Contes de bord. Edouard Corbiere
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Contes de bord - Edouard Corbiere страница 6

Название: Contes de bord

Автор: Edouard Corbiere

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066087784

isbn:

СКАЧАТЬ avait bien gouverné, à son tour, et quand il était de barre, les navires où il avait été embarqué; mais une île, entendez-vous bien, ne se gouverne pas à la roue ou à la barre-franche, comme un brick ou un trois-mâts.

      «Comment, se disait-il à lui-même, vais-je faire pour commander à toute cette sale espèce qui n'entend pas plus le français que les chiens la musique? S'ils veulent bien se laisser battre, je pourrai peut-être me faire entendre; mais s'ils se mettent dans leurs vilaines têtes de me manger, cuit ou cru, au gros sel ou à la sauce noire, ma royauté sera bientôt finie. Essayons un peu cependant le gouvernement de la trique.»

      Ce qui fut dit fut fait. Le Roi-Matelot attrape une bille d'acajou, car partout il y avait de l'acajou dans l'île, et le voilà, pour essayer son sceptre, qui se met à bûcher les plus bêtes de sa cour. Les autres se mettent à rire et à danser autour du roi. «Bon, fit Pique-à-Terre, j'ai trouvé du premier coup la finesse de ma royauté: c'est de frapper dur et de faire jouer la bille.»

      Il prit bientôt au roi l'envie de se marier avec toutes les femmes de son île, et la bûche d'acajou fit encore son jeu, parce que les hommes de ces femmes faisaient la grimace, et une vilaine grimace même, à ce qu'on dit.

      «Ce n'est pas encore tout, pensa le roi, que d'avoir à moi les femmes de tout le monde, je veux avoir une garde impériale.» Il prit tous les plus grands, et il se fit un état-major de mangeurs de bananes.

      Comme il ne manquait pas de charpentiers dans l'île, pour faire des flèches à ces sauvages, il voulut aussi mettre l'État sur un bon pied; car en tout, mes amis, il faut de la discipline, et le navire gouverne mal quand le second veut commander au capitaine.

      A force de le haler, dit l'autre, le filain s'allonge. Pique-à-Terre, au bout de six mois, plus ou moins, commença à parler la langue du pays. Une fois qu'il put commander en bon français de l'endroit, à ses sujets, qui n'étaient pas plus malins que l'ordonnance de la marine ne le porte, il leur dit ces paroles en forme de décret:

      ARTICLE PREMIER.

      Il faudra qu'avant la fin de la semaine prochaine on me fasse une grand'hune sur l'arbre le plus haut de mon royaume.

      ARTICLE DEUX.

      Cette grand'hune sera mon trône, et gare à ceux qui passeront dessous!

      ARTICLE TROIS.

      Tous mes sujets mangeront dans des gamelles, et boiront ce qu'ils pourront, dans des bidons de sept.

      ARTICLE QUATRE.

      Cinq cents hommes feront le quart chaque nuit au pied du grand mât où sera Ma Majesté, pour empêcher de faire du bruit quand je dormirai, et quand je m'éveillerai je ne serai pas de bonne humeur.

      ARTICLE CINQ.

      Tout ce qui est à vous sera à moi, et tout ce qui m'appartiendra ne sera à personne.

      ARTICLE SIX.

      Quand je rirai, tout le monde sera content; si je deviens borgne, il me restera encore un oeil: ainsi, veille au grain!

      ARTICLE SEPT.

      Comme commandant de mon royaume, je choisirai pour seconds, officiers, maîtres et contre-maîtres, ceux qui plairont à Ma Majesté, et quand il me plaira de les renvoyer sans congé, ce sera signe qu'ils ne plairont plus à Ma susdite Majesté.

      ARTICLE HUIT.

      Je serai le maître tant que je vivrai, et quand j'irai faire la révérence au Père éternel, en vous faisant ma dernière grimace, vous pourrez vous battre, pour me remplacer, tant qu'il vous plaira; car telle est ma volonté.

