Название: Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке
Автор: Андре Жид
Издательство: КАРО
Жанр: Зарубежная классика
Серия: Littérature contemporaine
isbn: 978-5-9925-1387-5
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Cest à ce moment qu’il vit le petit bout de papier froissé s’échapper de la main distraite d’Edouard. Quand il l’eut ramassé, qu’il eut vu que c’était un bulletin de consigne… parbleu, le voilà bien le prétexte cherché!
Il vit entrer les deux amis dans le café; demeura perplexe un instant; puis, reprenant son monologue:
– Un adipeux normal n’aurait rien de plus pressé que de lui rapporter ce papier, se dit-il.
How weary stale, flât and unprofitable
Seems to me all the uses of this world
ai-je entendu dire à Hamlet. Bernard, Bernard, quelle pensée t’effleure? Hier déjà tu fouillais un tiroir. Sur quel chemin t’engages-tu? Fais bien attention, mon garçon… Fais bien attention qu’à midi l’employé de la consigne à qui Edouard a eu affaire, va déjeuner, et qu’il est remplacé par un autre. Et n’as-tu pas promis à ton ami de tout oser?
Il réfléchit pourtant que trop de précipitation risquait de tout compromettre. Surpris au débotté, l’employé pouvait trouver suspeâ cet empressement; consultant le registre du dépôt, il pouvait trouver peu naturel qu’un bagage, mis à la consigne quelques minutes avant midi, en fût retiré sitôt après. Enfin, si tel passant, tel fâcheux, l’avait vu ramasser le papier… Bernard prit sur lui de redescendre jusqu’à la Concorde, sans se presser; le temps qu’eût mis un autre à déjeuner. Cela se fait souvent, n’est-ce pas, de mettre sa valise à la consigne durant le temps que Ton déjeune et d’aller la reprendre ensuite? Il ne sentait plus sa migraine. En passant devant une terrasse de restaurant, il s’empara sans façons d’un cure-dent (ils étaient en petits faisceaux sur les tables), qu’il allait grignoter devant le bureau de consigne, pour avoir l’air rassasié. Heureux d’avoir pour lui sa bonne mine, l’élégance de son coutume, la distinction de sa tenue, la franchise de son sourire et de son regard, enfin ce je ne sais quoi dans l’allure où l’on sent ceux qui, nourris dans le bien-être, n’ont besoin de rien, ayant tout. Mais tout cela se fripe, â dormir sur les bancs.
Il eut une souleur, quand l’employé lui demanda dix centimes de garde. Il n’avait plus un sou. Que faire? La valise était là, sur le butoir. Le moindre manque d’assurance allait donner l’éveil; et aussi le manque d’argent. Mais le démon ne permettra pas qu’il se perde; il glisse sous les doigts anxieux de Bernard, qui vont fouillant de poche en poche, dans un simulacre de recherche désespérée, une petite pièce de dix sous oubliée depuis on ne sait quand, là, dans le gousset de son gilet. Bernard la tend à l’employé. Il n’a rien laissé paraître de son trouble. Il s’empare de la valise et d’un geste simple et honnête, empoche les sous qu’on lui rend. Ouf! Il a chaud. Où va-t-il aller? Ses jambes se dérobent sous lui et la valise lui paraît lourde. Que va-t-il en faire?.. Il songe tout à coup qu’il n’en a pas la clef. Et non; et non; et non; il ne forcera pas la serrure; il n’est pas un voleur, que diable!… Si du moins il savait ce qu’il y a dedans. Elle pèse à son bras. Il est en nage. Il s’arrête un instant; pose son faix sur le trottoir. Certes, il entend bien la rendre, cette valise; mais il voudrait l’interroger d’abord. Il presse à tout hasard la serrure. Oh! miracle! les valves s’entr’ouvrent, laissant entrevoir cette perle: un portefeuille, qui laisse entrevoir des billets. Bernard s’empare de la perle et referme l’huître aussitôt.
