Nanon. George Sand
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Название: Nanon

Автор: George Sand

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066088033

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СКАЧАТЬ Je te dirai cela tout à l'heure, répondit-il. Déjeunons, j'ai grand'faim.

      Et il tira de sa robe un petit panier où il y avait du pâté et une bouteille contenant deux choses auxquelles je n'avais jamais goûté, de la viande et du vin! Je me fis beaucoup prier pour manger de la viande. Moitié discrétion, moitié méfiance, je n'avais que du dégoût pour cet aliment nouveau, que je trouvai pourtant bon; mais le vin me sembla détestable et ma grimace fit beaucoup rire mon nouvel ami.

      Tout en mangeant il m'apprit ce qui suit:

      Il ne fallait plus l'appeler ni Monsieur, ni Franqueville; il était désormais frère Émilien, Émilien étant son nom de baptême. Il avait demandé à l'économe la permission de pâturage pour Rosette et, à sa grande surprise, il ne l'avait point obtenue. Le père Fructueux lui avait donné toute sorte de raisons qu'il n'avait pas comprises; mais, le voyant fâché, il lui avait permis de me donner à manger quand il voudrait, et, sans se le faire dire deux fois, frère Émilien avait mis son dîner dans un panier et s'était rendu à la maison que je lui avais montrée la veille. Il n'y avait trouvé personne, mais une vieille femme qu'il rencontra, qu'il me décrivit et en qui je reconnus la Mariotte, lui avait à peu près indiqué l'endroit où je devais être, en lui disant que je m'appelais Nanette Surgeon. Il s'était bien dirigé et paraissait être habitué à courir la montagne. En somme, c'était, comme je l'ai bien vu par la suite, un paysan plus qu'un monsieur. On ne lui avait rien appris, il s'était enseigné lui-même. On ne lui avait point permis de suivre les chasses des autres gentilshommes, il s'était fait braconnier sur ses propres terres et il tuait bien adroitement des perdrix et des lièvres; mais, comme cela lui était défendu, il les donnait aux paysans qui lui enseignaient les remises et lui gardaient le secret. Il avait appris avec eux à nager, à se tenir à cheval, à grimper aux arbres et même à travailler comme eux, car il était fort, quoique d'apparence assez chétive.

      On peut croire que tout ce que je vais dire de lui pour faire connaître son caractère et sa situation ne me fut pas dit ce jour- là et dans cet endroit-là; je n'en eusse pas compris le quart, il m'a fallu des années pour me rendre compte de ce que je résume ici.

      Émilien de Franqueville était né intelligent et résolu. Pour l'empêcher de prétendre au premier rang dans la famille, on avait travaillé à tuer son âme et son esprit. Son frère n'était pas, à ce qu'il paraît, aussi bien doué que lui, mais il était l'aîné, et, dans cette famille de Franqueville, tous les cadets avaient été dans les ordres. C'était une loi à laquelle on n'avait jamais manqué et qui se transmettait de père en fils. Le marquis père d'Émilien trouvait cela fort bien vu; c'était une mesure d'ordre qui renchérissait sur la loi de l'État. Il disait que cela simplifiait les affaires d'héritage où les procureurs, en mettant le nez et en suscitant des procès, trouvaient toujours moyen de démanteler la propriété. Un garçon doté pour le cloître n'avait plus rien à prétendre. Il n'avait pas de descendance, partant il ne laissait pas d'éléments de chicane pour l'avenir. Enfin c'était réglé, et le petit Émilien sut à peine connaître sa main droite de sa main gauche, qu'on lui enseigna la chose sans lui permettre de la discuter.

      On peut penser qu'il y eut en lui quelques révoltes. Elles furent si vite et si bien étouffées, qu'il entra dans la vie déjà mort à bien des choses et aussi naïf à seize ans qu'un autre à huit. On lui avait donné pour précepteur une espèce d'idiot qui eut pour tout esprit celui de comprendre qu'il fallait tâcher de rendre son élève idiot comme lui. N'en venant pas à bout, car Émilien avait naturellement de l'esprit et du bon sens, il fit semblant de l'instruire et de le surveiller, tout en le laissant complètement à lui-même. Aussi l'enfant savait-il à peine lire et écrire quand il vint au couvent; mais il avait beaucoup réfléchi et beaucoup raisonné à sa guise, et il s'était refait une âme à lui seul.

