Название: Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке
Автор: Андре Жид
Издательство: КАРО
Жанр: Зарубежная классика
Серия: Littérature contemporaine
isbn: 978-5-9925-1387-5
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“C’était la première fois que je prenais un repas chez Pauline. J’avais tort de me méfier de mon beau-frère. Je doute qu’il soit un bien remarquable juriste, mais il sait ne parler pas plus de son métier que je ne parle du mien quand nous sommes ensemble, de sorte que nous nous entendons fort bien.
“Naturellement, quand j’arrivai ce matin-là, je ne soufflai mot de la rencontre que je venais de faire:
“– Ça me permettra, j’espère, de faire la connaissance de mes neveux, dis-je quand Pauline me pria de rester à déjeuner. Car vous savez qu’il y en a deux que je ne connais pas encore.
“– Olivier, me dit-elle, ne rentrera qu’un peu tard, car il a une répétition; nous nous mettrons à table sans lui. Mais je viens d’entendre rentrer Georges. Je vais l’appeler. Et, courant à la porte de la pièce voisine:
“– Georges! Viens dire bonjour à ton oncle.
“Le petit s’approcha, me tendit la main; je l’embrassai… J’admire la force de dissimulation des enfants: il ne laissa paraître aucune surprise; c’était à croire qu’il ne me reconnaissait pas. Simplement, il rougit beaucoup; mais sa mère put croire que c’était par timidité. Je pensai que peut-être il était gêné de retrouver le limier de tout à l’heure, car il nous quitta presque aussitôt et retourna dans la pièce voisine; c’était la salle à manger, qui, je le compris, sert de salle d’étude aux enfants, entre les repas. Il reparut pourtant bientôt après, lorsque son père entra dans le salon, et profita de l’infant où l’on allait passer dans la salle à manger, pour s’approcher de moi et me saisir la main sans être vu de ses parents. Je crus d’abord à une marque de camaraderie, qui m’amusa; mais non: il m’ouvrit la main que je refermai sur la sienne, y glissa un petit billet que certainement il venait d’écrire, puis replia mes doigts par-dessus, en serrant le tout très fort. Il va sans dire que je me prêtai au jeu; je cachai le petit billet dans une poche, d’où je ne le pus sortir qu’après le repas. Voici ce que j’y lus:
“Si vous racontez à mes parents l’histoire du livre, fe (il avait barré: vous détesterai) dirai que vous w’avez fait des propositions.
“Et plus bas:
“Je sors quotidie du lycée à 10 h.”
“Interrompu hier par la visite de X. Sa conversation m’a laissé dans un état de malaise.
“Beaucoup réfléchi à ce que m’a dit X. Il ne connaît rien de ma vie, mais je lui ai exposé longuement mon plan des Faux-Motmayeurs. Son conseil m’est toujours salutaire; car il se place à un point de vue différent du mien. Il craint que je ne verse dans le factice et que je ne lâche le vrai sujet pour l’ombre de ce sujet dans mon cerveau. Ce qui m’inquiète, c’eét de sentir la vie (ma vie) se séparer ici de mon oeuvre, mon oeuvre s’écarter de ma vie. Mais, ceci, je n’ai pas pu le lui dire. Jusqu’à présent, comme il sied, mes goûts, mes sentiments, mes expériences personnelles alimentaient tous mes écrits; dans mes phrases les mieux construites, encore sentais-je battre mon coeur. Désormais, entre ce que je pense et ce que je sens, le lien est rompu. Et je doute si précisément ce n’est pas l’empêchement que j’éprouve à laisser parler aujourd’hui mon coeur qui précipite mon oeuvre dans l’abstrait et l’artificiel. En réfléchissant à ceci, la? signification de la fable d’Apollon et de Daphné m’est brusquement apparue: heureux, ai-je pensé, qui peut saisir dans une seule étreinte le laurier et l’objet même de son amour.
