Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид
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Читать онлайн книгу Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке - Андре Жид страница 4

СКАЧАТЬ est irrévocable. Je ne sais ce qu’a pu vous coûter mon entretien jusqu’à ce jour; je pouvais accepter de vivre à vos dépens tant que j’étais dans l’ignorance, mais il va sans dire tue je préfère ne rien recevoir de vous à l’avenir. L’idée de vous devoir quoi que ce soit m’est intolérable, et je crois que, si c’était à recommencer, je préférerais mourir de faim plutôt que de m’asseoir à votre table. Heureusement il me semble me souvenir d’avoir entendu dire que ma mère, quand elle vous a épousé, était plus riche que vous. Je suis donc libre de penser que je n’ai vécu qu’à sa charge. Je la remercie, la tiens quitte de tout le reste, et lui demande de m’oublier. Vous trouverez bien un moyen d’expliquer mon départ auprès de ceux qui pourraient s’en étonner. Je vous permets de me charger (mais je sais bien que vous n’attendrez pas ma permission pour le faire).

      “Je signe du ridicule nom qui est le vôtre, que je voudrais pouvoir vous rendre, et qu’il me tarde de déshonorer.

“BERNARD PROFITENDIEU.

      “P. S. Je laisse chez vous toutes mes affaires qui pourront servir à Caloub plus légitimement, je l’espère pour vous.”

      Monsieur Profitendieu gagna, en chancelant, un fauteuil. Il eût voulu réfléchir, mais les idées tourbillonnaient confusément dans sa tête. De plus, il ressentait un petit pincement au côté droit, là, sous les côtes; il n’y couperait pas: c’était la crise de foie. Y avait-il seulement de l’eau de Vichy, à la maison? Si au moins son épouse était rentrée! Comment allait-il l’avertir de la fuite de Bernard? Devait-il lui montrer la lettre? Elle est injuste, cette lettre, abominablement injuste. Il devrait s’en indigner surtout. Il voudrait prendre pour de l’indignation sa tristesse. Il respire fortement et à chaque expiration exhale un “ah! mon Dieu!” rapide et faible comme un soupir. Sa douleur au côté se confond avec sa tristesse, la prouve et la localise. Il lui semble qu’il a du chagrin au foie. Il se jette dans un fauteuil et relit la lettre de Bernard. Il hausse tristement les épaules. Certes elle est cruelle pour lui, cette lettre; mais il y sent du dépit, du défi, de la jaâance. Jamais aucun de ses autres enfants, de ses vrais enfants, n’aurait été capable d’écrire ainsi, non plus qu’il n’en aurait été capable lui-même; il le sait bien, car il n’est rien en eux qu’il n’ait connu de reste en lui-même. Certes il a toujours cru qu’il devait blâmer ce qu’il sentait en Bernard de neuf, de rude, et d’indompté; mais il a beau le croire encore, il sent bien que c’est précisément à cause de cela qu’il l’aimait comme il n’avait jamais aimé les autres.

      Depuis quelques instants on entendait dans la pièce d’à côté Cécile qui, rentrée du concert, s’était mise au piano et répétait avec obstination la même phrase d’une barcarolle. A la fin Albéric Profitendieu n’y tint plus. Il entrouvrit la porte du salon et, d’une voix plaintive, quasi suppliante, car la colique hépatique commençait à le faire cruellement souffrir (au surplus il a toujours été quelque peu timide avec elle):

      – Ma petite Cécile, voudrais-tu t’assurer qu’il y a de l’eau de Vichy à la maison; et s’il n’y en a pas, en envoyer chercher. Et puis tu serais gentille d’arrêter un peu ton piano.

      – Tu es souffrant?

      – Mais non, mais non. Simplement j’ai besoin de réfléchir un peu jusqu’au dîner et ta musique me dérange.

      Et, par gentillesse, car la souffrance le rend doux, il ajoute:

      – C’est bien joli ce que tu jouais là. Qu’est-ce que c’est?

