Название: Physiologie de l'amour moderne
Автор: Paul Bourget
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066087364
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Ce sont toujours les mêmes qui sont Amants, disais-je ou à peu près dans la Méditation III, pour faire pendant au mot célèbre: «A la guerre, ce sont toujours les mêmes qui se font tuer.» Or, ce qui constitue l'Amant, par-dessous l'enguirlandage des théories romanesques ou cyniques,—c'est le Sexe. Pour bien définir la nuance des sentiments que les hommes dont l'amour est l'unique affaire éprouvent auprès d'une femme, c'est leur histoire sexuelle qu'il faudrait établir. Un laboureur, nourri de lard, de fromage et de pommes de terre, qui peine tout le jour, qui n'ouvre jamais un livre, quand il est assailli par la puberté, comme une bête, vers ses dix-huit ans, peut-il être comparé à ce que nous étions, vous ou moi, à cet âge où notre innocence valait à peu près celle d'un capitaine de hussards? J'ai parlé du lard, du fromage et des pommes de terre, car ce n'est pas seulement le plus ou moins de pratiques amoureuses qui modifie l'instinct sexuel, c'est la nourriture et c'est la boisson, c'est les occupations et c'est l'air respiré. L'ouvrier qui travaille le caoutchouc perd sa virilité par la seule influence du sulfure de carbone, et celui qui fabrique des allumettes, par celle du phosphore. Voilà deux cas extrêmes d'un fait constant. L'hérédité apparaît aussi comme un puissant modificateur de cet instinct. Entre la fille d'un père chaste et celle d'un père qui a vécu, entre le fils d'une honnête femme et le fils d'une femme galante; il y a la même différence qu'entre les enfants d'un goutteux et ceux d'un phtisique.... Imaginons maintenant le jeune homme d'aujourd'hui, que la nature destine à jouer le rôle d'Amant, et suivons les étapes de sa sensualité, en tenant compte de ces quelques réflexions qui ne sont qu'un commentaire du vieil adage: «Totus homo semen est....» lequel correspond à cet autre: «Tota mulier in utero....» Je laisse au lecteur le soin de traduire ces deux petites formules à mes lectrices, s'il en est qui aient pu supporter l'atmosphère de laboratoire répandue à dessein sur ces Méditations, pour en écarter le public à qui elles pourraient nuire.
Le futur Amant vient d'entrer dans sa dixième année. Des deux animaux qui vivent en nous, celui qui se nourrit, celui qui se reproduit, le premier seul fonctionne en plein travail. Le second sommeille. C'est le moment où d'ordinaire les parents mettent le petit garçon interne au lycée. Si le père est occupé, il a trop de soucis en tête pour suivre l'éducation du fils. S'il n'est pas occupé, il a trop de soucis encore, entre le cercle et le théâtre, les visites et ses maîtresses. Et puis, où prendrait-il les éléments d'une éducation qu'il n'a pas reçue lui-même? Quant à la mère, elle doit tenir sa maison, ou, pour peu qu'elle soit riche, elle est, elle aussi, huit fois sur dix, très «fin de siècle»; et du jour où l'enfant cesse d'être un joli objet qui marche, une poupée à parer, pomponner, friser, déshabiller, rhabiller, à quoi lui servirait-il, d'autant plus qu'il n'est pas toujours commode à faire taire? L'autre jour, un monsieur aux yeux de qui elle se pose en madone arrive à la maison, s'assied sur une chaise, et, la trouvant peu solide, change de siège: «C'est Seldron qui l'a cassée,» s'écrie l'enfant. «Pourquoi ne vient-il plus, dis, maman?...» Ledit Seldron est un grand et gros homme de quarante ans, taillé en portefaix, qui a été l'amant de la dame pendant plusieurs années, et dont le postulant actuel a la naïveté d'être jaloux,—dans le passé. C'est des paroles à la suite desquelles une Parisienne de 1885, 6, 7 ou 8 sent en elle pour son fils les entrailles de Médée. Et voilà pourquoi l'ex-enfant-bibelot, comme un humoriste appelle les garçonnets riches dont la vitrine est un coussin de coupé ou un fauteuil de salon, se trouve soudain transformé en un potache qui, à dix ans, se lave à peine et mange ses ongles, à onze, fume dans les cabinets des cigarettes de copeaux, chante à douze des chansons de corps de garde, et, vers treize ou quatorze, entreprend sur lui-même et sur ses camarades quelques études pratiques de physiologie comparée.
Je ne voudrais pas les exagérer, ces vices du potache, ni leur donner une importance plus grande que les intéressés eux-mêmes. Tous les pères les connaissent, sinon toutes les mères, et comme ils continuent d'envoyer leurs fils dans les internats de l'Université,—réservons toujours les maisons religieuses, où la confession corrige tout,—ils ont accepté cela, comme la coqueluche, la rougeole et le vaccin. D'ailleurs, j'ai vu comment furent accueillis par la critique ceux de mes confrères qui, dans leurs livres, ont paru s'intéresser avec passion à ce problème évidemment grotesque:—la pudeur des enfants. Soit, le potache perdra toute pudeur. Dès seize ans, il soignera quelque maladie honteuse, de celles qui fournissent l'occasion à un concours de réclames en plusieurs langues, sur certaines murailles, ce qui donne, entre parenthèses, une étonnante idée du cosmopolitisme galant des Parisiennes, et il en sera fier comme d'une belle action. Cela l'initiera de meilleure heure à la vie. Il verra s'établir autour de lui des liaisons entre grands et petits, les unes légères, d'autres sérieuses, avec cadeaux et demi-entretien; d'autres avec accompagnement de vers et de prose. Cela ne le préparera-t-il pas aux liaisons d'un autre ordre qu'il trouvera dans le monde? Il chantera des chansons obscènes. Tant mieux, il est mûr pour la caserne et le service obligatoire, cette initiation que le patriotisme parlementaire impose à toute la jeunesse, les futurs prêtres y compris; et nos législateurs ont oublié de se demander ce que représente de destruction sociale la promiscuité militaire sans foi religieuse ni morale d'aucune sorte. Il s'agit d'abord de n'avoir pas une armée de prétoriens, n'est-ce pas? Le collégien se livrera sur lui-même à de vilaines pratiques. Ce sont de petites malpropretés qui passent, et puis, êtes-vous sûr que ce soit même vrai? La surveillance du collège est excellente, les maîtres d'étude choisis avec soin; le proviseur est officier de la Légion d'honneur. On a fait beaucoup depuis quelques années pour assainir les internats....
Comme c'est beau, l'optimisme; et quelle force! Elle m'a toujours manqué, et je le déplore. Ainsi, quand je vois passer un troupeau de collégiens en tunique, au lieu de me féliciter sur la bonne organisation de notre démocratie qui assure à ces tendres élèves un enseignement vraiment rationnel, j'ai la malheureuse idée de voir leur père en train de s'amuser avec une catin, leur mère en train de rouler СКАЧАТЬ