“J’ai raconté ma rencontre avec Georges si longuement que j’ai dû m’arrêter au moment où Olivier entrait en scène. Je n’ai commencé ce récit que pour parler de lui, et je n’ai su parler que de Georges. Mais, au moment de parler d’Olivier, je comprends que le désir de différer ce moment était cause de ma lenteur. Dès que je le vis, ce premier jour, dès qu’il se fut assis à la table de famille, dès mon premier regard, ou plus exactement dès son premier regard, j’ai senti que ce regard s’emparait de moi et que je ne disposais plus de ma vie.
“Pauline insiste pour que je vienne la voir plus souvent. Elle me prie instamment de m’occuper un peu de ses enfants. Elle me laisse entendre que leur père les connaît mal. Plus je cause avec elle et plus elle me paraît charmante. Je ne comprends plus comment j’ai pu rester si longtemps sans la fréquenter. Les enfants sont élevés dans la religion catholique; mais elle se souvient de sa première éducation protestante, et bien qu’elle ait quitté le foyer de notre père commun au moment où ma mère y est entrée, je découvre entre elle et moi maints traits de ressemblance. Elle a mis ses enfants en pension chez les parents de Laura, où j’ai moi-même si longtemps habité. La pension Azaïs, du reste, se pique de n’avoir pas de couleur confessionnelle particulière (de mon temps, on y voyait jusqu’à des Turcs), encore que le vieil Azaïs, l’ancien ami de mon père, qui l’a fondée et qui la dirige encore, ait été d’abord pasteur.
“Pauline reçoit d’assez bonnes nouvelles du sanatorium où Vincent achève de se guérir. Elle lui parle de moi, m’a-t-elle dit, dans ses lettres, et voudrait que je le connaisse mieux; car je n’ai fait que l’entrevoir. Elle fonde sur son fils aîné de grands espoirs; le ménage se saigne pour lui permettre bientôt de s’établir – je veux dire: d’avoir un logement indépendant pour recevoir la clientèle. En attendant, elle a trouvé le moyen de lui réserver une partie du petit appartement qu’ils occupent, en installant Olivier et Georges, au-dessous de leur appartement, dans une chambre isolée, qui se trouvait vacante. La grande question est de savoir si, pour raison de santé, Vincent va devoir renoncer à l’internat.
“A vrai dire, Vincent ne m’intéresse guère et, si je parle beaucoup de lui avec sa mère, c’est par complaisance pour elle, et pour pouvoir sitôt ensuite nous occuper plus longuement d’Olivier. Quant à Georges, il me bat froid, me répond à peine quand je lui parle et jette sur moi, quand il me croise, un regard indé-finissablement soupçonneux. Il semble qu’il m’en veuille de n’être pas allé l’attendre à la porte de son lycée – ou qu’il s’en veuille de ses avances.
“Je ne vois pas Olivier davantage. Quand je vais chez sa mère, je n’ose le retrouver dans la pièce où je sais qu’il travaille; le rencontré-je par hasard, je suis si gauche et si confus que je ne trouve rien à lui dire, et cela* me rend si malheureux que je préfère aller voir sa mère aux heures où je sais qu’il n’est pas à la maison.”
XII
“2 novembre. – Longue conversation avec Douviers, qui sort avec moi de chez les parents de Laura et m’accompagne jusqu’à l’Odéon à travers le Luxembourg. Il prépare une thèse de doctorat sur Wordsworth, mais aux quelques mots qu’il m’en dit, je sens bien que les qualités les plus particulières de la poésie de Wordsworth lui échappent. Il aurait mieux fait de choisir Tennyson. Je sens je ne sais quoi d’insuffisant chez Douviers, d’abstrait et de jobard. Il prend toutes les choses et les êtres pour ce qu’ils se donnent; c’est peut-être parce que lui se donne toujours pour ce qu’il est.
“– Je sais, m’a-t-il dit, que vous êtes le meilleur ami de Laura. Je devrais sans doute être un peu jaloux de vous. Je ne puis pas. Au contraire, tout ce qu’elle m’a dit de vous m’a fait à la fois la comprendre mieux, et souhaiter de devenir votre ami. СКАЧАТЬ