Romans et contes. Theophile Gautier
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Название: Romans et contes

Автор: Theophile Gautier

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066073770

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СКАЧАТЬ se passa alors des choses bien étranges: Octave de Saville et le comte Olaf Labinski parurent agités simultanément comme d’une convulsion d’agonie, leur visage se décomposa, une légère écume leur monta aux lèvres; la pâleur de la mort décolora leur peau; cependant deux petites lueurs bleuâtres et tremblotantes scintillaient incertaines au-dessus de leurs têtes.

      A un geste fulgurant du docteur qui semblait leur tracer leur route dans l’air, les deux points phosphoriques se mirent en mouvement, et, laissant derrière eux un sillage de lumière, se rendirent à leur demeure nouvelle: l’âme d’Octave occupa le corps du comte Labinski, l’âme du comte celui d’Octave: l’avatar était accompli.

      Une légère rougeur des pommettes indiquait que la vie venait de rentrer dans ces argiles humaines restées sans âme pendant quelques secondes, et dont l’Ange noir eût fait sa proie sans la puissance du docteur.

      La joie du triomphe faisait flamboyer les prunelles bleues de Cherbonneau, qui se disait en marchant à grands pas dans la chambre: «Que les médecins les plus vantés en fassent autant, eux si fiers de raccommoder tant bien que mal l’horloge humaine lorsqu’elle se détraque: Hippocrate, Galien, Paracelse, Van Helmont, Boerhaave, Tronchin, Hahnemann, Rasori, le moindre fakir indien, accroupi sur l’escalier d’une pagode, en sait mille fois plus long que vous! Qu’importe le cadavre quand on commande à l’esprit!»

      En finissant sa période, le docteur Balthazar Cherbonneau fit plusieurs cabrioles d’exultation, et dansa comme les montagnes dans le Sir-Hasirim du roi Salomon; il faillit même tomber sur le nez, s’étant pris le pied aux plis de sa robe brahminique, petit accident qui le rappela à lui-même et lui rendit tout son sang-froid.

      «Réveillons nos dormeurs,» dit M. Cherbonneau après avoir essuyé les raies de poudre colorées dont il s’était strié la figure et dépouillé son costume de brahme,—et, se plaçant devant le corps du comte Labinski habité par l’âme d’Octave, il fit les passes nécessaires pour le tirer de l’état somnambulique, secouant à chaque geste ses doigts chargés du fluide qu’il enlevait.

      Au bout de quelques minutes, Octave-Labinski (désormais nous le désignerons de la sorte pour la clarté du récit) se redressa sur son séant, passa ses mains sur ses yeux et promena autour de lui un regard étonné que la conscience du moi n’illuminait pas encore. Quand la perception nette des objets lui fut revenue, la première chose qu’il aperçut, ce fut sa forme placée en dehors de lui sur un divan. Il se voyait! non pas réfléchi par un miroir, mais en réalité. Il poussa un cri,—ce cri ne résonna pas avec le timbre de sa voix et lui causa une sorte d’épouvante;—l’échange d’âmes ayant eu lieu pendant le sommeil magnétique, il n’en avait pas gardé mémoire et éprouvait un malaise singulier. Sa pensée, servie par de nouveaux organes, était comme un ouvrier à qui l’on a retiré ses outils habituels pour lui en donner d’autres. Psyché dépaysée battait de ses ailes inquiètes la voûte de ce crâne inconnu, et se perdait dans les méandres de cette cervelle où restaient encore quelques traces d’idées étrangères.

      «Eh bien, dit le docteur lorsqu’il eut suffisamment joui de la surprise d’Octave-Labinski, que vous semble de votre nouvelle habitation? Votre âme se trouve-t-elle bien installée dans le corps de ce charmant cavalier, hetmann, hospodar ou magnat, mari de la plus belle femme du monde? Vous n’avez plus envie de vous laisser mourir comme c’était votre projet la première fois que je vous ai vu dans votre triste appartement de la rue Saint-Lazare, maintenant que les portes de l’hôtel Labinski vous sont toutes grandes ouvertes et que vous n’avez plus peur que Prascovie ne vous mette la main devant la bouche, comme à la villa Salviati, lorsque vous voudrez lui parler d’amour! Vous voyez bien que le vieux Balthazar Cherbonneau, avec sa figure de macaque, qu’il ne tiendrait qu’à lui de changer pour une autre, possède encore dans son sac à malices d’assez bonnes recettes.

