Название: Pierre Nozière
Автор: Anatole France
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066090234
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"Allons, les petits, allons donc!" cria-t-elle. Et ils se jeterent dans ses bras. En entrant dans la salle ou fumait la soupe aux choux, Catherine frissonna de nouveau. Elle avait vu la nuit descendre sur la terre. Jean, assis sur la bancelle, le menton a la hauteur de la table, mangeait deja sa soupe.
LES FAUTES DES GRANDS
Les routes ressemblent a des rivieres. Cela tient a ce que les rivieres sont des routes; ce sont des routes naturelles sur lesquelles on voyage avec des bottes de sept lieues; quel autre nom conviendrait mieux a des barques? Et les routes sont comme des rivieres que l'homme a faites pour l'homme.
Les routes, les belles routes aussi unies que la surface d'une fleuve et sur lesquelles la roue de la voiture et la semelle du soulier trouvent un appui a la fois solide et doux, ce sont les chefs-d'oeuvre de nos peres qui sont morts sans laisser leur nom et que nous ne connaissons que par leurs bienfaits. Qu'elles soient benies, ces routes par lesquelles les fruits de la terre nous viennent abondamment et qui rapprochent les amis.
C'est pour aller voir un ami, l'ami Jean, que Roger, Marcel, Bernard, Jacques et Etienne ont pris la route nationale qui deroule au soleil, le long des pres et des champs, son joli ruban jaune, traverse les bourgs et les hameaux et conduit, dit-on, jusqu'a la mer ou sont les navires.
Les cinq compagnons ne vont pas si loin. Mais il leur faut faire une belle course d'un kilometre pour atteindre la maison de l'ami Jean.
Les voila partis. On les a laisses aller seuls, sur la foi de leurs promesses; ils se sont engages a marcher sagement, a ne point ecarter du droit chemin, a eviter les chevaux et les voitures et a ne point quitter Etienne, le plus petit de la bande.
Les voila partis. Ils s'avancent en ordre sur une seule ligne. On ne peut mieux partir. Pourtant, il y a un defaut a cette belle ordonnance. Etienne est trop petit.
Un grand courage s'allume en lui. Il s'efforce, il hate le pas. Il ouvre toute grande ses courtes jambes. Il agite ses bras par surcroit. Mais il est trop petit, il ne peut pas suivre ses amis. Il reste en arriere. C'est fatal; les philosophes savent que les memes causes produisent toujours les memes effets. Mais Jacques, ni Bernard, ni Marcel, ni meme Roger, ne sont des philosophes. Ils marchent selon leurs jambes, le pauvre Etienne marche avec les siennes: il n'y a pas de concert possible. Etienne court, souffle, crie, mais il reste en arriere.
Les grands, ses aines, devraient l'attendre, direz-vous, et regler leur pas sur le sien. Helas, ce serait de leur part une haute vertu. Ils sont en cela comme les hommes. En avant, disent les forts de ce monde, et ils laissent les faibles en arriere. Mais attendez la fin de l'histoire.
Tout a coup, nos grands, nos forts, nos quatre gaillards s'arretent. Ils ont vu par terre une bete qui saute. La bete saute parce qu'elle est une grenouille, et qu'elle veut gagner le pre qui longe la route. Ce pre, c'est sa patrie: il lui est cher, elle y a son manoir aupres d'un ruisseau. Elle saute.
C'est une grande curiosite naturelle qu'une grenouille.
Celle-ci est verte; elle a l'air d'une feuille vivante, et cet air lui donne quelque chose de merveilleux. Bernard, Roger, Jacques et Marcel se jettent a sa poursuite. Adieu Etienne, et la belle route toute jaune; adieu leur promesse. Les voila dans le pre, bientot ils sentent leurs pieds s'enfoncer dans la terre grasse qui nourrit une herbe epaisse. Quelques pas encore et ils s'embourbent jusqu'aux genoux. L'herbe cachait un marecage.
Ils s'en tirent a grand'peine. Leurs souliers, leurs chaussettes, leurs mollets sont noirs. C'est la nymphe du pre vert qui a mis les guetres de fange aux quatre desobeissants.
