Название: Anie
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066089573
isbn:
— Vous n'avez rien à me défendre ni à m'ordonner ; et le ton que vous prenez n'est pas ici à sa place. Peut-être était-il admissible quand vous étiez M. de Saint-Christeau ; mais maintenant que vous avez perdu votre noblesse avec votre fortune pour devenir simplement le père Barincq, employé de l'office Chaberton ni plus ni moins que moi, il est ridicule avec un camarade qui est votre égal. Quant à votre fille, j'ai le droit de parler d'elle, de la juger, de la critiquer, même de me ficher d'elle…
— Monsieur !
— Oui, mon bonhomme, de me ficher d'elle, de la blaguer…. puisqu'elle est une artiste. Quand par suite de malheurs, ils sont connus ici vos malheurs, on laisse sa fille fréquenter l'atelier Julian, et exposer au Salon des petites machines pas méchantes du tout, pour lesquelles on mendie une récompense de tous les côtés, on n'a pas de ces fiertés-là.
— Taisez-vous ; je vous dis de vous taire.
L'accent aurait dû avertir Belmanières qu'il serait sage de ne pas continuer ; mais, avec le rôle de provocateur qu'il prenait à chaque instant, obéir à cette injonction eût été reculer et abdiquer ; d'ailleurs une querelle ne lui faisait pas peur, au contraire.
— Non, je ne me tairai pas, dit-il ; non, non.
— Vous nous ennuyez, cria Morisette.
— Raison de plus pour que je continue ; il est 6 heures 52 minutes, vous en avez encore pour huit minutes, puisqu'il n'y en a pas un seul de vous assez résolu pour déguerpir avant que 7 heures n'aient sonné. C'est Anie, n'est-ce pas, qu'elle se nomme votre fille, monsieur Barincq ?
Barincq ne répondit pas.
— En voilà un drôle de nom. Vous vous êtes donc imaginé, quand vous le lui avez donné, que c'est commode un nom qui commence par Anie. Anie, quoi ? Anisette ? Alors ce serait un qualificatif de son caractère. Ou bien Anicroche qui serait celui de son mariage.
— Il y a encore autre chose qui commence par ani, interrompit un employé qui n'avait encore rien dit.
— Quoi donc ?
— Il y a animal qui est votre nom à vous.
— Monsieur Ladvenu, vous êtes un grossier personnage.
— Vraiment ?
— Il y a aussi animosité, dit Morisette, qui est le qualificatif de votre nature ; ne pouvez-vous pas laisser vos camarades tranquilles, sans les provoquer ainsi à tout bout de champ ; c'est insupportable d'avoir à subir tous les soirs vos insolences, que vous trouvez peut-être spirituelles, mais qui pour nous, je vous le dis au nom de tous, sont stupides.
Précisément parce que tout le monde était contre lui, Belmanières voulut faire tête :
— Il y a aussi animation, continua-t-il en poursuivant son idée avec l'obstination de ceux qui ne veulent jamais reconnaître qu'ils sont dans une mauvaise voie ; et c'est pour cela que je regrette de n'avoir pas été invité rue de l'Abreuvoir, j'aurais été curieux de voir une jeune personne qui se coiffe d'un béret bleu quand elle va à son atelier, ce qui indique tout de suite du goût et de la simplicité, manœuvrer ce soir pour pêcher un mari…
Brusquement la porte de Barincq s'ouvrait, et, avant que Belmanières revenu de sa surprise eût pu se mettre sur la défensive, il reçut en pleine figure un furieux coup de poing qui le jeta dans la cage de Jugu.
— Je vous avais dit de vous taire, s'écria Barincq.
Tous les employés sortirent précipitamment dans le passage, et, avant que Belmanières ne se fût relevé, se placèrent entre Barincq et lui.
Mais cette intervention ne paraissait pas bien utile, Belmanières n'ayant évidemment pas plus envie de rendre la correction qu'il avait reçue que Barincq de continuer celle qu'il avait commencée.
— C'est une lâcheté, hurlait Belmanières, entre collègues ! entre collègues ! sans prévenir.
Et du bras, mais à distance, il menaçait ce collègue, en se dressant et en renversant sa tête en arrière : évidemment il eut pu être redoutable pour son adversaire, et, trapu comme il l'était, carré des épaules, solidement assis sur de fortes jambes, âgé d'une trentaine d'années seulement, il eût eu le dessus dans une lutte avec un homme de tournure plus leste que vigoureuse ; mais cette lutte il ne voulait certainement pas l'engager, se contentant de répéter :
— C'est une lâcheté ! Un collègue !
— Vous n'avez que ce que vous méritez, dit Morisette, M. Barincq vous avait prévenu.
Spring seul n'avait pas bougé ; quand il eut avalé le morceau qu'il était en train de manger, il sortit à son tour de son bureau, vint à Barincq, et, lui prenant la main, il la secoua fortement :
— All right, dit-il.
Aussitôt les autres employés suivirent cet exemple et vinrent serrer la main de Barincq.
— N'étaient vos cheveux gris, disait Belmanières de plus en plus exaspéré, je vous assommerais.
— Ne dites donc pas de ces choses-là, répondit Morisette, on sait bien que vous n'avez envie d'assommer personne.
— Insulter, oui, dit Ladvenu ; assommer, non.
— Vous êtes des lâches, vociféra Belmanières, de vous mettre tous contre moi.
— Dix manants contre un gentilhomme, dit Jugu en riant.
— Allons, gentilhomme, rapière au vent, cria Ladvenu.
Belmanières roulait des yeux furibonds, allant de l'un à l'autre, cherchant une injure qui fût une vengeance ; à la fin, n'en trouvant pas d'assez forte, il ouvrit la porte avec fracas :
— Nous nous reverrons, s'écria-t-il en les menaçant du poing.
— Espérons-le, ô mon Dieu !
— Quel chagrin ce serait de perdre un collègue aimable comme vous !
— Tous nos respects.
— Prenez garde à l'escalier.
Ces mots tombèrent sur lui drus comme grêle avant qu'il eût fermé la porte.
— Messieurs, je vous demande pardon, dit Barincq quand Belmanières fut parti.
— C'est nous qui vous félicitons.
— En entendant parler ainsi de ma fille, je n'ai pas été maître de moi ; m'attaquant dans ma tendresse paternelle, il devait savoir qu'il me blessait cruellement.
— Il le savait, soyez-en sûr, dit Jugu.
— Seulement je suppose, dit Spring la bouche pleine, qu'il n'avait pas cru que vous iriez jusqu'au coup de poing.
— Et voilà pourquoi nous ne pouvons que vous approuver de l'avoir donné, dit Morisette, à qui ses fonctions СКАЧАТЬ