      —Docteur, répondit Octave-Labinski, vous avez le pouvoir d’un Dieu, ou, tout au moins, d’un démon.

      —Oh! oh! n’ayez pas peur, il n’y a pas la moindre diablerie là dedans. Votre salut ne périclite pas: je ne vais pas vous faire signer un pacte avec un parafe rouge. Rien n’est plus simple que ce qui vient de se passer. Le Verbe qui a créé la lumière peut bien déplacer une âme. Si les hommes voulaient écouter Dieu à travers le temps et l’infini, ils en feraient, ma foi, bien d’autres.

      —Par quelle reconnaissance, par quel dévouement reconnaître cet inestimable service?

      —Vous ne me devez rien; vous m’intéressiez, et pour un vieux Lascar comme moi, tanné à tous les soleils, bronzé à tous les événements, une émotion est une chose rare. Vous m’avez révélé l’amour, et vous savez que nous autres rêveurs un peu alchimistes, un peu magiciens, un peu philosophes, nous cherchons tous plus ou moins l’absolu. Mais levez-vous donc, remuez-vous, marchez, et voyez si votre peau neuve ne vous gêne pas aux entournures.»

      Octave-Labinski obéit au docteur et fit quelques tours par la chambre; il était déjà moins embarrassé; quoique habité par une autre âme, le corps du comte conservait l’impulsion de ses anciennes habitudes, et l’hôte récent se confia à ces souvenirs physiques, car il lui importait de prendre la démarche, l’allure, le geste du propriétaire expulsé.

      «Si je n’avais opéré moi-même tout à l’heure le déménagement de vos âmes, je croirais, dit en riant le docteur Balthazar Cherbonneau, qu’il ne s’est rien passé que d’ordinaire pendant cette soirée, et je vous prendrais pour le véritable, légitime et authentique comte lithuanien Olaf de Labinski, dont le moi sommeille encore là-bas dans la chrysalide que vous avez dédaigneusement laissée. Mais minuit va sonner bientôt; partez pour que Prascovie ne vous gronde pas et ne vous accuse pas de lui préférer le lansquenet ou le baccarat. Il ne faut pas commencer votre vie d’époux par une querelle, ce serait de mauvais augure. Pendant ce temps, je m’occuperai de réveiller votre ancienne enveloppe avec toutes les précautions et les égards qu’elle mérite.»

      Reconnaissant la justesse des observations du docteur, Octave-Labinski se hâta de sortir. Au bas du perron piaffaient d’impatience les magnifiques chevaux bais du comte, qui, en mâchant leurs mors, avaient devant eux couvert le pavé d’écume.—Au bruit de pas du jeune homme, un superbe chasseur vert, de la race perdue des heyduques, se précipita vers le marchepied, qu’il abattit avec fracas. Octave, qui s’était d’abord dirigé machinalement vers son modeste brougham, s’installa dans le haut et splendide coupé, et dit au chasseur, qui jeta le mot au cocher: «A l’hôtel!» La portière à peine fermée, les chevaux partirent en faisant des courbettes, et le digne successeur des Almanzor et des Azolan se suspendit aux larges cordons de passementerie avec une prestesse que n’aurait pas laissé supposer sa grande taille.

      Pour des chevaux de cette allure la course n’est pas longue de la rue du Regard au faubourg Saint-Honoré; l’espace fut dévoré en quelques minutes, et le cocher cria de sa voix de Stentor: La porte!

      Les deux immenses battants, poussés par le suisse, livrèrent passage à la voiture, qui tourna dans une grande cour sablée et vint s’arrêter avec une précision remarquable sous une marquise rayée de blanc et de rose.

      La cour, qu’Octave-Labinski détailla avec cette rapidité de vision que l’âme acquiert en certaines occasions solennelles, était vaste, entourée de bâtiments symétriques, éclairée par des lampadaires de bronze dont le gaz dardait ses langues blanches dans des fanaux de cristal semblables à ceux qui ornaient autrefois le Bucentaure, et sentait le palais plus que l’hôtel; des caisses d’orangers dignes de la terrasse de Versailles étaient posées de distance en distance sur la marge d’asphalte qui encadrait comme une bordure le tapis de sable formant le milieu.

      Le СКАЧАТЬ