      Il avait donné son coeur à Dieu, comme sont portés à le faire ceux qui n'ont que lui pour ami et pour soutien; mais, plus son précepteur voulait lui expliquer Dieu à sa manière, plus l'élève le comprenait à la sienne. Il ne regimbait point contre l'Église. Il se contentait de la regarder comme une chose de ce monde qu'il ne faut point placer trop haut et qu'on peut blâmer et critiquer quand elle ne marche pas dans le vrai chemin du Ciel. Ce qu'il m'avait dit dès le premier jour, il le pensa toute sa vie. L'Église, selon lui, ne devait servir qu'à faire aimer Dieu, à consoler les peines et à secourir le malheur. Pour tout le reste, il ne s'en souciait guère, ne querellait point, laissait dire et agissait selon sa conscience. Enfin, à force d'être négligé et abandonné à lui-même, en même temps qu'on le plaçait en dehors de tout, il s'était fait un monde à part selon ses rêves et il avait pris un goût d'indépendance sauvage. Il ne résistait à personne et cédait même à tout par complaisance ou par ennui; mais il ne se laissait convaincre de rien et se dépêchait d'échapper à toute contrainte aussitôt qu'on ne faisait plus attention à lui. À force d'être privé de tout ce que l'on envie, il méprisait tout ce qui lui était refusé.

      III

      Quand nous eûmes déjeuné, il fit un somme sur le rocher que le soleil chauffait. Il me demanda en s'éveillant à quoi je pensais en tricotant et en surveillant mon ouaille.

      À l'ordinaire, lui dis-je, je pense à cinquante choses dont je ne me souviens pas après; mais, aujourd'hui, je n'ai pensé qu'à m'étonner de vous. Vous faites donc tout ce que vous voulez avec les moines, que vous passez comme ça la journée où vous voulez et comme il vous plaît?

      — Je ne sais pas si les moines me tourmenteront pour cela, répondit-il. Je ne le crois pas, je leur apporte une jolie petite somme si je prononce mes voeux, et ils n'ont point envie de me dégoûter de leur compagnie avant de tenir mon argent; j'ai déjà vu cela. Quant à m'instruire, ils ne doivent pas y tenir beaucoup.

      — Pourquoi donc?

      — Pour une raison bien simple, c'est qu'ils n'en savent guère plus long que moi, et que, s'ils ne faisaient pas durer ce qu'ils ont à m'apprendre, ils seraient trop vite au bout.

      — Vous les méprisez donc aussi, vous, vos moines?

      — Je ne les méprise pas, je ne méprise personne. Ils me paraissent très doux et je ne leur ferai pas plus de peine qu'ils ne m'en feront.

      — Alors, vous viendrez quelquefois me voir aux champs?

      — Je ne demande pas mieux, je t'apporterai à manger tant que tu voudras.

      Je devins rouge de dépit.

      — Je n'ai pas besoin que vous me fassiez manger, lui dis-je: j'ai tout ce qu'il faut chez nous et j'aime mieux nos châtaignes que vos pâtés.

      — Alors, c'est pour le plaisir de me voir que tu me dis de revenir.

      — C'était pour ça; mais, si vous croyez…

      — Je ne crois que ce que tu dis: tu es une bonne petite fille, et puis tu me rappelles ma soeur; j'aurai du plaisir à te revoir.

      Depuis ce jour, nous nous vîmes très souvent. Il avait très bien jugé comment les moines de Valcreux agiraient avec lui; ils le laissèrent libre d'employer son temps comme il l'entendait et ne lui demandèrent que d'assister à certains offices, ce à quoi il se soumit. Il eut bientôt fait connaissance avec mes deux cousins, et il nous fit rire un jour en nous racontant que le prieur l'avait mandé pour lui dire qu'après avoir réfléchi à son jeune âge, il avait cru devoir prendre le parti de le dispenser des offices de matines.

      — Croirez-vous, ajouta Émilien, que j'ai eu la simplicité de le remercier et de lui dire qu'ayant l'habitude de me lever avec le jour, il СКАЧАТЬ