Название: Autour de la table
Автор: George Sand
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088439
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Peut-être faites-vous des choses inconnues,
Où la Couleur de l'homme entre comme élément!
—Attendez! nous dit alors Louise; nous voici arrivés, vous et moi, je pense, aux mêmes conclusions. Moi aussi, j'ai lu tout le livre dans la journée; j'ai été si bouleversée et si pénétrée, que j'ai écrit à l'auteur sous le coup de mon émotion.
—Quoi, mère! dirent les jeunes gens, vous avez écrit à Victor Hugo que vous ne connaissez pas? Montrez-nous votre lettre!
—Va la chercher sur la table, me dit-elle, et tu nous la liras. Je n'ai jamais eu l'intention de la lui envoyer. Les gens célèbres sont écrasés de lettres indiscrètes. La mienne m'a soulagée; peut-être résumera-t-elle votre conversation.
Voici la lettre de Louise; elle avait pour épigraphe les vers que je venais de citer:
Peut-être faites-vous des choses inconnues,
Où la douleur de l'homme entre comme élément!
«Ne dites plus peut-être, ô poëte! Cette chose inconnue, c'est un monde meilleur, c'est un doux paradis parmi tous ces astres que votre génie peuple d'êtres plus ou moins punis, plus on moins rachetés. Oui, parmi ces mondes innombrables, où la vie prend tous les modes et toutes les formes de l'existence, il en est un pour nos enfants morts, pour ces êtres appelés dans toute la fleur de leur innocence et de leur beauté. C'est un monde heureux et plus élevé dans la sphère de l'esprit que le nôtre. Nos larmes, qui sont des prières, et notre foi, qui est un mérite, nous donneront le droit d'y pénétrer pour les y revoir. Elles sont le ciment du pont invisible jeté sur les abîmes du ciel entre cet Éden et notre terre d'exil.
«Vous le savez, vous l'avez dit, et vous l'avez dit comme personne au monde ne saurait le dire: nos désirs et nos aspirations sont, au-delà de ce monde étroit qui nous retient, le vrai monde, le monde réel; nos malheurs et nos désastres ici-bas sont le rêve qui passe; les choses célestes que nous croyons rêver sont le monde durable et assuré; et le jugement qui nous emporte vers les régions funestes ou délicieuses de l'univers, c'est notre liberté qui le prononce, c'est notre élan qui imprime la direction de notre vol. Sous des figures et des symboles divers, cette croyance est celle de tous les grands esprits de tous les temps, des grands philosophes, des grands saints et des grands poëtes. C'est celle de Byron et la vôtre; et quand votre pensée entrevoit cet espoir et s'y élance, elle est une puissante autorité de plus dans la somme de nos croyances et dans le trésor de notre foi.
«Songez-y, là-bas, sur votre rocher, il ne faut pas vous éteindre et mourir comme les rois dans l'exil.
Agité de fureurs prophétiques, il faut sortir de cette tourmente et vous oublier vous-même, pauvre père, homme désolé, souverain banni! Il ne faut penser à vous que pour penser à tous; et vous, le plus souffrant de tous, devenir le consolateur et le soutien de tous. C'est la mission du poëte, car le vrai poëte est un voyant, et c'est en vous que cette puissance exceptionnelle se manifeste le plus vivement de nos jours.
«Je ne vous demande pas de nous consoler mollement ou hypocritement des maux de ce monde. Non, votre mission n'est pas de plaire aux égoïstes; elle n'est peut-être pas non plus d'aggraver nos peines par une peinture effroyable de la vie humaine et des fatalités de l'histoire. Le cadre de vos tables est plus vaste, et sur la pierre de votre Sinaï, si vous voulez parler à tous, c'est du Dieu bon qu'il faut leur parler.
«Vous l'avez compris, vous l'avez fait. Il y a toute une révélation dans le livre que vous appelez Aujourd'hui. Quel autre que vous, dans ce temps de petitesse intellectuelle et de scepticisme farouche, pouvait espérer de la formuler et de la faire entendre? Ce don est plus grand, plus sérieux que ne s'en doutent la plupart de ceux qui vous lisent, et vous inspirez beaucoup d'enthousiasmes littéraires qui sont d'instinct plus que de réflexion.