      Signé LE ROI-MATELOT. Pour copie conforme: Mot tout seul.

      Après tout cela, le roi nomma ses ministres: c'étaient tous de grands gaillards qui, avec une garcette de bon filain en écorce d'arbre, vous faisaient marcher droit les sujets de Sa Majesté.

      Mais comme les sujets de l'Ile-va-t'en-Chercher-son-Nom n'étaient que de fichus paresseux qui se reposaient la nuit après avoir dormi tout le jour, le roi inventa une mécanique pour les faire travailler dur: «L'oisiveté, qu'il leur dit, est la mère de tous les vices, et je vais vous relever du péché de paresse, à ma manière.»

      Sa manière était solide, au Roi-Matelot, et je vais vous conter comment le malin s'y prit pour donner de l'ouvrage à tout son équipage.

      Il commença d'abord par faire mettre en travers, sur chaque arbre haut de cinquante pieds, un autre arbre, hissé en croix, si vous aimez mieux, et puis après il envoya en haut, des hommes pour gréer des suspentes et des balancines sur ces grands coquins d'arbres, comme sur la grande vergue d'un navire, sans comparaison. Quand cet ouvrage-là fut fini, il dit à tout son monde: «Hale dessus maintenant; brasse babord derrière et tribord devant.» C'était une vraie farce de voir dix mille hommes haler toute la journée sur les vergues de la forêt. Le roi, monté sur son trône, c'est-à-dire dans sa hune, commandait la manoeuvre avec un porte-voix de bois, et tous ceux qui ne halaient pas bien sur le bout de corde qu'on leur mettait dans la main, recevaient une doudouille (une volée) un peu ronflante, des ministres, qui n'étaient, une supposition, que les quartiers-maîtres du Prince-au-Long-Nez, car c'était le nom qu'on lui avait donné dans son royaume, à cette espèce de matelot parvenu.

      Une fois, je me suis laissé dire qu'il y avait eu son premier ministre qui s'était avisé de l'appeler l'empereur Nasica, par rapport à son nez.

      Un espion du prince, car il avait aussi des espions de tous les bords, vint lui récapituler cette parole dans le sifflet de l'oreille.

      «Oui, répondit le roi, qui ce jour-là s'était levé de mauvais poil; oui, je suis Nasica premier, empereur des Va-nu-Pieds; mais toi, mon premier ministre, tu seras pendu,»

      Effectivement le premier ministre, dix minutes après le rapport de l'espion, fut hissé par le cou au bout de la grande vergue du mât royal.

      Toutefois et quantes il n'était pas content de ses autorités, il leur faisait brasser une vergue pendant vingt-quatre heures de quart. Tout cambusier qui, en distribuant la ration à son escouade, s'avisait de rogner la portion du pauvre b...., était bien sûr d'être amarré sur le tenon (sur le sommet) d'un arbre gréé en bas-mât, et de recevoir en descendant une ration de coups de bout de corde qui n'était pas piquée des hannetons.

      C'était tout de même un bon roi que l'empereur Nasica Ier; il bûchait tout son monde; mais il était juste, et la justice fait toujours aimer ses chefs.

      Je ne vous ai pas dit qu'une fois, en montant sur son trône, qui était plus haut que la girouette du grand-mât de la frégate, il aperçut au large une façon de terre toute ronde. Le temps était beau et voyant ce jour-là. «Bon, dit-il, c'est une île que je viens de voir; elle me reste dans le nord-ouest-quart-de-ouest, distance de dix lieues, et en gouvernant dessus, je finirai par l'avoir.»

      Mais jusqu'à ce moment-là on n'avait pas pensé, dans l'île, à faire des pirogues.

      «Attrape tout de suite, dit le prince, à faire comme moi; qui m'aime me suive!» Tout le monde le suivit, parce que les coups de garcette étaient là pour un coup ou deux.

      La première СКАЧАТЬ