Название: Pierre Nozière
Автор: Anatole France
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066090234
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En ce jour de printemps, elle prit un chemin inaccoutume, suivit des rues encombrees de passants et de voitures, bordees de boutiques ou s'etalaient des objets innombrables et divers, dont j'admirais les formes sans en concevoir l'usage. Les pharmacies surtout m'etonnaient par la grandeur et l'eclat de leurs bocaux. Quelques-unes de ces boutiques etaient peuplees de grandes statues peintes et dorees. Je demandai:
"Quoi c'est, m'ame Mathias?"
Et Mme Mathias me repondit avec la fermete d'une citoyenne nourrie dans les faubourgs de Paris:
"C'est rien, c'est des bons dieux."
Ainsi, dans ma tendre enfance, tandis que ma mere m'inclinait doucement au culte des images, Mme Mathias m'enseignait a mepriser la superstition. De la voie etroite ou nous etions, une grande place plantee de petits arbres m'apparut soudain. Je la reconnus et il me souvint de ma bonne Nanette en revoyant ce pavillon etrange ou des pretres de pierre sont assis, les pieds dans la vasque d'une fontaine. C'est avec Nanette que, dans des temps vagues et d'incertaine memoire, j'avais visite ces choses. En les revoyant, je fus saisi du regret de Nanette perdue. J'eus envie de courir en pleurant et en criant: "Nanette!" Mais soit faiblesse d'ame, soit delicatesse obscure du coeur, soit debilite d'esprit, je ne parlai point de Nanette a Mme Mathias.
Nous traversames la place et nous nous engageames dans des ruelles aux paves pointus, qu'une grande eglise recouvrait de son ombre humide. Sur les portails ornes de pyramides et de boules moussues, ca et la une statue faisait un grand geste en l'air et des couples de pigeons s'envolaient devant nous.
Ayant contourne la grande eglise, nous primes une rue bordee de porches sculptes et de vieux murs au-dessus desquels les acacias penchaient leurs branches fleuries. Il y avait, a gauche, dans une encoignure, une echoppe vitree avec cette enseigne: Ecrivain public. Des lettres et des enveloppes etaient collees sur tous les carreaux. Du toit de zinc sortait un tuyau de cheminee coiffe d'un grand chapeau. Mme Mathias tourna le bec de canne et, me poussant devant elle, entra dans l'echoppe. Un vieillard, courbe sur une table, leva la tete a notre vue. Des favoris en fer a cheval bordaient ses joues roses. Ses cheveux blancs s'enlevaient sur son front comme dans un coup de vent orageux. Sa redingote noire etait par endroits blanchie et luisante. Il portait un bouquet de violettes a la boutonniere.
"Tiens! c'est la vieille!" dit-il sans se lever.
Puis me regardant d'un air peu sympathique:
"C'est ton petit bourgeois, hein? demanda-t-il.
—Oh! repondit Mme Mathias, il est gentil enfant, quoiqu'il me fasse souvent endever.
—Hum! fit l'ecrivain public. Il est maigrichon et palot. Ca ne fera pas un fameux soldat."
Mme Mathias contemplait le vieil ecrivain public avec des yeux ardents de tendresse; elle lui dit d'une voix souple, que je ne lui connaissais pas:
"Eh! ben? comment vas-tu, Hippolyte?
—Oh! dit-il, la sante n'est pas mauvaise. Le coffre est bon. Mais les affaires ne vont pas. Trois ou quatre lettres a cinq sous piece, le matin. Et c'est tout …"
Puis il haussa les epaules, comme pour secouer les soucis, et, tirant de dessous la table une bouteille et des verres, il nous versa du vin blanc.
"A ta sante, la vieille!
—A ta sante, Hippolyte!"
Le vin etait piquant. En y trempant mes levres, je fis la grimace.
"C'est une petite demoiselle, dit le vieillard. A son age, j'etais deja porte sur le vin et les amours. Mais on ne fait plus des hommes comme moi. Le moule en est brise."
Puis, me posant lourdement la main sur l'epaule:
"Tu ne sais pas, mon ami, que j'ai servi le petit caporal et fait toute la campagne de France. J'etais a Craonne et a Fere-Champenoise. Et, le matin d'Athis, Napoleon m'a demande une prise de tabac.
"Je crois le voir encore, l'empereur. Il etait petit, gros, le visage jaune, avec des yeux pleins de mitraille et un air de tranquillite. Ah! s'ils ne l'avaient pas trahi!… Mais les blancs sont tous des fripons."
Il se versa a boire. Mme Mathias sortit de sa muette contemplation et, se levant:
"Il faut que je m'en aille, a cause du petit."
Puis, tirant de sa poche deux pieces de vingt sous, elle les glissa dans la main de l'ecrivain public qui les recut avec un air de superbe indifference.
Quand nous fumes dehors, je demandai qui etait ce monsieur. Mme Mathias me repondait avec un accent d'orgueil et d'amour:
"C'est Mathias, mon petit, c'est Mathias!
—Mais papa et maman disent qu'il est mort."
Elle secoua la tete joyeusement.
"Oh! il m'enterrera et il en enterrera bien d'autres apres moi, des vieux et des jeunes."
Puis elle devint soucieuse:
"Pierre, ne va pas dire que tu as vu Mathias."
V
LES CONTES DE MAMAN
—Je n'ai pas d'imagination, disait maman.
Elle disait n'en pas avoir, parce qu'elle croyait qu'il n'y avait d'imagination qu'a faire des romans, et elle ne savait pas qu'elle avait une espece d'imagination rare et charmante qui ne s'exprimait pas par des phrases. Maman etait une dame menagere tout occupee de soins domestiques. Elle avait une imagination qui animait et colorait son humble menage. Elle avait le don de faire vivre et parler la poele et la marmite, le couteau et la fourchette, le torchon et le fer a repasser; elle etait au dedans d'elle-meme un fabuliste ingenu. Elle me faisait des contes pour m'amuser, et comme elle se sentait incapable de rien imaginer, elle les faisait sur les images que j'avais.
Voici quelques-uns de ses recits. J'y ai garde autant que j'ai pu sa maniere, qui etait excellente.
L'ECOLE
Je proclame l'ecole de Mlle Genseigne la meilleur ecole de filles qu'il y ait au monde. Je declare mecreants et medisants ceux qui croiront et diront le contraire. Toutes les eleves de Mlle Genseigne sont sages et appliquees, et il n'y a rien de si plaisant a voir que leurs petites personnes immobiles. On dirait autant de petites bouteilles dans lesquelles Mlle Genseigne verse de la science.
Mlle Genseigne est assise toute droite dans sa haute chaise. Elle est grave et douce; ses bandeaux plats et sa pelerine noire inspirent le respect et la sympathie.
Mlle СКАЧАТЬ