connaître, il faut savoir qu'il gardait le soin de son salut éternel dans les occasions où il devait, en apparence, s'en soucier le moins. Il m'inculqua les principes d'une piété éclairée. Il s'efforçait aussi de m'attacher à la vertu et de me la rendre, pour ainsi dire, domestique et familière par des exemples tirés de la vie de Zénon.

      Pour m'instruire des dangers du vice, il puisait ses arguments dans une source plus voisine, me confiant que, pour avoir trop aimé le vin et les femmes, il avait perdu l'honneur de monter dans une chaire de collège, en robe longue et en bonnet carré.

      A ces rares mérites il joignait la constance et l'assiduité, et il donnait ses leçons avec une exactitude qu'on n'eût pas attendue d'un homme livré comme lui à tous les caprices d'une vie errante et sans cesse emporté dans les agitations d'une fortune moins doctorale que picaresque. Ce zèle était l'effet de sa bonté et aussi du goût qu'il avait pour cette bonne rue Saint-Jacques, où il trouvait à satisfaire tout ensemble les appétits de son corps et ceux de son esprit. Après m'avoir donné quelque profitable leçon en prenant un repas succulent, il faisait un tour au Petit Bacchus et à l'Image Sainte-Catherine, trouvant réunis ainsi dans un petit espace de terre, qui était son paradis, du vin frais et des livres.

      Il était devenu l'hôte assidu de M. Blaizot, le libraire, qui lui faisait bon accueil, bien qu'il feuilletât tous les livres sans faire emplette d'aucun. Et c'était un merveilleux spectacle de voir mon bon maître, au fond de la boutique, le nez enfoui dans quelque petit livre fraîchement venu de Hollande et relevant la tête pour disserter selon l'occurrence, avec la même science abondante et riante, soit des plans de monarchie universelle attribués au feu roi, soit des aventures galantes d'un financier et d'une fille de théâtre. M. Blaizot ne se lassait pas de l'écouter. Ce M. Blaizot était un petit vieillard sec et propre, en habit et culotte puce et bas de laine gris. Je l'admirais beaucoup et je n'imaginais rien de plus beau au monde que de vendre comme lui des livres, à l'Image Sainte-Catherine.

      Un souvenir contribuait à revêtir pour moi la boutique de M. Blaizot d'un charme mystérieux. C'est là qu'un jour, étant très jeune, j'avais vu pour la première fois une femme nue. Je la vois encore. C'était l'Ève d'une Bible en estampes. Elle avait un gros ventre et les jambes un peu courtes, et elle s'entretenait avec le serpent dans un paysage hollandais. Le possesseur de cette estampe m'inspira dès lors une considération qui se soutint par la suite, quand je pris, grâce à M. Coignard, le goût des livres.

      A seize ans, je savais assez de latin et un peu de grec. Mon bon maître dit à mon père:

      —Ne pensez-vous point, mon hôte, qu'il est indécent de laisser un jeune cicéronien en habit de marmiton?

      —Je n'y avais pas songé, répondit mon père.

      —Il est vrai, dit ma mère, qu'il conviendrait de donner à notre fils une veste de basin. Il est agréable de sa personne, de bonnes manières et bien instruit. Il fera honneur à ses habits.

      Mon père demeura pensif un moment, puis il demanda s'il serait bien séant à un rôtisseur de porter une veste de basin. Mais l'abbé Coignard lui représenta que, nourrisson des Muses, je ne deviendrais jamais rôtisseur, et que les temps étaient proches où je porterais le petit collet.

      Mon père soupira en songeant que je ne serais point, après lui, porte-bannière de la confrérie des rôtisseurs parisiens. Et ma mère devint toute ruisselante de joie et d'orgueil à l'idée que son fils serait d'église.