Etienne les rejoint tout essouffle. Il ne sait, en les voyant ainsi chausses, s'il doit se rejouir ou s'attrister. Il medite en son ame innocente les catastrophes qui frappent les grands et les forts. Quant aux quatre guetres, ils retournent piteusement sur leurs pas, car le moyen, je vous prie, d'aller voir l'ami Jean en pareil equipage? Quand ils rentreront a la maison, leurs meres liront leur faute sur leurs jambes, tandis que la candeur du petit Etienne reluira sur ses mollets roses.
JAQUELINE ET MIRAUT
Jacqueline et Miraut sont de vieux amis. Jacqueline est une petite fille et Miraut est un gros chien.
Ils sont du meme monde, ils sont tous deux rustiques: de la leur intimite profonde. Depuis quand se connaissaient-ils? ils ne savent plus: cela passe la memoire d'un chien et celle d'une petite fille. D'ailleurs, ils n'ont pas besoin de le savoir, ils n'ont ni envie, ni besoin de rien savoir. Ils ont seulement l'idee qu'ils se connaissent depuis tres longtemps, depuis le commencement des choses, car ils n'imaginent ni l'un ni l'autre que l'univers ait existe avant eux. Le monde, tel qu'ils le concoivent, est jeune, simple et naif comme eux. Jacqueline y voit Miraut et Miraut y voit Jacqueline tout au beau milieu. Jacqueline se fait de Miraut une belle idee, mais c'est une idee inexprimable. Les mots ne peuvent rendre la pensee de Jacqueline, ils sont trop gros pour cela! Quant a la pensee de Miraut, c'est sans doute une bonne et juste pensee, mais, par malheur, on ne la connait pas bien. Miraut ne parle pas, il ne dit pas ce qu'il pense et il ne le sait pas tres bien lui-meme.
Assurement, il a de l'intelligence, mais pour toutes sortes de raisons, cette intelligence est obscure. Miraut a toutes les nuits des reves: il voit en dormant des chiens comme lui, des petites filles comme Jacqueline, des mendiants. Il voit des choses joyeuses et des choses tristes.
C'est pourquoi il aboie ou il grogne pendant son sommeil. Ce ne sont la que des songes et des illusions, mais Miraut ne les distingue pas de la realite. Il brouille dans sa cervelle ce qu'il voit en reve avec ce qu'il voit quand il est eveille, et cette confusion l'empeche de comprendre beaucoup de choses que les hommes comprennent. Et puis, comme c'est un chien, il a des idees de chien. Et pourquoi voulez-vous que nous comprenions les idees des chiens mieux que les chiens ne comprennent les idees des hommes? Mais d'homme a chien, on peut tout de meme s'entendre, parce que les chiens ont quelques idees humaines et les hommes quelques idees canines. C'est assez pour lier amitie. Aussi Jacqueline et Miraut sont-ils tres bons amis.
Miraut est beaucoup plus grand et plus fort que Jacqueline. En posant ses pattes de devant sur les epaules de l'enfant, il la domine de la tete et du poitrail. Il pourrait l'avaler en trois bouchees; mais il sait, il sent qu'une force est en elle et que, pour petite qu'elle est, elle est precieuse. Il l'admire a sa maniere. Il la trouve mignonne. Il admire comme elle sait jouer et parler. Il l'aime, il la leche par sympathie.
Jacqueline, de son cote, trouve Miraut admirable. Elle voit qu'il est fort, et elle admire la force. Sans cela, elle ne serait point une petite fille. Elle voit qu'il est bon, et elle aime la bonte. Aussi bien la bonte est-elle une chose douce a rencontrer.
Elle a pour lui un sentiment de respect. Elle observe qu'il connait beaucoup de secrets qu'elle ignore et que l'obscur genie de la terre est en lui. Elle le voit enorme, grave et doux. Elle le venere comme sous un autre ciel, dans les temps anciens, les hommes veneraient des dieux agrestes et velus.
Mais voici que tout a coup, elle est surprise, inquiete, etonnee. Elle a vu son vieux genie de la terre, son dieu velu, Miraut, attache par une longue laisse a un arbre, au bord du puits. Elle contemple, elle hesite, Miraut la regarde de son bel oeil honnete et patient. Il n'est ni surpris ni fache d'etre a la chaine; il aime ses maitres, et, ne sachant pas qu'il est un genie de la terre et un dieu couvert de poil, il garde sans colere sa chaine et son collier. Cependant Jacqueline n'ose avancer. Elle ne peut comprendre que son divin et mysterieux ami soit captif, et une vague tristesse emplit sa petite ame.