Название: Autour de la table
Автор: George Sand
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088439
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—Oui, oui! s'écria-t-on autour de la table, qu'il marche et qu'il voie!
Et Julie ajouta:
—Il a assez vu la terre et les monstres qui rampent à sa surface, la mort, la corruption, le silence, l'effroi, le néant! Le ciel commence à se révéler à lui, et son oeil ardent interroge les destinées des astres. Il en a encore peur, il les voit terribles, il y rêve des tourments et des frayeurs inconnus aux hommes d'ici-bas; mais qu'il ouvre les yeux encore plus haut, il y verra des lieux de délices, des sanctuaires de rémunération, où l'âme qui a souffert et pardonné aux hommes leurs clameurs, à Dieu son silence, trouvera dans une lumière toujours plus pure, le mot toujours plus transparent de son obscure et triste destinée d'aujourd'hui.
—Vous voilà dans le Ciel de Jean Reynaud, dit Théodore, et vous croyez que votre poëte y montera avec lui?
—Il y montera de son côté par le chemin qui lui est ouvert, répondit Julie; tous ceux qui ont des ailes se rencontrent à une certaine hauteur, et là, le poëte voit clair dans la métaphysique comme le métaphysicien dans la poésie. Croyez bien que déjà leurs rayons se rencontrent et se pénètrent, à leur insu peut être, mais inévitablement. Quand ces lumières divines se rallument sur la terre, elles entrent dans toutes les grandes intelligences presque simultanément.
—Vous arrangez tout cela à votre guise, reprit Théodore. Ces inspirés ne sont nullement d'accord entre eux; Jean Reynaud n'admet guère les purs esprits, et Victor Hugo veut anéantir la matière. Son monde futur n'est qu'apparence et transparence, tandis que celui de Pierre Leroux est encore plus positif que celui de Jean Reynaud; il nous interdit la sortie de ce monde maudit, et j'avoue que son système, aussi beau, aussi ingénieux, aussi éloquemment exposé que les autres, me paraît le plus admissible.
—Dieu ne dira jamais le fin mot à aucun homme d'ici-bas, si grand que cet homme puisse être, dit Ernest qui venait d'entrer et qui écoutait; mais il envoie aux grands penseurs comme aux grands songeurs des rêves qui ne différent pas tant les uns des autres que vous voulez bien le dire. La forme varie dans l'imagination et dans le raisonnement, mais le fond paraît reposer sur un même foyer d'espérance, la liberté progressive pour tous les êtres, commençant à avoir conscience d'elle-même chez l'homme terrestre, et lui permettant de hâter ou de ralentir son développement à travers le temps et l'éternité; l'immortalité pour tous; la conscience, la mémoire, la joie au réveil des bons et des sages; le renouvellement des épreuves pour les mauvais et les fous, avec la réhabilitation pour tous après l'expiation. Moi, j'y crois beaucoup. Et vous autres?
—Qui sait? dit Théodore.
—Moi, j'y crois fermement, s'écria Julie.
—Croyons-y tous, dit Louise. Pourquoi nous plairions-nous au doute, quand nos imaginations voient le ciel ouvert, quand nos coeurs sentent une bonté et une justice divines, et quand les plus belles intelligences de ce monde prennent leur plus magnifique essor dès qu'elles entrent dans cette lumière?
Nous en étions là quand on ouvrit la Presse pour lire l'excellent compte rendu de M. A. Peyrat sur le livre de M. Vacquerie. Nous fûmes tous fiers d'être arrivés au même avis que cet écrivain éminent, quant à la question littéraire en général et au livre en particulier.
Montfeuilly, 10 juin 1856.
III
Un volume pieusement dédié à la mémoire d'une femme illustre fut l'objet des réflexions de ces jours-ci. C'est un recueil d'articles de journaux portant ces deux dates: 29 juin 1855,—29 juin 1856. La première est celle de la mort de Mme de Girardin; la seconde, celle de la publication du recueil. L'idée de célébrer ce douloureux anniversaire par la popularisation d'un éloge funèbre, signé des noms les plus célèbres ou les plus distingués de la littérature poétique et critique, est touchante et délicate.
