Physiologie de l'amour moderne. Paul Bourget
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Название: Physiologie de l'amour moderne

Автор: Paul Bourget

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066087364

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СКАЧАТЬ combien l'amour est une force de la nature, incompréhensible et ingouvernable.—Le véritable homme à femmes est toujours aimé. Il l'est à quinze ans, et il s'appelle Chérubin. Il l'est à vingt, à trente, à quarante, et vous pouvez, suivant le cas, lui donner le nom de tous les jeunes premiers de tous les romans et de toutes les pièces. Il l'est sur le bord de la vieillesse, comme le baron Hulot. L'on en peut citer, entre autres exemples historiques, le premier Lauzun et Richelieu, ces deux héros de séduction de l'ancien régime. Ils furent bien réels, ceux-là, bien vivants, ils ne comptent point parmi les fantaisies des écrivains. Ce ne sont que deux types illustres de cette race Juanesque qui continue de se reproduire indéfiniment. Je me souviens d'avoir rencontré en Italie le prince Nicolas Wérékiew, un grand seigneur russe âgé d'au moins soixante ans qui aurait pu rivaliser avec ces deux célèbres vieillards. Il était blanc comme neige, avec de vagues reflets blonds qui doraient encore sa moustache, et il ne cherchait à dissimuler son âge par aucun artifice de toilette. Il faut ajouter qu'il n'avait pas perdu un pouce de sa taille de garde-noble, qu'il était mince et souple comme un jeune homme, que son rire montrait une rangée de dents très blanches, que ses yeux bleus y voyaient de tout près et de loin, sans aucune lunette, enfin qu'il donnait, même à son âge, l'impression d'un superbe animal humain. Sa première histoire datait de 1843,—elle fit assez de tapage à l'époque pour qu'il dût partir de Pétersbourg dans les vingt-quatre heures. Il avait été trouvé trop charmant en trop haut lieu. Je l'ai connu en 188-, à Pise, où l'avait appelé une mourante, la pauvre lady Florence Wadham, que je vois toujours, avec son idéal visage de poitrinaire blonde. Elle avait vingt-cinq ans, se savait condamnée, et elle n'avait pas voulu partir sans dire adieu au seul homme qu'elle eût jamais aimé. Il n'y avait pas huit jours que le prince était à Pise, et la marquise Branciforte y débarquait. C'était la maîtresse actuelle, une des plus belles Italiennes que j'aie rencontrées, le profil d'une médaille de Syracuse, avec des yeux noyés, une pâleur ambrée, une chevelure d'un noir mat et la stature d'une déesse. Folle de jalousie, elle venait se convaincre que sa rivale était bien mourante, et le prince n'éprouvait pas le moindre embarras entre ces deux femmes qui n'auraient pas osé se plaindre devant lui, ni l'une ni l'autre, de peur de lui déplaire. Il ne semblait pas soupçonner lui-même l'immoralité de sa propre conduite, ni qu'il était marié, quelque part, en Europe, ni que son fils aîné devait bien avoir trente ans. Mais c'est là un second trait de l'homme d'amour. Il ignore tout scrupule quand il s'agit d'aimer et d'être aimé. S'il est dans une carrière quelconque, il sera toujours prêt à sacrifier ses devoirs et ses intérêts à un rendez-vous avec la reine du moment. Il fera comme ce sous-officier qui, l'année dernière, offrait à un ministre étranger de lui vendre le secret de fabrication d'un nouveau fusil pour donner des bijoux à sa maîtresse. Il lui arrivera, comme à mon camarade André Mareuil, de bouleverser une situation acquise et tout son avenir pour une femme rencontrée il y a cinq minutes. André était chroniqueur dans un journal du boulevard,—ci quinze cents francs par mois pour deux articles par semaine. Il tenait le courrier dramatique dans une autre feuille,—ci huit cents francs. Il y avait seize mois déjà que durait cette situation, et André, que nous avions vu autrefois si fou, couvert de dettes, saisi, affolé de désordre, nous semblait définitivement classé parmi les bons ouvriers de lettres qui acceptent la copie comme un métier et se font une vie aussi facile que sûre. Le directeur de son premier journal le prie d'aller, pour un article à sensation, causer avec une célèbre Impure qui revenait d'Egypte. Elle pouvait donner quelques détails intéressants sur un personnage politique alors en vedette. André arrive chez la dame. Il dînait à sept heures avec deux confrères, puis tous les trois se rendaient à une première des Français. Quatre heures sonnaient. Notre ami dit à son fiacre de l'attendre. Une demi-heure de conversation,—une heure et demie pour la chronique,—le reste pour s'habiller et passer au journal, puis du journal chez lui. Ses minutes étaient comptées. On l'introduit dans un salon encore garni de ses housses, les murs presque nus. La maîtresse de la maison paraît. Ces deux êtres reçoivent à la fois le coup de foudre. André oublie son fiacre, son dîner, son article, la première représentation. Il envoie prendre, dans l'hôtel où il occupait un appartement, une valise, quelques chemises, un costume; et il part, le soir même, pour une campagne que la dame possédait près de Fontainebleau. Il y resta six mois sans même avertir ses deux journaux, qui le remplacèrent dans la semaine, sans écrire à un seul ami, sans régler sa note à son hôtel, où ses papiers, ses livres et sa garde-robe étaient demeurés en gages,—bref, sans penser à rien, sinon qu'il n'avait jamais été aimé comme cela. Et voici le plaisant, la veille au soir, nous avions causé ensemble longuement; il m'avait raconté son projet d'une installation nouvelle et définitive. Il avait un peu d'argent d'avance, du crédit chez un tapissier.

