André. George Sand
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Название: André

Автор: George Sand

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066089061

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СКАЧАТЬ toutes ses idées sur la prééminence paternelle.

      Il ne craignait pas non plus que, par goût pour les raffinements de la civilisation, son fils ne l'entraînât à de grandes dépenses au dehors. Ce goût ne pouvait être éclos dans la tête inexpérimentée d'André; et d'ailleurs le marquis avait pour point d'honneur d'aller, en fait d'argent, au-devant de toutes les fantaisies de ce fils opprimé et chéri. C'est ce qui faisait dire à toute la province qu'il n'était pas au monde de jeune homme plus heureux et mieux traité que l'héritier des Morand; mais qu'il jouissait d'une mauvaise santé et qu'il était doué d'un caractère morose. S'il vivait, disait-on, il ne vaudrait jamais son père.

      M. de Morand craignait qu'entraîné par les séductions d'un monde plus brillant, son fils ne secouât entièrement le joug, et que non-seulement il ne revînt plus partager sa vie, mais qu'il s'avisât encore de vendre sa maison héréditaire et d'aliéner ses rentes seigneuriales. Quoique le marquis se fût quelque peu entaché de libéralisme dans la société des chasseurs et des buveurs roturiers qu'il appelait à sa table, il tenait secrètement à ses titres, à sa gentilhommerie, et n'affectait le dédain de ces vanités que dans l'espérance de leur donner plus de lustre aux yeux des petits. Lorsqu'il rentrait le soir après la chasse, il entendait, avec un certain orgueil, l'amble serré de sa petite jument retentir sous la herse délabrée de son château; lorsque du sommet d'une colline boisée il comptait sur ses doigts, d'un air recueilli, la valeur de chacun des arbres d'élite marqués pour la cognée, il jetait un regard d'amour sur ses tourelles à demi cachées dans la cime des bois, et son front s'éclaircissait comme au retour d'une douce pensée.

       Table des matières

      Au profond ennui qui rongeait André, l'attente d'une femme selon son coeur venait, depuis quelque temps, mêler des souffrances et des douceurs plus étranges. Il est à croire que rien d'impur n'aurait pu germer dans cette âme neuve, rien de laid se poser dans cette jeune imagination, et que sa péri enfin était belle comme le jour. Autrement se serait-il pris à pleurer si souvent en songeant à elle? l'aurait-il appelée avec tant d'instances et de doux reproches, l'ingrate qui ne voulait pas descendre du ciel dans ses bras? serait-il resté si tard le soir à l'attendre dans les prés humides de rosée? se serait-il éveillé si matin pour voir lever le soleil, comme si un de ses rayons allait féconder les vapeurs de la terre et en faire sortir un ange d'amour réservé à ses embrassements?

      On le voyait partir pour la chasse, mais revenir sans gibier. Son fusil lui servait de prétexte et de contenance; grâce à ce talisman, le jeune poëte traversait la campagne et bravait les rencontres, sans danger d'être pris pour un fou; il cachait son sentiment le plus cher avec un volume de roman dans la poche de sa blouse; puis, s'asseyant en silence dans les taillis, gardiens du mystère, il s'entretenait de longues heures avec Jean-Jacques ou Grandisson, tandis que les lièvres trottaient amicalement autour de lui et que les grives babillaient au-dessus de sa tête, comme de bonnes voisines qui se font part de leurs affaires.

      A mesure que les vagues inquiétudes de la jeunesse se dirigeaient vers un but appréciable à l'esprit sinon à la vue du solitaire André, sa tristesse augmentait; mais l'espérance se développait avec le désir; et le jeune homme, jusque-là morose et nonchalant, commençait à sentir la plénitude de la vie. Son père tirait bon augure de l'activité des jambes du chasseur, mais il ne prévoyait pas que cette humeur vagabonde aurait pu changer André en hirondelle si la voix d'une femme l'eût appelé d'un bout de la terre à l'autre.

      André était donc devenu un marcheur intrépide, sinon un heureux chasseur. Il ne trouvait pas de solitude assez reculée, pas de lande assez déserte, pas de colline assez perdue dans les verts horizons, pour fuir le bruit des métairies et le mouvement des cultivateurs. Afin d'être moins troublé dans ses lectures, il faisait chaque jour plusieurs lieues à travers champs, et la nuit le surprenait souvent avant qu'il eût songé à reprendre le chemin du logis.

