Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид
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СКАЧАТЬ de causer avec votre mère.

      Après qu’ils sont partis, monsieur Profitendieu reste longtemps sans rien dire. La main que madame Profitendieu a laissée dans les siennes est comme morte. De l’autre, elle a porté son mouchoir à ses yeux. Elle s’accoude à la grande table, et se détourne pour pleurer. A travers les sanglots qui la secouent, Profitendieu l’entend murmurer:

      – Oh! vous êtes cruel… Oh! vous l’avez chassé…

      Tout à l’heure, il avait résolu de ne pas lui montrer la lettre de Bernard; mais, devant cette accusation si injuste, il la lui tend:

      – Tiens: lis.

      – Je ne peux pas.

      – Il faut que tu lises.

      Il ne songe plus à son mal. Il la suit des yeux, tout le long de la lettre, ligne après ligne. Tout à l’heure en parlant, il avait peine à retenir ses larmes; à présent l’émotion même l’abandonne; il regarde sa femme. Que pense-t-elle? De la même voix plaintive, à travers les mêmes sanglots, elle murmure encore:

      – Oh! pourquoi lui as-tu parlé… Tu n’aurais pas dû lui dire…

      – Mais tu vois bien que je ne lui ai rien dit… Lis mieux sa lettre.

      – J’ai bien lu… Mais alors comment a-t-il découvert? Qui lui a dit?…

      Quoi! c’est à cela qu’elle songe! C’est là l’accent de sa tristesse! Ce deuil devrait les réunir. Hélas! Profi-tendieu sent confusément leurs pensées à tous deux prendre une direction divergente. Et tandis qu’elle se plaint, qu’elle accuse, qu’elle revendique, il essaie d’incliner cet esprit rétif vers des sentiments plus pieux:

      – Voilà l’expiation, dit-il.

      Il s’est levé, par instinctif besoin de dominer; il se tient à présent tout dressé, oublieux et insoucieux de sa douleur physique, et pose gravement, tendrement, autoritairement la main sur l’épaule de Marguerite, il sait bien qu’elle ne s’est jamais que très imparfaitement repentie de ce qu’il a toujours voulu considérer comme une défaillance passagère; il voudrait lui dire à présent que cette tristesse, cette épreuve pourra servir à son rachat mais il cherche en vain une formule qui le satisfasse et qu’il puisse espérer faire entendre. L’épaule de Marguerite résiste à la douce pression de sa main. Marguerite sait si bien que toujours, insupportablement, quelque enseignement moral doit sortir, accouché par lui, des moindres événements de la vie; il interprète et traduit tout selon son dogme. Il se penche vers elle. Voici ce qu’il voudrait lui dire:

      – Ma pauvre amie, vois-tu: il ne peut naître rien de bon du péché. Il n’a servi de rien de cher-cher à couvrir ta faute. Hélas! j’ai fait ce que j’ai pu pour cet enfant; je Fai traité comme le mien propre. Dieu nous montre à présent que c’était une erreur, de prétendre…

      Mais dès la première phrase il s’arrête.

      Et sans doute comprend-elle ces quelques mots si chargés de sens; sans doute ont-ils pénétré dans son coeur, car elle est reprise de sanglots, encore plus violents que d’abord, elle qui depuis quelques instants ne pleurait plus; puis elle se plie comme prête à s’agenouiller devant lui, qui se courbe vers elle et la maintient. Que dit-elle à travers ses larmes? Il se penche jusqu’à ses lèvres. Il entend:

      – Tu vois bien… Tu vois bien… Ah! pourquoi m’as-tu pardonné…? Ah! je n’aurais pas dû revenir!