      —«Que veux-tu,» me dit-il plus tard quand je lui rappelai ses sages résolutions, «je voulais me mettre dans mes meubles, je me suis mis dans les siens....»

      Ce mot fut jeté avec une grâce qui en sauvait le cynisme, la grâce-fille des hommes trop aimés. Je n'eus pas le cœur de lui en faire honte. Je sentais si bien qu'il avait accepté de loger chez sa maîtresse, et d'y vivre une demi-année, comme il l'eût installée dans un hôtel en dépensant deux millions pour elle, s'il les avait eus, avec cet oubli de l'argent, avec cette insouciance absolue du tien et du mien qui fait absoudre ces bohémiens galants de tant de fautes. Aussi est-ce un grand malheur pour un de ces amants professionnels de n'être pas né riche. Les femmes ont vite fait de le corrompre. Elles, non plus, quand il s'agit d'amour, ne tiennent aucun compte de l'honneur et de la morale. Elles ne connaissent pas de plus profond, de plus intime plaisir que d'entretenir celui qu'elles aiment, non point, comme on l'a dit, pour avoir quelqu'un à mépriser, mais tout au contraire pour l'adorer davantage. On l'a bien vu, lors de l'affaire Pranzini, aux efforts désespérés que tenta sa vieille maîtresse pour sauver cette «tête charmante», comme disait Racine. Si abominable que fût ce scélérat, malgré son crime et son infamie, il était resté pour elle l'Amant. Que dis-je? pour elle? Il l'était resté pour d'autres femmes, témoignant ainsi par un exemple aussi saisissant que monstrueux du pouvoir que le mâle d'une certaine sorte exerce sur le féminin,—pouvoir que la pire ignominie dégrade sans le détruire! Je parlais tout à l'heure du pharmacien Aubert, cette victime. Comparez, pour mieux apprécier la différence entre le faux homme à femmes et le vrai, sa piteuse figure à la physionomie de l'assassin de la pauvre Marie Regnault. Quelle maestria dans ce dernier! Quelle certitude! Quel frémissement de curiosité autour de lui! Quelle fidélité dans le dévouement inspiré! A l'heure présente, je gagerais que cet ancien courrier de sleeping-car est pleuré dans plus d'un lit. On le revoit dans des rêves, on bénit les nuits où il est venu montrer au regard de ses veuves ce corps dont plusieurs journaux—c'est un respectable privilège que la liberté de la presse!—ont cru devoir donner la description pour satisfaire leurs lectrices, et qui lui avait valu ce nom prodigieux de «chéri magnifique ...» de la part d'une de ses inconnues! Car il a eu des inconnues, l'affreux égorgeur d'enfants, comme Mérimée, comme Balzac, comme lord Byron....—O ironie de la gloire qui confond dans les mêmes triomphes le pur génie et l'abjecte crapule!

      N'exagérons rien et n'outrageons pas les femmes en prétendant que, pour les séduire, il suffit d'être un Alphonse doublé d'un Hercule. Pour ce qui est du dernier point, le contraire serait plus exact. Parmi les hommes à bonnes fortunes que j'ai bien étudiés physiologiquement, tantôt avec envie, tantôt avec dégoût, toujours avec curiosité, huit sur dix étaient plutôt nerveux que musclés, plutôt minces et souples que robustes et athlétiques. Mais ils avaient tous ce fond de tempérament où gît la force vitale. Ils mangeaient et digéraient supérieurement. Ils avaient aussi cette indéfinissable faculté d'adaptation du mouvement qui est l'adresse. Presque tous possédaient quelque talent tout physique: bien danser, bien monter à cheval, bien jouer à la paume, bien tirer des armes. En vertu de cette même agilité corporelle, ils étaient admirablement habillés, ou ils en avaient l'air, sans d'ailleurs s'en occuper davantage. L'élégance qui distingue l'Amant professionnel ne réside en effet ni dans la coupe d'un vêtement ni dans le choix d'une étoffe. Elle résulte d'une espèce de grâce animale qui ne s'apprend pas et que les années n'enlèvent guère, témoin le plus fameux des Amants de ce siècle, le seul peut-être qui ait cumulé une existence d'homme d'amour, СКАЧАТЬ