Название: André
Автор: George Sand
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066089061
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André le prit, le baisa mille fois comme un fou, l'emporta sur son coeur et en devint amoureux, sans songer que le prince Charmant, épris d'une pantoufle, n'était pas un rêveur beaucoup plus ridicule que lui.
Huit jours s'étaient passés sans qu'il trouvât aucune autre trace de cette apparition. Un matin il arriva lentement, comme un homme qui n'espère plus, et, s'appuyant contre un arbre, il se mit à lire un sonnet de Pétrarque.
Tout à coup une petite voix fraîche sortit des roseaux et chanta deux vers d'une vieille romance:
Puis, tout après, je vis dame d'amour
Qui marchait doux et venait sur la rive.
André tressaillit, et, se penchant, il vit à vingt pas de lui une jeune fille habillée de blanc, avec un petit châle couleur arbre de Judée et un mince chapeau de paille. Elle était debout et semblait absorbée dans la contemplation d'un bouquet de fleurs des champs qu'elle avait à la main. André eut l'idée de s'élancer vers elle pour la mieux voir; mais elle vint de son côté, et il se sentit tellement intimidé qu'il se cacha dans les buissons. Elle arriva tout auprès de lui sans s'apercevoir de sa présence, et se mit à chercher d'autres fleurs. Elle erra ainsi pendant près d'un quart d'heure, tantôt s'éloignant, tantôt se rapprochant, explorant tous les brins d'herbe de la prairie et s'emparant des moindres fleurettes. Chaque fois qu'elle en avait rempli sa main, elle descendait sur une petite plage que baignait la rivière, et plantait son bouquet dans le sable humide pour l'empêcher de se faner. Quand elle en eut fait une botte assez grosse, elle la noua avec des joncs, plongea les tiges à plusieurs reprises dans le courant de l'eau pour en ôter le sable, les enveloppa de larges feuilles de nymphoea pour en conserver la fraîcheur, et, après avoir rattaché son petit chapeau, elle se mit à courir, emportant ses fleurs, comme une biche poursuivie. André n'osa pas la suivre; il craignit d'avoir été aperçu et de l'avoir mise en fuite. Il espéra qu'elle reviendrait, mais elle ne revint plus. Il retourna inutilement aux Prés-Girault pendant toute la belle saison. L'hiver vint, et, à chaque fleur que le froid moissonna, André perdit l'espérance de voir revenir sa belle chercheuse de bleuets.
Mais cette matinée romanesque avait suffi pour le rendre amoureux. Il en devint maigre à faire trembler, et son père, qui jusque-là avait craint de lui voir chercher ses distractions dans les villes environnantes, fut assez inquiet de sa mélancolie pour l'engager à courir un peu les bals et les divertissements de la province.
André éprouvait désormais une grande répugnance pour tout ce qui ne se renfermait pas dans le cercle de ses rêveries et de ses promenades solitaires; néanmoins il chercha son inconnue dans les fêtes et dans les réunions d'alentour. Ce fut en vain: toutes les femmes qu'il vit lui semblèrent si inférieures à son inconnue, que, sans le gant qu'il avait trouvé, il aurait pris toute cette aventure pour un rêve.
Ce fut sans doute un malheur pour lui de se retrancher dans sa fantaisie comme dans un fort inexpugnable, et de fermer les yeux et les oreilles à toutes les séductions de l'oubli. Il aurait pu trouver une femme plus belle que son idéale, mais elle l'avait fasciné. C'était la première, et par conséquent la seule dans son imagination. Il s'obstina à croire que sa destinée était d'aimer celle-là, que Dieu la lui avait montrée pour qu'il en gardât l'empreinte dans son âme et lui restât fidèle jusqu'au jour où elle lui serait rendue. C'est ainsi que nous nous faisons nous-mêmes les ministres de la fatalité.