      Presque il eét obligé de deviner ses paroles. Puis elle se tait. Elle non plus ne peut exprimer davantage. Comment lui eût-elle dit qu’elle se sentait emprisonnée dans cette vertu qu’il exigeait d’elle; qu’elle étouffait; que ce n’était pas tant sa faute qu’elle regrettait à présent, que de s’en être repentie? Profitendieu s’était redressé:

      – Ma pauvre amie, dit-il sur un ton digne et sévère, je crains que tu ne sois un peu butée ce soir. Il est tard. Nous ferions mieux d’aller nous coucher.

      Il l’aide à se relever, puis l’accompagne jusqu’à sa chambre, pose ses lèvres sur son front, puis rétourne dans son bureau et se jette dans un fauteuil. Chose étrange, sa crise de foie s’est calmée; mais il se sent brisé. Il reâte le front dans lès mains, trop triste pour pleurer. Il n’entend pas frapper à la porte, mais, au bruit de ia porte qui s’ouvre, lève la tête: c’est son fils Charles:

      – Je venais te dire bonsoir.

      Charles s’approche. Il a tout compris. Il veut le donner à entendre à son père. Il voudrait lui témoigner sa pitié, sa tendresse, sa dévotion, mais, qui le croirait d’un avocat: il est on ne peut plus maladroit à s’exprimer; ou peut-être devient-il maladroit précisément lorsque ses sentiments sont sincères. Il embrasse son père. La façon insistante qu’il a déposer, d’appuyer sa tête sur l’épaule de son père et de l’y laisser quelque temps, persuade celui-ci qu’il a compris. Il a si bien compris que le voici qui, relevant un peu la tête, demande, gauchement, comme tout ce qu’il fait, – mais il a le coeur si tourmenté qu’il ne peut se retenir de demander:

      – Et Caloub?

      La question est absurde, car, autant Bernard différait des autres enfants, autant chez Caloub l’air de famille est sensible. Profitendieu tape sur l’épaule de Charles:

      – Non; non; rassure-toi. Bernard seul. Alors Charles, sentencieusement:

      – Dieu chasse l’intrus pour…

      Mais Profitendieu l’arrête; qu’a-t-il besoin qu’on lui parle ainsi?

      – Tais-toi.

      Le père et le fils n’ont plus rien à se dire. Quittons-les. Il est bientôt onze heures. Laissons madame Profitendieu dans sa chambre, assise sur une petite chaise droite peu confortable. Elle ne pleure pas; elle ne pense à rien. Elle voudrait, elle aussi, s’enfuir; mais elle ne le fera pas. Quand elle était avec son amant, le père de Bernard, que nous n’aVons pas à connaître, elle se disait: Va, tu auras beau faire; tu ne seras jamais qu’une honnête femme. Elle avait peur de la liberté, du crime, de l’aisance; ce qui fit qu’au bout de dix jours elle rentrait repentante au foyer. Ses parents autrefois avaient bien raison de lui dire: Tu ne sais jamais ce que tu veux. Quittons-la. Cécile dort déjà. Caloub considère avec désespoir sa bougie; elle ne durera pas assez pour lui permettre d’achever un livre d’aventures, qui le distrait du départ de Bernard. J’aurais été curieux de savoir ce qu’Antoine a pu raconter à son amie la cuisinière; mais on ne peut tout écouter. Voici l’heure où Bernard doit aller retrouver Olivier. Je ne sais pas trop où il dîna ce soir, ni même s’il dîna du tout. Il a passé sans encombre devant la loge du concierge; il monte en tapinois l’escalier…

      III

      Planty and peace breeds cowards; hardness even

      Of hardiness is mother.

SHAKESPEARE

      Olivier s’était mis au lit pour recevoir le baiser de sa mère, qui venait embrasser ses deux derniers enfants dans leur lit tous les soirs. Il aurait pu se rhabiller pour recevoir Bernard, mais il doutait encore de sa venue et craignait de donner l’éveil à son jeune frère. Georges d’ordinaire s’endormait vite et se réveillait tard; peut-être même ne s’apercevrait-il de rien d’insolite.

      En entendant une sorte de grattement СКАЧАТЬ