En famille. Hector Malot
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Название: En famille

Автор: Hector Malot

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066088835

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СКАЧАТЬ et malgré tout elle respira: pas arrêtée! plus d'injures!

      Il est vrai qu'elle pouvait se dire aussi: pas de pain, plus d'argent; mais cela c'était l'avenir; et ceux qui, aux trois quarts noyés, remontent à la surface de l'eau, n'ont pas pour première pensée de se demander comment ils souperont le soir et dîneront le lendemain.

      Cependant après les premiers moments donnés au soulagement de la délivrance cette pensée du dîner s'imposa brutalement, sinon pour le soir même, en tout cas pour le lendemain et les jours suivants. Elle n'était pas assez enfant pour imaginer que la fièvre du chagrin la nourrirait toujours, et savait qu'on ne marche pas sans manger. En combinant son voyage elle n'avait compté pour rien les fatigues de la route, le froid des nuit et la chaleur du jour, tandis qu'elle comptait pour tout la nourriture que sa pièce de cinq francs lui assurait; mais maintenant qu'on venait de lui prendre ses cinq francs et qu'il ne lui restait plus qu'un sou, comment achèterait-elle la livre de pain qu'il lui fallait chaque jour? Que mangerait-elle?

      Instinctivement elle jeta un regard de chaque côté de la route où dans les champs; sous la lumière rasante du soleil couchant s'étalaient des cultures: des blés qui commençaient à fleurir, des betteraves qui verdoyaient, des oignons, des choux, des luzernes, des trèfles; mais rien de tout cela ne se mangeait, et d'ailleurs, alors même que ces champs eussent été plantés de melons mûrs ou de fraisiers chargés de fruits, à quoi cela lui eût-il servi? elle ne pouvait pas plus étendre la main pour cueillir melons et fraises qu'elle ne pouvait la tendre pour implorer la charité des passants; ni voleuse, ni mendiante, vagabonde.

      Ah! comme elle eût voulu en rencontrer une aussi misérable qu'elle pour lui demander de quoi vivent les vagabonds le long des chemins qui traversent les pays civilisés.

      Mais y avait-il au monde aussi misérable, aussi malheureuse qu'elle, seule, sans pain, sans toit, sans personne pour la soutenir, accablée, écrasée, le coeur étranglé, le corps enfiévré par le chagrin?

      Et cependant il fallait qu'elle marchât, sans savoir si au but une porte s'ouvrirait devant elle.

      Comment pourrait-elle arriver à ce but?

      Tous nous avons dans notre vie quotidienne des heures de vaillance ou d'abattement pendant lesquelles le fardeau que nous avons à traîner se fait ou plus lourd ou plus léger; pour elle c'était le soir qui l'attristait toujours, même sans raison; mais combien plus pesamment quand, à l'inconscient, s'ajoutait le poids des douleurs personnelles et immédiates qu'elle avait en ce moment à supporter!

      Jamais elle n'avait éprouvé pareil embarras à réfléchir, pareille difficulté à prendre parti; il lui semblait qu'elle était vacillante, comme une chandelle qui va s'éteindre sous le souffle d'un grand vent, s'abattant sans résistance possible tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, folle.

      Combien mélancolique était-elle cette belle et radieuse soirée d'été, sans nuages au ciel, sans souffle d'air, d'autant plus triste pour elle qu'elle était plus douce et plus gaie aux autres, aux villageois assis sur le pas de leur porte avec l'expression heureuse de la journée finie; aux travailleurs qui revenaient des champs et respiraient déjà la bonne odeur de la soupe du soir; même aux chevaux qui se hâtaient parce qu'ils sentaient l'écurie où ils allaient se reposer devant leur râtelier garni.

      Lorsqu'elle sortit de ce village, elle se trouva à la croisée de deux grandes routes qui toutes deux conduisaient à Calais, l'une par Moisselles, l'autre par Écouen, disait le poteau posé à leur intersection; ce fut celle-là qu'elle prit.