«Peu importe; si l'esprit que charme ou transporte votre parole est saisi, à son insu, par la profondeur de votre pensée, il s'est élevé de beaucoup au-dessus de lui-même, et vous avez ébranlé en lui le petit édifice de sa froide raison au profit des croyances supérieures.
«Osez donc! On sait bien que ce n'est pas le courage qui vous manque vis-à-vis des événements, mais peut-être n'avez-vous pas encore, vis-à-vis de votre idéal, toute la confiance que vous lui devez. De là peut-être ces angoisses, ces troubles mortels à l'idée de la destruction, ces noires imaginations, ces frissons sur le trépied sacré. Une sorte de panthéisme grandiose vous agite, la lumière vous inonde; puis l'horreur des ténèbres vous saisit…. Ah! devrait-on, adepte impatient, vous demander d'apaiser ce désordre sublime? Quel oracle antique, parlant par la bouche des poëtes mystérieux et des prophètes terrifiés, a mieux dépeint cette fièvre de l'inconnu qui vous dévore, cette sueur froide que l'abîme côtoyé fait passer sur votre front, ces transports de Titan, ces abaissements de rêveur, cette audace désespérée et ces déchirements profonds; puis ces doutes, ces vertiges, cette attraction des ténèbres, ce besoin de se reposer dans le vague de la faiblesse humaine?
«Qui a jamais révélé dans des mots aussi grands que l'idée, dans des images aussi colossales que le chaos, une lutte de cette nature et des tourments intérieurs de cette portée? Personne! Le mal est nouveau, il appartient à notre génération placée entre la foi et la négation, entre l'espérance et le blasphème, entre la fureur sauvage et l'attendrissement divin. Vous êtes la plus impétueuse personnification de ce mal sublime, depuis le Manfred de Byron; vous êtes l'Hamlet des temps modernes qui va s'arracher à la tombe d'Yorick et s'écrier, en laissant retomber dans la fosse muette le crâne vide: «L'âme est ailleurs!»
«Oui, oui, elle est ailleurs! Sortez-nous de vos doutes, et sortez-en vous-même. Le temps est venu pour vous de terrasser l'esprit sombre contre lequel vous avez si vaillamment lutté. Arrachez-vous de ces tombeaux; laissez dormir ces ossements. Montez sans crainte vers ces régions éclatantes où des images célestes, souvent entrevues, vont se montrer à vous, plus limpides et plus sereines. Cherchez votre Béatrix dans les cercles divins. Toute vision de poëte emporté dans l'extase est une vérité pour qui sait lira à travers le symbole. Incompris, les prophètes sont des insensés, et c'est ainsi que, de leur temps, le vulgaire les juge.
«La vision de Platon, contemplant les âmes cramponnées à la poulie qui les monte ou les descend dans le milieu dont le mal ou le bien de leurs désirs les rend avides, est une folle imagination pour qui ne veut pas dégager l'esprit de la lettre. Ces figures naïves de l'antiquité ne font plus sourire quand on en a saisi le sens, et vos images à vous, empreintes de toute la poésie de l'art moderne, s'éclaircissent plus aisément pour laisser passer la vérité.
«Vous nous annoncez Dieu, vous nous annoncez la fin de Satan, déjà esquissée si magnifiquement:
Et Jésus, se penchant sur Bélial qui pleure,
Lui dira: c'est donc toi!
* * * * *
Tout sera dit: Le mal expirera, les larmes
Tariront; plus de fers, plus de deuil, plus d'alarmes;
L'affreux gouffre inclément
Cessera d'être sourd et bégaîra: Qu'entends-je?
Les douleurs finiront; dans toute l'ombre, un ange
Crîra: COMMENCEMENT!
«Soyez pour nous ce génie bienfaisant qui, dans la petite sphère du temps СКАЧАТЬ