      Le premier effet de ma veste de basin fut de me donner de l'assurance et de m'encourager à prendre des femmes une idée plus complète que celle que m'avait donnée jadis l'Ève de M. Blaizot. Je songeais raisonnablement pour cela à Jeannette la vielleuse et à Catherine la dentellière, que je voyais passer vingt fois le jour devant la rôtisserie, montrant quand il pleuvait une fine cheville et un petit pied dont la pointe sautillait d'un pavé à l'autre. Jeannette était moins jolie que Catherine. Elle était aussi moins jeune et moins brave en ses habits. Elle venait de Savoie et se coiffait en marmotte, avec un mouchoir à carreaux qui lui cachait les cheveux. Mais elle avait le mérite de ne point faire de façons et d'entendre ce qu'on voulait d'elle avant qu'on eût parlé. Ce caractère était extrêmement convenable à ma timidité. Un soir, sous le porche de Saint-Benoît-le-Bétourné, qui est garni de bancs de pierre, elle m'apprit ce que je ne savais pas encore et qu'elle savait depuis longtemps. Mais je ne lui en fus pas aussi reconnaissant que j'aurais dû, et je ne songeais qu'à porter à d'autres plus jolies la science qu'elle m'avait inculquée. Je dois dire, pour excuser mon ingratitude, que Jeannette la vielleuse n'attachait pas à ces leçons plus de prix que je n'y donnais moi-même, et qu'elle les prodiguait à tous les polissons du quartier.

      Catherine était plus réservée dans ses façons; elle me faisait grand'peur et je n'osais pas lui dire combien je la trouvais jolie. Ce qui redoublait mon embarras, c'est qu'elle se moquait sans cesse de moi et ne perdait pas une occasion de me taquiner. Elle me plaisantait de ce que je n'avais pas de poil au menton. Cela me faisait rougir et j'aurais voulu être sous terre. J'affectais en la voyant un air sombre et chagrin. Je feignais de la mépriser. Mais elle était bien trop jolie pour que ce mépris fût véritable.

      Cette nuit-là, nuit de l'Épiphanie et dix-neuvième anniversaire de ma naissance, tandis que le ciel versait avec la neige fondue une froide humeur dont on était pénétré jusqu'aux os et qu'un vent glacial faisait grincer l'enseigne de la Reine Pédauque, un feu clair, parfumé de graisse d'oie, brillait dans la rôtisserie et la soupière fumait sur la nappe blanche, autour de laquelle M. Jérôme Coignard, mon père et moi, étions assis. Ma mère, selon sa coutume, se tenait debout derrière le maître du logis, prête à le servir. Il avait déjà rempli l'écuelle de l'abbé, quand, la porte s'étant ouverte, nous vîmes frère Ange très pâle, le nez rouge et la barbe ruisselante. Mon père en leva de surprise sa cuiller à pot jusqu'aux poutres enfumées du plancher.

      La surprise de mon père s'expliquait aisément. Frère Ange, qui, une première fois, avait disparu pendant six mois après l'assommade du coutelier boiteux, était demeuré cette fois deux ans entiers sans donner de ses nouvelles. Il s'en était allé au printemps avec un âne chargé de reliques, et le pis est qu'il avait emmené Catherine habillée en béguine. On ne savait ce qu'ils étaient devenus, mais il y avait vent au Petit Bacchus que le petit frère et la petite soeur avaient eu des démêlés avec l'official entre Tours et Orléans. Sans compter qu'un vicaire de Saint-Benoît criait comme un diable que ce pendard de capucin lui avait volé son âne.

      —Quoi, s'écria mon père, ce coquin n'est pas dans un cul de basse-fosse? Il n'y a plus de justice dans le royaume.

      Mais frère Ange disait le Bénédicité et faisait le signe de la croix sur la soupière.

      —Holà! reprit mon père, trêve de grimaces, beau moine! Et confessez que vous passâtes en prison d'église à tout le moins une des deux années durant lesquelles on ne vit point dans la paroisse votre face de Belzébuth. La rue Saint-Jacques en était plus honnête, et le quartier plus respectable. Ardez le bel Olibrius qui mène aux champs l'âne d'autrui et la fille à tout le monde.

      —Peut-être, répondit frère Ange, les yeux baissés et les mains dans ses manches, peut-être, maître Léonard, voulez-vous parler de Catherine, que j'eus le bonheur de convertir et de tourner à une meilleure vie, tant et si bien qu'elle souhaita ardemment de me suivre avec les reliques que je portais et de faire avec moi de beaux pèlerinages, notamment СКАЧАТЬ