Les beaux messieurs de Bois-Doré. George Sand
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Название: Les beaux messieurs de Bois-Doré

Автор: George Sand

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066084059

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СКАЧАТЬ l'air de lui dire:

      «Après tout, nous n'en sommes pas moins de bonnes gens, prêts à vous obliger.»

      Enfin, il fut question de servir le rôt, et, au milieu d'un grand bruit de portes et de cliquetis d'assiettes, M. de Bois-Doré parut, précédé d'un petit serviteur richement équipé, qu'il traitait tout bas de page, comme pour justifier ce vers, qui n'avait pas encore accusé le ridicule de ses pareils:

      Tout marquis veut avoir des pages,

      et contrairement aux ordonnances, qui ne permettaient plus les pages qu'aux princes et grands seigneurs de haut vol.

      Malgré sa mélancolie habituelle et son malaise présent, d'Alvimar eut peine à s'empêcher de rire à l'apparition de son hôte fiduciaire.

      M. Sylvain de Bois-Doré avait été un des beaux hommes de son temps. Grand, bien fait, noir de cheveux avec la peau blanche, des yeux magnifiques, de beaux traits, robuste et léger de son corps, il avait plu à beaucoup de dames, mais sans inspirer jamais de passion durable ou violente. C'était la faute de sa propre légèreté et de l'économie qu'il faisait de ses propres émotions.

      Une bonté sans limites, une loyauté très-grande eu égard à son temps et à son milieu, une prodigalité princière dans les chances fortuites de la richesse, une parfaite philosophie aux heures de la débine (c'était son mot), toutes les qualités aimables et faciles des aventuriers champions du Béarnais, ne suffisaient pas pour faire un héros passionné, comme on les aimait du temps de sa jeunesse.

      C'était une époque exaltée et sanguinaire où la galanterie avait besoin d'un peu de férocité pour s'élever à l'attachement romanesque, et Bois-Doré, hors du combat, où il se portait vaillamment, était d'une mansuétude révoltante. Il n'avait assassiné aucun mari, aucun frère; il n'avait égorgé aucun rival dans les bras de ses maîtresses infidèles; Javotte ou Nanette le consolaient aisément des trahisons de Diane ou de Blanche. Il passait donc alors, malgré son goût pour les romans de pastorale et de chevalerie, pour un petit esprit et un cœur tiède.

      Il avait pris d'autant mieux son parti d'être joué et berné par les dames, qu'il ne s'en était jamais aperçu. Il se savait beau, libéral et brave; ses aventures étaient courtes mais nombreuses; son cœur avait besoin de plus d'amitié que d'emportement, et, par sa discrétion et sa douceur de mœurs, il avait mérité de rester l'ami de tout le monde. Il s'était donc trouvé heureux sans se tracasser pour être adoré, et, franchement, il avait aimé un peu toutes les belles sans en adorer aucune.

      On l'eût bien accusé d'égoïsme si le reproche eût été facile à concilier avec celui qu'on lui faisait d'être trop bon et trop humain. Il était bien un peu la caricature du bon Henri, que plusieurs traitaient d'ingrat et de traître, et que tous aimaient quand même, après l'avoir fréquenté.

      Mais le temps avait marché, et c'était encore là une chose dont messire de Bois-Doré n'avait pas daigné s'apercevoir. Son corps souple s'était durci et roidi, sa belle jambe s'était séchée, son noble front s'était dégarni, son grand œil s'était entouré de rides comme le soleil de rayons, et, de toute sa jeunesse envolée, il n'avait conservé que des dents, un peu longues, mais encore blanches et bien rangées, avec lesquelles il affectait de casser des noisettes au dessert, pour que l'on y fit attention. On disait même, chez ses voisins, qu'il était fort contrarié si l'on oubliait d'en mettre pour lui sur la table.

      Quand nous disons que M. de Bois-Doré ne s'était pas aperçu des outrages du temps, c'est une façon d'exprimer le contentement qu'il avait encore de lui-même; car il est certain qu'il se vit vieillir et qu'il combattait l'effet des ans avec une vaillante obstination. Je crois que la plus grande énergie dont il se sentit capable fut employée à cette bataille.

