Название: En famille
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088835
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Mais pourrait-elle faire ces trente kilomètres régulièrement et les recommencer le lendemain?
Justement parce qu'elle avait l'habitude de la marche pour avoir cheminé pendant des lieues et des lieues à côté de Palikare, elle savait que ce n'est pas du tout la même chose de faire trente kilomètres par hasard, que de les répéter jour après jour; les pieds s'endolorissent, les genoux deviennent raides. Et puis que serait le temps pendant ces six journées de voyage? Sa sérénité durerait-elle? Sous le soleil elle pouvait marcher, si chaud qu'il fût. Mais que ferait-elle sous la pluie, n'ayant pour se couvrir que des guenilles? Par une belle nuit d'été elle pouvait très bien coucher en plein air, à l'abri d'un arbre ou d'une cépée. Mais le toit de feuilles qui reçoit la rosée laisse passer la pluie et n'en rend ses gouttes que plus grosses. Mouillée, elle l'avait été bien souvent, et une ondée, une averse même ne lui faisaient pas peur; mais pourrait-elle rester mouillée pendant six jours, du matin au soir et du soir au matin?
Quand elle avait répondu à Grain de Sel qu'elle n'avait pas assez d'argent pour prendre le chemin de fer, elle laissait entendre, comme elle l'entendait elle-même, qu'elle en aurait assez pour son voyage à pied; seulement c'était à condition que ce voyage ne se prolongerait pas.
En réalité, elle avait cinq francs trente-cinq centimes en quittant le Champ Guillot, et comme elle venait de payer sa place six sous, il lui restait une pièce de cinq francs et un sou qu'elle entendait sonner dans la poche de sa jupe quand elle remuait trop brusquement.
Il fallait donc qu'elle fit durer cet argent autant que son voyage, et même plus longtemps, de façon à pouvoir vivre quelques jours à Maraucourt.
Cela lui serait-il possible?
Elle n'avait pas résolu cette question et toutes celles qui s'y
rattachaient. Quand elle entendit appeler la station de La
Chapelle, alors elle descendit, et tout de suite prit la route de
Saint-Denis.
Maintenant il n'y avait qu'à aller droit devant soi, et comme le soleil resterait encore au ciel deux ou trois heures, elle espérait se trouver, quand il disparaîtrait, assez loin de Paris pour pouvoir coucher en pleine campagne, ce qui était le mieux pour elle.
Cependant, contre son attente, les maisons succédaient aux maisons, les usines aux usines sans interruption, et aussi loin que ses yeux pouvaient aller, elle ne voyait dans cette plaine plate que des toits et de hautes cheminées qui jetaient des tourbillons de fumée noire; de ces usines, des hangars, des chantiers sortaient des bruits formidables, des mugissements, des ronflements de machines, des sifflements aigus ou rauques, des échappements de vapeur, tandis que sur la route même, dans un épais nuage de poussière rousse, voitures, charrettes, tramways se suivaient, ou se croisaient en files serrées; et sur celles de ces charrettes qui avaient des bâches ou des prélarts l'inscription qui l'avait déjà frappée à la barrière de Bercy se répétait: «Usines de Maraucourt, Vulfran Paindavoine.»
Paris ne finirait donc jamais! Elle n'en sortirait donc pas! Et ce n'était pas de la solitude des champs qu'elle avait peur, du silence de la nuit, des mystères de l'ombre, c'était de Paris, de ses maisons, de sa foule, de ses lumières.
Une plaque bleue fixée à l'angle d'une maison lui apprit qu'elle entrait dans Saint-Denis alors qu'elle se croyait toujours à Paris, et cela lui donna bon espoir: après Saint-Denis commencerait certainement la campagne.
Avant, d'en sortir, bien qu'elle ne se sentît aucun appétit, l'idée lui vint d'acheter un morceau de pain qu'elle mangerait avant de s'endormir, et elle entra chez un boulanger:
«Voulez-vous me vendre une livre de pain?
— Tu as de l'argent?» demanda la boulangère à qui sa tenue n'inspirait pas confiance.
Elle mit sur le comptoir, derrière lequel la boulangère était assise, sa pièce de cinq francs.
«Voici cinq francs; je vous prie de me rendre la monnaie.»
Avant de couper la livre de pain qu'on lui demandait, la boulangère prit la pièce de cinq francs et l'examina.
«Qu'est-ce que c'est que ça? demanda-t-elle en la faisant sonner sur le marbre du comptoir.
— Vous voyez bien, c'est cinq francs.
— Qu'est-ce qui t'a dit d'essayer de me passer cette pièce?
— Personne; je vous demande une livre de pain pour mon dîner.
— Eh bien tu n'en auras pas de pain, et je t'engage à filer au plus vite si tu ne veux pas que je te fasse arrêter.»
Perrine n'était point en situation de tenir tête:
«Pourquoi m'arrêter? balbutia-t-elle.
— Parce que tu es une voleuse…
— Oh! madame.
— Qui veut me passer une pièce fausse. Vas-tu te sauver, voleuse, vagabonde. Attends un peu que j'appelle un sergent de ville.»
Perrine avait conscience de n'être pas une voleuse, bien qu'elle ne sût pas si sa pièce était bonne ou fausse; mais vagabonde elle l'était puisqu'elle n'avait ni domicile ni parents. Que répondrait-elle au sergent de ville? Comment se défendrait-elle, si on l'arrêtait? Que ferait-on d'elle?
Toutes ces questions lui traversèrent l'esprit avec la rapidité de l'éclair, cependant telle, était sa détresse qu'avant d'obéir à la peur qui commençait à la serrer à la gorge, elle pensa à sa pièce:
«Si vous ne voulez, pas me donner du pain, au moins rendez-moi ma pièce, dit-elle en étendant la main.
Pour que tu la passes ailleurs, n'est-ce pas? Je la garde, ta pièce. Si tu la veux, va chercher un sergent de ville, nous l'examinerons ensemble, En attendant, fiche-moi le camp et plus vite que ça, voleuse!»
Les cris de la boulangère qui s'entendaient de la rue avaient arrêté trois ou quatre passants et des propos s'échangeaient entre eux curieusement:
«Qu'est-ce que c'est?
— C'te fille qui a voulu forcer le tiroir de la boulangère.
— Elle marque mal.
— N'y a donc jamais de police quand on en a besoin?»
Affolée, Perrine se demandait si elle pourrait sortir; cependant on la laissa passer, mais en l'accompagnant d'injures et de huées, sans qu'elle osât se sauver à toutes jambes comme elle en avait envie, ni se retourner СКАЧАТЬ