Et maintenant qu’il a de quoi, vite! un hôtel. Rue d’Amsterdam, il en sait un tout près. Il meurt de faim. Mais avant de s’asseoir à table, il veut mettre la valise à l’abri. Un garçon qui la porte le précède dans l’escalier. Trois étages; un couloir… une porte, qu’il ferme à cacher sur son trésor… Il redescend.
Attablé devant un bifteck, Bernard n’osait tirer le portefeuille de sa poche (sait-on jamais qui vous observe?) mais, dans le fond de cette poche intérieure, sa main gauche amoureusement le palpait.
– Faire comprendre à Edouard que je ne suis pas un voleur, se disait-il, voilà le hic. Quel genre de type est Edouard? La valise nous renseignera peut-être. Séduisant, c’est un fait acquis. Mais il y a des tas de types séduisants qui comprennent fort mal la plaisanterie. S’il croit sa valise volée, il ne laissera pas sans doute d’être content de la revoir. Il me sera reconnaissant de la lui rapporter, ou n’est qu’un mufle. Je saurai l’intéresser à moi. Prenons vite un dessert et remontons examiner la situation. L’addition; et laissons un émouvant pourboire au garçon.
Quelques instants plus tard, il était de nouveau dans la chambre.
– Maintenant, valise, à nous deux!.. Un complet de rechange; à peine un peu trop grand pour moi, sans doute. L’étoffe en est seyante et de bon goût. Du linge; des affaires de toilette. Je ne suis pas bien sûr de lui rendre jamais tout cela. Mais ce qui prouve que je ne suis pas un voleur, c’est que les papiers que voici vont m’occuper bien davantage. Lisons d’abord Ceci:
C’était le cahier dans lequel Edouard avait serré la triste lettre de Laura. Nous en connaissons déjà les premières pages; voici ce qui suivait aussitôt.
XI
“I-er novembre. – Il y a quinze jours… – j’ai eu tort de ne pas noter cela aussitôt. Ce n’est pas que le temps m’ait manqué, mais j’avais le coeur encore plein de Laura – ou plus exactement je voulais ne point distraire d’elle ma pensée; et puis je ne me plais à noter ici rien d’épisodique, de fortuit, et il ne me paraissait pas encore que ce que je vais raconter pût avoir une suite, ni comme l’on dit: tirer à conséquence; du moins, je me refusais à l’admettre et c’était pour me le prouver, en quelque sorte, que je m’abstenais d’en parler dans mon journal; mais je sens bien, et j’ai beau m’en défendre, que la figure d’Olivier aimante aujourd’hui mes pensées, qu’elle incline leur cours et que, sans tenir compte de lui, je ne pourrais ni tout à fait bien m’expliquer, ni tout à fait bien me comprendre.
“Je revenais au matin de chez Perrin, où j’allais surveiller le service de presse pour la réédition de mon vieux livre. Comme le temps était beau, je flânais le long des quais en attendant l’heure du déjeuner.
“Un peu avant d’arriver devant Vanier, je m’arrêtai près d’un étalage de livres d’occasion. Les livres ne m’intéressaient point tant qu’un jeune lycéen, de treize ans environ, qui fouillait les rayons en plein vent sous l’oeil placide d’un surveillant assis sur une chaise de paille dans la porte de la boutique. Je feignais de contempler l’étalage, mais, du coin de l’oeil, moi aussi je surveillais le petit. Il était vêtu d’un pardessus usé jusqu’à la corde et dont les manches trop courtes laissaient passer celles de la veste. La grande poche de côté reétait bâillante, bien qu’on sentît qu’elle était vide; dans le coin l’étoffe avait cédé. Je pensai que ce pardessus avait déjà dû servir à plusieurs frères, et que ses frères et lui avaient l’habitude de mettre beaucoup trop de choses dans leurs poches. Je pensai aussi que sa mère était bien négligente, ou bien occupée, pour n’avoir pas réparé cela. Mais, à ce moment, le petit s’étant un peu tourné, je vis СКАЧАТЬ