Название: Anie
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066089573
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— Parce que, si tu approches d'une lumière ou du feu, tu es exposée au plus effroyable des dangers.
— Je ne m'en approcherai pas.
— Qui peut savoir !
— Moi.
— Pense-t-on à tout ?
— Quand on veut, oui ; tu vois bien que je ne te sers pas ton dîner. Sois donc tranquille, et ne t'inquiète que d'une chose : cela me va-t-il ? regarde un peu.
Elle recula jusqu'au milieu du hall, sous la lumière d'un petit lustre hollandais en cuivre dont l'authenticité égalait celle du coquemar.
— Eh bien ? demanda-t-elle ; puisqu'il est convenu qu'on portera ce soir des toilettes de fantaisie, en pouvais-je inventer une plus originale, et, ce qui a bien son importance pour nous, moins chère ? tu sais, pas ruineux le papier à fleurs.
Tout en mangeant sur le coin de la table la tranche de bouilli qu'il avait tirée du fourneau, il regardait par la porte restée ouverte sa fille campée devant lui, et, bien que ses craintes ne fussent pas chassées, il ne pouvait pas ne pas reconnaître que cette toilette ne fût vraiment trouvée à souhait pour rendre Anie tout à fait charmante. Il n'avait certainement pas attendu jusque-là pour se dire qu'elle était la plus jolie fille qu'il eût vue, mais jamais il n'avait été plus vivement frappé qu'en ce moment par la mobilité ravissante de sa physionomie, l'éclair de son regard, la caresse de ses grands yeux humides, la finesse de son nez, la blancheur, la fraîcheur de son teint, la souplesse de sa taille, la légèreté de sa démarche.
Comme elle lisait ce qui se passait en lui, elle se mit à sourire :
— Alors tu ne grondes plus ? dit-elle.
— Je le devrais.
— Mais tu ne peux pas. Sois tranquille, et dis-toi qu'aujourd'hui la chance est avec nous. Pouvions-nous souhaiter une plus belle soirée que celle qu'il fait en ce moment, un ciel plus clair, un temps plus assuré ? Personne ne nous manquera.
— Tu tiens donc bien à ce qu'il ne manque personne ?
— Si j'y tiens ! Mais est-ce que ce n'est pas précisément parmi ceux qui manqueraient que se trouverait mon futur mari ?
— Peux-tu rire avec une chose aussi sérieuse que ton mariage !
Elle quitta le milieu du hall et vint s'appuyer contre la porte de la cuisine, de façon à être plus près de son père, mieux avec lui, plus intimement :
— Ne vaut-il pas mieux rire que de pleurer ? dit-elle ; d'ailleurs je ne ris que du bout des lèvres, et ce n'est pas sans émotion, je t'assure, que je pense à mon mariage. Pendant longtemps maman, qui me voit avec des yeux que les autres n'ont pas sans doute, s'est imaginée que je n'aurais qu'à me montrer pour trouver un mari, et elle me l'a dit si souvent, que je l'ai cru comme elle ; il y avait quelque part, n'importe où, une collection de princes charmants qui m'attendaient. Le malheur est que ni elle ni moi n'ayons pas trouvé le chemin fleuri qui conduit à ce pays de féerie, et que nous soyons restées rue de l'Abreuvoir, où nous attendons des prétendants, s'il en vient, qui certainement ne seront pas princes, et qui peut-être ne seront même pas charmants.
— S'ils ne sont pas charmants, tu ne les accepteras pas ; qui te presse de te marier ?
— Tout ; mon âge et la raison.
— A vingt et un ans il n'y a pas de temps de perdu.
— Cela dépend pour qui : à vingt ans une fille sans dot est une vieille fille, tandis qu'à vingt-quatre ans celle qui a une dot est encore une jeune fille ; or, je suis dans la classe des sans dot, et même dans celle des sans le sou.