J'aime ces soins affectueux et ces tendres hommages rendus aux morts chéris. J'aime qu'on les honore et qu'on les bénisse comme s'ils étaient là pour respirer ce doux encens du souvenir et de l'affection, et que ces anniversaires, si douloureux pour nous, soient comme un jour de fête pour les nobles libérés de la vie. Du milieu plus pur et plus heureux qu'ils habitent désormais, il leur plaît peut-être de jeter les yeux, ce jour-là, sur leurs anciennes demeures et d'écouter parler leurs fidèles amis.
La croyance aux ombres errantes, aux fantômes de ceux qui ne sont plus, cache peut-être, comme toutes les naïves erreurs de l'humanité, une révélation sous un symbole. Il n'est pas nécessaire que ces glorieuses âmes descendent au milieu de nous. Réfugiées dans un ordre de choses supérieur au nôtre, il n'est même pas probable qu'elles soient condamnées à revenir dans cet ici-bas des douleurs humaines. Il est bien plus simple de penser que la vision des faits de notre monde monte vers elles lorsqu'elles l'évoquent, comme celle des choses lointaines se révèle, dit-on, par l'extase magnétique, à des individus doués d'un sens particulier. Ce sixième sens, mystérieusement aperçu chez nous, et non encore bien constaté parce qu'il ne peut être défini, est, sans aucun doute, un des attributs lucides des autres habitants du ciel, du moins de ceux qui ont mérité de monter dans la sphère infinie des êtres.
—Voilà pourquoi, nous disait Louise, je n'aime pas l'idolâtrie de la tombe. Cette terre muette, cette pierre insensible, et les matérielles idées de destruction sauvage qu'elles évoquent, me repoussent plutôt qu'elles ne m'attirent. Je veux que l'on respecte l'asile des morts; je veux bien aussi que leurs monuments et leurs épitaphes servent d'enseignement aux vivants, quand il s'agit de morts illustres; mais je comprends le désir de cette noble femme qui n'a point voulu d'ornements sur sa tombe. Elle sentait bien que son âme immortelle avait une autre demeure à faire resplendir, et que le mausolée, ce dernier lit de la forme, ne garderait même pas son image, cette suave beauté qui ne meurt qu'en apparence, et dont le type, conservé au sanctuaire de la pensée divine, refleurit maintenant dans quelque jardin du ciel.
—Je suis comme vous, dit Julie, je n'aime pas que l'on s'enferme dans les monuments funéraires pour penser aux morts aimés. Ils ne sont pas là, et lorsqu'ils évoquent, comme vous dites, la vision de notre monde, je suis sûre que ce n'est pas dans les cimetières qu'ils la cherchent. Ils doivent sourire tristement de notre erreur, quand ils nous voient concentrer là notre culte et nos larmes. C'est sur le spectacle de la vie qu'ils arrêtent surtout leurs regards, ces vivants par excellence, devant qui nous sommes les ombres fugitives et les fantômes inachevés! C'est dans nos maisons, dans nos travaux, dans notre activité, dans notre oubli même (dans notre oubli apparent!) qu'ils regardent; tristes quand ils nous voient découragés de la vie et brisés lâchement par leur départ, satisfaits quand ils nous voient tendres envers leur mémoire, courageux devant nos devoirs, croyants dans l'avenir au-delà de la tombe.
—J'avoue que, moi aussi, j'ai eu quelquefois cette pensée, dit Théodore; quand je perdis ma jeune soeur, je me surprenais à me défendre de pleurer, dans la crainte de troubler, par ma douleur, le repos dont elle jouissait. Je ne me rendais pas bien compte de ce sentiment qui me faisait étouffer mes sanglots comme si elle eût pu les entendre; mais il est certain que, me rappelant sa douce sensibilité et ses larmes qui coulaient à ma moindre souffrance, je me disais vaguement en moi-même: «Cachons-lui ce mortel chagrin qu'elle partagerait encore.» C'est par de telles impressions mystérieuses et profondes que je me laisse aller parfois à vos croyances exaltées. Si j'essaye d'y pénétrer par le raisonnement, elles m'échappent; mais l'émotion m'y ramène, et l'émotion pourrait СКАЧАТЬ