      Mais il sort sans avoir entendu la réponse. Du reste sa fille qui sait qu’il n’entend rien à la musique et confond Viens, Poupoule avec la marche de Tannhâuser (du moins c’est elle qui le dit), n’a pas l’intention de lui répondre. Mais voici qu’il rouvre la porte:

      – Ta mère n’est pas rentrée?

      – Non, pas encore.

      C’est absurde. Elle allait rentrer si tard qu’il n’aurait pas le temps de lui parler avant le dîner. Qu’est-ce qu’il pourrait inventer pour expliquer provisoirement l’absence de Bernard? Il ne pouvait pourtant pas raconter la vérité, livrer aux enfants le secret de l’égarement passager de leur mère. Ah! tout était si bien pardonné, oublié, réparé. La naissance d’un dernier fils avait scellé leur réconciliation. Et soudain ce spectre vengeur qui ressort du passé, ce cadavre que le flot ramène…

      Allons! qu’est-ce que c’est encore? La porte de son bureau s’est ouverte sans bruit; vite, il glisse la lettre dans la poche intérieure de son veston; la portière tout doucement se soulève. C’est Caloub.

      – Papa, dis… Qu’est-ce que ça veut dire, cette phrase latine. Je n’y comprends rien…

      – Je t’ai déjà dit de ne pas entrer sans frapper. Et puis je ne veux pas que tu viennes me déranger comme ça à tout bout de champ. Tu prends, l’habitude de te faire aider et de te reposer sur les autres au lieu de donner un effort personnel. Hier, c’était ton problème de géométrie, aujourd’hui c’eét une… de qui est-elle ta phrase latine?

      Caloub tend son cahier:

      – Il ne nous a pas dit; mais, tiens, regarde: toi tu vas reconnaître. Il nous l’a diâée, mais j’ai peut-être mal écrit. Je voudrais savoir au moins si c’est correû…

      Monsieur Profitendieu prend le cahier, mais il souffre trop. Il repousse doucement l’enfant:

      – Plus tard. On va dîner. Charles est-il rentré?

      – Il est redescendu à son cabinet. (C’est au rez-de-chaussée que l’avocat reçoit sa clientèle.)

      – Va lui dire qu’il vienne me trouver. Va vite.

      Un coup de sonnette! Madame Profitendieu rentre enfin; elle s’excuse d’être en retard; elle a dû faire beaucoup de visites. Elle s’attriste de trouver son mari souffrant. Que peut-on faire pour lui? C’est vrai qu’il a très mauvaise mine. – Il ne pourra manger. Qu’on se mette à table sans lui. Mais qu’après le repas elle vienne le retrouver avec les enfants. – Bernard! – Ah! c’est vrai; son ami… tu sais bien, celui avec qui il prenait des répétitions de mathématiques, est venu l’emmener dîner.

      Profitendieu se sentait mieux. Il avait d’abord eu peur d’être trop souffrant pour pouvoir parler. Pourtant il importait de donner une explication de la disparition de Bernard. Il savait maintenant ce qu’il devait dire, si douloureux que cela fût. Il se sentait ferme et résolu. Sa seule crainte, c’était que sa femme ne l’interrompît par des pleurs, par un cri; qu’elle ne se trouvât mal…

      Une heure plus tard, elle entre avec les trois enfants, s’approche. Il la fait asseoir près de lui contre son fauteuil:

      – Tâche de te tenir, lui dit-il à voix basse, mais sur un ton impérieux; et ne dis pas un mot, tu m’entends. Nous causerons ensuite tous les deux.

      Et tandis qu’il parle, il garde une de ses mains à elle dans les siennes.

      – Allons; asseyez-vous, mes enfants. Cela me gêne de vous voir là, debout devant moi comme pour un examen. J’ai à vous dire quelque chose de très triste… Bernard nous a quittés et nous ne le reverrons plus… d’ici quelque temps. Il faut que je vous apprenne aujourd’hui ce que je vous ai caché d’abord, désireux que j’étais de vous voir aimer Bernard comme un frère; car votre mère et moi nous l’aimions comme notre enfant. Mais il n’était pas notre enfant… et un oncle à lui, un СКАЧАТЬ