Ce fut surtout vers la petite ville de L..... qu'il dirigea ses recherches. Mais en vain il vit pendant plusieurs dimanches, l'élite de la société se rassembler dans un salon de bourgeoises précieuses et beaux-esprits, il n'y trouva pas celle qu'il cherchait. Ce qui rendait cette découverte bien plus difficile, c'est que, par suite d'un sentiment appréciable seulement pour ceux qui ont nourri leurs premières amours de rêveries romanesques, André ne put jamais se décider à parler à qui que ce fût de la rencontre qu'il avait faite et de l'impression qu'il en avait gardée. Il aurait cru trahir une révélation divine, s'il eût confié son bonheur et son angoisse à des oreilles profanes. Or, il est bien certain qu'il n'avait aucun ami qui lui ressemblât, et que tous ses jeunes compatriotes se fussent moqués de sa passion, sans en excepter Joseph Marteau, celui qu'il estimait le plus.
Joseph Marteau était fils d'un brave notaire de village. Dans son enfance il avait été le camarade d'André, autant qu'on pouvait être le camarade de cet enfant débile et taciturne. Joseph était précisément tout l'opposé: grand, robuste, jovial, insouciant, il ne sympathisait avec lui que par une certaine élévation de caractère et une grande loyauté naturelle. Ces bons côtés étaient d'autant plus sensibles que l'éducation n'avait guère rien fait pour les développer. Le manque d'instruction solide perçait dans la rudesse de ses goûts. Étranger à toutes les délicatesses d'idées qui caractérisaient le jeune marquis, il y suppléait par une conversation enjouée. Sa bonne et franche gaieté lui inspirait de l'esprit, ou au moins lui en tenait lieu, et il était la seule personne au monde qui pût faire rire le mélancolique André.
Depuis deux ou trois ans il était établi dans la ville de L.... avec sa famille, et fréquentait peu le château de Morand; mais le marquis, effrayé de la langueur de son fils, alla le trouver, et le pria de venir de temps en temps le distraire par son amitié et sa bonne humeur. Joseph aimait André comme un écolier vigoureux aime l'enfant souffreteux et craintif qu'il protège contre ses camarades. Il ne comprenait rien à ses ennuis; mais il avait assez de délicatesse pour ne pas les froisser par des railleries trop dures. Il le regardait comme un enfant gâté, ne discutait pas avec lui, ne cherchait pas à le consoler, parce qu'il ne le croyait pas réellement à plaindre, et ne s'occupait qu'à l'amuser, tout en s'amusant pour son propre compte. Sans doute André ne pouvait pas avoir d'ami plus utile. Il le retrouva donc avec plaisir, et, confié par son père à ce gouverneur de nouvelle espèce, il se laissa conduire partout où le caprice de Joseph voulut le promener.
Celui-ci commença par décréter que, vivant seul, André ne pouvait être amoureux. André garda le silence. Joseph reprit en décidant qu'il fallait qu'André devînt amoureux. André sourit d'un air mélancolique. Joseph conclut en affirmant que parmi les demoiselles de la ville il n'y en avait pas une qui eût le sens commun; que ces précieuses étaient propres à donner le spleen plutôt qu'à l'ôter; qu'il n'y avait au monde qu'une espèce de femmes aimables, à savoir, les grisettes, et qu'il fallait que son ami apprit à les connaître et à les apprécier, ce à quoi André se résigna machinalement.
III.
Les romanciers allemands parlent d'une petite ville de leur patrie où la beauté semble s'être exclusivement logée dans la classe des jeunes ouvrières. Quiconque a passé vingt-quatre heures dans la petite ville de L...., en France, peut attester la rare gentillesse et la coquetterie sans pareille de ses grisettes. Jamais nid de fauvettes babillardes ne mit au jour de plus riches couvées d'oisillons espiègles et jaseurs; jamais souffle du printemps ne joua dans les prés avec plus de fleurettes brillantes et légères. La ville de L.... s'enorgueillit à bon droit de l'éclat de ses filles, et de plus de vingt lieues à la ronde les galants de tous les étages viennent risquer leur esprit et leurs prétentions dans ces bals d'artisans où, chaque dimanche, plus de deux cents petites commères étalent sous les quinquets leurs robes blanches, leurs tabliers de soie noire et leur visage couleur de rose.
Comment la toilette des dames de la ville suffit à faire travailler et vivre toutes ces fillettes, c'est ce qu'on ne saurait guère expliquer sans СКАЧАТЬ