      Lorsqu'il vit ses cheveux blanchir et s'en aller, il fit exprès le voyage de Paris pour se commander une perruque chez le meilleur faiseur. Déjà la perruquerie devenait un art; mais les chercheurs de détails nous ont appris que, pour avoir des raies de tête en soie blanche avec cheveux implantés un par un, il fallait dépenser au moins soixante pistoles.

      M. de Bois-Doré ne s'arrêta pas devant cette bagatelle, lui qui était riche désormais et qui mettait fort bien douze à quinze cents francs de notre monnaie à un habillement de demi-toilette, cinq à six mille à un habit de gala. Il courut essayer des perruques: d'abord il s'éprit d'une blonde crinière qui lui allait merveilleusement bien au dire du perruquier.

      Bois-Doré, qui ne s'était jamais vu blond, commençait à le croire, lorsqu'il en essaya une châtain qui, toujours au dire du vendeur, lui allait tout aussi bien. Les deux étaient du même prix; mais Bois-Doré en essaya une troisième qui coûtait dix écus de plus et qui jeta le marchand dans l'enthousiasme: celle-là était véritablement la seule qui fit ressortir les avantages de M. le marquis.

      Bois-Doré se souvint du temps où les dames disaient qu'il était rare de voir une chevelure aussi noire que la sienne avec une peau aussi blanche.

      —Ce perruquier doit avoir raison, pensa-t-il.

      Et, pourtant, il s'étonna quelques instants devant la glace, de voir que cette crinière sombre lui donnait l'air dur et violent.

      —C'est surprenant, se dit-il, comme cela me change! Cependant, c'est ma couleur naturelle. J'avais, dans ma jeunesse, l'air aussi doux que je l'ai encore. Mes épais cheveux noirs ne me donnaient pas cette mine de mauvais garçon.

      Il ne lui vint pas à l'idée que tout est en parfaite harmonie dans les opérations de la nature, soit qu'elle nous fasse, soit qu'elle nous défasse, et qu'avec ses cheveux gris il avait la mine qu'il devait avoir.

      Mais le perruquier lui répéta tant de fois qu'il ne paraissait plus que trente ans avec cette belle perruque, qu'il la lui acheta et lui en commanda sur-le-champ une seconde, par économie, disait-il, afin de ménager la première.

      Néanmoins, il se ravisa le lendemain. Il se trouvait plus vieux qu'auparavant avec cette tête de jeune homme, et c'était l'avis de tous ceux qu'il avait consultés.

      Le perruquier lui expliqua qu'il fallait mettre d'accord les cheveux, les sourcils et la barbe, et il lui vendit la teinture. Mais alors Bois-Doré se trouva si blême au milieu de ces taches d'encre, qu'il fallut encore lui expliquer que le fard était nécessaire.

      —Il paraît, dit-il, que quand on commence à user d'artifice, il n'est plus possible de s'arrêter?

      —C'est la coutume, répondit le rajeunisseur; choisissez d'être ou de paraître.

      —Mais je suis donc vieux?

      —Non, puisque vous pouvez encore paraître jeune moyennant mes recettes.

      Depuis ce jour, Bois-Doré porta perruque; sourcils, moustaches et barbe peints et cirés; badigeon sur le museau, rouge sur les joues, poudres odorantes dans tous les plis de ses rides; en outre, essences et sachets de senteur sur toute sa personne: si bien que, quand il sortait de sa chambre, on le sentait jusque dans la basse-cour, et que, s'il passait seulement devant le chenil, tous ses chiens courants éternuaient et grimaçaient pendant une heure.

      Quand il eut bien réussi à faire, d'un beau vieillard qu'il était, une vieille marionnette burlesque, il s'avisa encore de gâter son port, qui avait la dignité de son âge, en faisant barder de doubles lames d'acier ses pourpoints et ses hauts-de-chausses, et en se tenant si droit, que, chaque soir, il se mettait au lit avec une courbature.

      Il СКАЧАТЬ