      VII

      Bien qu'elle commençât à avoir les jambes lasses et les pieds endoloris, elle eût voulu marcher encore, car à faire la route dans la fraîcheur du soir et la solitude, sans que personne s'inquiétât d'elle, elle eût trouvé une tranquillité que le jour ne lui donnait pas. Mais, si elle prenait ce parti, elle devrait s'arrêter quand elle serait trop fatiguée, et alors, ne pouvant pas se choisir une bonne place dans l'obscurité de la nuit, elle n'aurait pour se coucher que le fossé du chemin ou le champ voisin, ce qui n'était pas rassurant. Dans ces conditions, le mieux était donc qu'elle sacrifiât son bien-être à sa sécurité et profitât des dernières clartés du soir pour chercher un endroit où, cachée et abritée, elle pourrait dormir en repos. Si les oiseaux se couchent de bonne heure, quand il fait encore clair, n'est-ce pas pour mieux choisir leur gîte: les bêtes maintenant devaient lui servir d'exemple, puisqu'elle vivait de leur vie.

      Elle n'eut pas loin à aller pour en rencontrer un qui lui parut réunir toutes les garanties qu'elle pouvait souhaiter. Comme elle passait le long d'un champ d'artichauts, elle vit un paysan occupé avec une femme à en cueillir les têtes qu'ils plaçaient dans des paniers; aussitôt remplis, ils chargeaient ces paniers dans une voiture restée sur la route. Machinalement elle s'arrêta pour regarder ce travail, et à ce moment arriva une autre charrette que conduisait, assise sur le limon, une fillette rentrant au village.

      «Vous avez cueillé vos artichauts? cria-t-elle.

      — C'est pas trop tôt, répondit le paysan; pas drôle de coucher là toutes les nuits pour veiller aux galvaudeux, au moins je vas dormir dans mon lit

      — Et la pièce à Monneau?

      — Monneau, il fait le malin; il dit que les autres la gardent; cette nuit ce ne sera toujours pas ; ce que c'serait drôle si demain il se trouvait nettoyé!»

      Tous les trois partirent d'un gros rire qui disait qu'ils ne s'intéressaient pas précisément à la prospérité de ce Monneau qui exploitait la surveillance de ses voisins pour dormir tranquille lui-même.

      «Ce que c'serait drôle!

      — Attends, minute, nous rentrons; nous avons fini.»

      En effet, au bout de peu d'instants, les deux charrettes s'éloignèrent du côté du village.

      Alors, de la route déserte Perrine put voir, dans le crépuscule, la différence qu'offraient les deux champs qui se touchaient, l'un complètement dépouillé de ses fruits, l'autre encore tout chargé de grosses têtes bonnes à couper; sur leur limite se dressait une petite cabane en branchages dans laquelle le paysan avait passé les nuits qu'il regrettait tant à garder sa récolte et du même coup celle de son voisin. Combien heureuse eût-elle été d'avoir une pareille chambra à coucher!

      À peine cette idée eut-elle traversé son esprit qu'elle se demanda pourquoi elle ne la prendrait pas, cette chambre. Quel mal à cela puisqu'elle était abandonnée? D'autre part, elle n'avait pas à craindre d'y être dérangée, puisque, le champ étant dépouillé maintenant, personne n'y viendrait. Enfin, un four à briques brûlant à une assez courte distance, il lui semblait qu'elle serait moins seule, et que ses flammes rouges qui tourbillonnaient dans l'air tranquille du soir lui tiendraient compagnie au milieu de ces champs déserts, comme le phare au marin sur la mer.

      Cependant elle n'osa pas tout de suite aller prendre possession de cette cabane, car, un espace découvert assez grand s'étendant entre elle et la route, il valait mieux pour le traverser que l'obscurité se fût épaissie. Elle s'assit donc sur l'herbe du fossé et attendit en pensant à la bonne nuit qu'elle allait passer là, alors qu'elle en avait craint une si mauvaise. Enfin, quand elle ne distingua plus que confusément les choses environnantes, choisissant un moment où elle n'entendait aucun bruit sur la route, elle se glissa en rampant à travers les artichauts et gagna la cabane qu'elle trouva encore mieux meublée qu'elle n'avait imaginé puisqu'une bonne couche de paille couvrait le sol, et qu'une botte de roseaux pouvait servir d'oreiller.

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