      Il y avait à trois lieues du château de Morand une gorge inhabitée où la rivière coulait silencieusement entre deux marges de la plus riche verdure. Ce lieu, quoique assez voisin de la petite ville de L..., n'était guère fréquenté que par les bergeronnettes et les merles d'eau; les terres avoisinantes étaient sévèrement gardées contre les braconniers et les pêcheurs; André seul, en qualité de chasseur inoffensif, ne donnait aucun ombrage au garde et pouvait s'enfoncer à loisir dans cette solitude Charmante.

      C'est là qu'il avait fait ses plus chères lectures et ses plus doux rêves. Il y avait évoqué les ombres de ses héroïnes de roman. Les chastes créations de Walter Scott, Alice, Rebecca, Diana, Catherine, étaient venues souvent chanter dans les roseaux des choeurs délicieux qu'interrompait parfois le gémissement douloureux et colère de la petite Fenella. Du sein des nuages, les soupirs éloignés des vierges hébraïques de Byron répondaient à ces belles voix de la terre, tandis que la grande et pâle Clarisse, assise sur la mousse, s'entretenait gravement à l'écart avec Julie, et que Virginie enfant jouait avec les brins d'herbe du rivage. Quelquefois un choeur de bacchantes traversait l'air et emportait ironiquement les douces mélodies. André, pâle et tremblant, les voyait passer, fantasques, méchantes et belles, écrasant sans pitié les fleurs du rivage sous leurs pieds nus, effarouchant les tranquilles oiseaux endormis dans les saules, et trempant leurs couronnes de pampres dans les eaux pour les secouer moqueusement à la figure du jeune rêveur. André s'éveillait de sa vision triste et découragé. Il se reprochait de les avoir trouvées belles et d'avoir eu envie un instant de suivre leur trace, semée de fleurs et de débris. Il évoquait alors ses divins fantômes, ses types chéris de sentiment et de pureté. Il les voyait redescendre vers lui dans leurs longues robes blanches et lui montrer au fond de l'onde une image fugitive qu'il s'efforçait en vain d'attirer et de saisir.

      Cette ombre mystérieuse et vague qu'il voyait flotter partout, c'était son amante inconnue, c'était son bonheur futur; mais toutes les réalités différaient tellement de sa beauté idéale, qu'il désespérait souvent de la rencontrer sur la terre, et se mettait à pleurer en murmurant, dans son angoisse, des paroles incohérentes. Son père le crut fou bien des fois, et faillit envoyer chercher le médecin pour l'avoir entendu crier au milieu de la nuit:—Où es-tu? es-tu née seulement? ne suis-je pas venu trop tôt ou trop tard pour te rencontrer sur la terre? Et vingt autres folies que le bonhomme traita de billevesées des qu'il se fut bien assuré que son fils n'avait pas attrapé de coup de soleil dans la journée.

      Un soir que le jeune homme s'était attardé dans les Prés-Girault, c'était le nom de sa chère retraite, il lui sembla voir passer à quelque distance une forme réelle; autant qu'il put la distinguer, c'était une taille déliée avec une robe blanche. Elle semblait voltiger sur la pointe des joncs, tant elle courait légèrement! Cette vision ne dura qu'un instant et disparut derrière un massif de trembles. André s'était arrêté stupéfait, et son coeur battait si fort qu'il lui eût été impossible de faire un pas pour la suivre. Quand il en eut retrouvé la force, il s'aperçut que la rivière, qui coulait à fleur de terre et formait cent détours dans la prairie, le séparait du massif. Il lui fallut faire beaucoup de chemin pour rencontrer un de ces petits ponts que les gardeurs de troupeaux construisent eux-mêmes avec des branches entrelacées et de la terre; enfin il atteignit le massif et n'y trouva personne. L'ombre était devenue si épaisse qu'il était impossible de voir à dix pas devant soi. Il revint, tout pensif et tout ému, s'asseoir devant le souper de son père; mais il dormit moins encore que de coutume, et retourna aux Prés-Girault le lendemain. Rien n'en troublait la solitude, et il craignit d'être devenu assez fou pour qu'une de ses fictions ordinaires lui fût apparue comme une chose réelle.

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