— Voilà pourquoi je voudrais qu'il n'y eût point de hâte dans ton choix. Si tu es sans dot aujourd'hui, notre situation peut changer demain, ou, pour ne rien exagérer, bientôt. J'ai tout lieu de croire qu'on va m'acheter le brevet de ma théière, et si ce n'est pas la fortune, au moins est-ce l'aisance. Les expériences instituées sur la ligne de l'Est pour mon système de suspension des wagons ont donné les meilleurs résultats et supprimé toute trépidation : les ingénieurs sont unanimes à reconnaître que mes menottes constituent une invention des plus utiles. De ce côté nous touchons donc aussi au succès ; et c'est ce qui me fait te demander d'avoir encore un peu de patience.
— Je t'assure que je ne doute pas de l'excellence de tes inventions, mais quand se réaliseront-elles ? Demain ? Dans cinq ou six ans ? Tu sais mieux que personne qu'en fait d'inventions tout est possible, même l'invraisemblable. Dans six ans j'aurais vingt-sept ans, quel mari voudrait de moi ! Laisse-moi donc prendre celui que je trouverai, même si c'est demain, alors que je ne suis encore que la pauvre fille sans le sou, qui n'a pas le droit de montrer les exigences qu'aurait la fille d'un riche inventeur.
— As-tu donc des raisons de penser que parmi nos invités il y en ait qui veuillent te demander ?
— Il suffit qu'il puisse s'en trouver un pour que je souhaite que celui-là ne soit pas empêché de venir ce soir. L'année dernière les invitations avaient été faites de telle sorte que les jeunes gens ne voulaient danser qu'avec les femmes mariées, et les hommes mariés qu'avec les jeunes filles ; cette année les femmes mariées étant rares, il faudra bien que les jeunes gens viennent à nous, et j'espère que dans le nombre il s'en rencontrera peut-être un qui ne considérera pas le mariage comme une charge au-dessus de ses forces. Je t'assure que je ne serai ni difficile, ni exigeante ; qu'il dise un mot, j'en dirai deux.
— Eh quoi ! ma pauvre enfant, en es-tu là ?
— Là ? c'est-à-dire revenue des grandes espérances de maman ? Oui. C'est peut-être drôle que ce soit la fille et non la mère qui jette un clair regard sur la vie, cependant c'est ainsi. Du jour où j'ai compris que je devais me marier, j'ai fait mon deuil de mes idées et de mes rêves de petite fille, et c'est au mariage lui-même que je me suis attachée, plus qu'au mari. Te dire que j'ai accepté cela gaiement ou indifféremment ne serait pas vrai ; il m'en a coûté, beaucoup même, mais je ne suis pas de celles qui ferment les yeux obstinément parce que ce qu'elles voient leur déplaît, les blesse ou les inquiète. J'ai reçu ainsi plus d'une leçon. La mort de M. Touchard a été la plus forte. On pouvait croire qu'il vivrait jusqu'à quatre-vingt-dix ans et marierait ses filles comme il voudrait. Il est mort à cinquante-cinq, et Berthe chante dans un café-concert de Toulon ; Amélie, dans un de Bordeaux. Que deviendrions-nous si nous te perdions ? Je n'aurais pas même la ressource de Berthe et d'Amélie, puisque je ne sais pas chanter.
— Ne parle pas de cela, c'est mon angoisse.
— Il faut bien que je te dise pourquoi je tiens à me marier, que tu ne croies pas que c'est par toquade, ou pour me séparer de toi. Assurée que nous vivrons encore longtemps ensemble, je t'assure que j'attendrais bien tranquillement qu'un mari se présente sans me plaindre de la médiocrité de notre existence. Mais cette assurance je ne peux pas l'avoir, pas plus que tu ne peux me la donner. Des gens que nous connaissons, M. Touchard était le plus solide, ce qui n'a pas empêché que la maladie l'emporte. Qu'adviendrait-il de nous ? Pas un sou, pas d'appui à demander, puisque nous n'avons d'autres parents que mon oncle Saint-Christeau, qui ne ferait rien pour nous, n'est-ce pas ?
— Hélas !
— Alors comprends-tu que l'idée de mariage me soit entrée dans la tête ?
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