SCÈNE XIII
Les Mêmes, FRIÉLO, DRITZEN, CONRAD HUMMER, Bourgeois, Peuple, puis FUST et GUTENBERG
Pendant les dernières paroles de Zum, des bourgeois, des passants sont entrés, et se sont peu à peu rassemblés devant la boutique de Grimmel.
Mon doux Jésus! Que restera-t-il aux honnêtes copistes pour vivre, si les mécréants se mettent à faire leur besogne? En écrivant du matin au soir, et du soir au matin, la vie d'un homme ne suffirait pas à copier les manuscrits que Jean Gensfleich a livrés ce matin à ce marchand d'estampes.
Hélas! maître, à quoi cela vous servira-t-il, sinon à vous faire brûler comme sorcier, de pouvoir écrire plus vite que personne? Le monde en ira-t-il mieux? Je crains qu'il n'aille, au contraire, plus mal, en commençant par nous. Renoncez à vos projets, il en est temps encore. Acceptez la protection du seigneur Fust, ou nous sommes perdus!
Si tu m'aimes, tais-toi, si tu as peur, va-t'en. (Au peuple.) Qu'y a-t-il? que me voulez-vous? Amis, répondez. De quoi m'accuse-t-on?
On t'accuse de sorcellerie; car il n'y a que le démon qui ait pu, sans l'aide d'une main humaine, tracer des caractères semblables. Tes feuillets sentent le roussi: ce sont des œuvres d'enfer!
Hésiterez-vous à condamner comme sorcier, celui qui écrit à l'aide de maléfices?
Mort au renégat! mort à Gensfleisch!… mort à Gutenberg! À mort! à mort!
Eh bien! jeune homme, tu le vois, toi et ton œuvre allez périr ensemble. Un mot, et je te sauve: un mot, et ce peuple menaçant se prosterne devant toi. Une dernière fois, je t'offre mon appui. Veux-tu me confier ton secret?
Jamais!
Fust fait un geste d'encouragement aux deux Zum, et sort, par la droite.
Mort à l'hérétique!… À mort! à mort!
Annette et Hébèle sortent de la boutique d'orfèvre; Friélo leur montre le peuple en courroux; Conrad et Dritzen les rassurent.
SCÈNE XIV
Les Mêmes, DIETHER D'YSSEMBOURG
Diether est précédé de soldats, qui font reculer le peuple à droite et à gauche, et restent au fond.15
Quel est ce tumulte? Pourquoi ces cris?… Silence, bourgeois et manants! C'est moi, votre chef, votre souverain, votre père, qui ai seul ici le droit d'accuser, de punir ou d'absoudre. Si Gutenberg est coupable, il sera condamné; s'il est innocent, pourquoi ces menaces? Justice sera faite. Retirez-vous un moment (Le peuple se retire au fond du théâtre. Friélo s'approche de Zum, et revient près de Conrad et Dritzen, qui le rassurent. Il baise le bas de la robe de Diether. Sur un mouvement menaçant de Zum, il s'écarte.—À Gutenberg.) Je sais, jeune homme, que tu es un bon et loyal ouvrier. Je sais, que tu n'as jamais fait aucune œuvre de sorcellerie, et qu'en te livrant à des essais nouveaux, tu obéis à une noble ambition. Il m'a été facile de te préserver tout à l'heure de l'émeute populaire; mais la bourgeoisie de Mayence, jalouse du rang qu'a su jadis conquérir ton père et de ton mérite personnel, ne te pardonnera pas de sitôt une découverte appelée à illustrer ton nom… Je ne te dirai pas de renoncer à une idée, que je tiens, moi, pour excellente; mais comme mon devoir est de faire régner l'ordre et la bonne harmonie dans la ville, je t'ordonne de partir, de quitter Mayence, sur l'heure. Ton absence peut seule calmer la surexcitation du peuple. (Mouvement de Gutenberg.) Pars pour la Hollande. Tu trouveras à Harlem l'imagier Laurent Coster; ses lumières et ses conseils te seront utiles. C'est l'homme le plus propre à comprendre et à encourager tes travaux. Présente-toi à lui de ma part. Sois toujours laborieux et honnête, et lorsque tu reviendras, la ville, apaisée, te fera bon accueil, je te le promets.
Mon intention était de partir, pour aller perfectionner mon invention loin de Mayence, loin des ennemis et des jaloux. Je l'ai annoncé ce matin à ma sœur, à mes amis; mais je n'avais pas encore de résidence déterminée. Vous me donnez, monseigneur, un excellent avis en m'engageant à me rendre chez Laurent Coster. Je travaillerai sous ses yeux, et je reviendrai un jour, pour rendre à mon pays l'art merveilleux dont j'emporte le germe.
Compte toujours sur ma protection et mon appui.
Conrad va remercier Diether; Diether remonte près de Conrad.
Merci, mille fois, monseigneur. (À Hébèle.) Ne pleure pas, Hébèle. La prière et le travail sont deux amis qui se retrouvent toujours: nous nous reverrons. (À Annette.) Ne veux-tu pas me serrer la main, Annette?
Ah! Jean! ce n'est plus avec les larmes que je te dis adieu… c'est avec orgueil!
Cher frère!
Adieu! Conrad. Adieu, André. Pensez un peu à l'ami absent, qui ne vous oubliera jamais.
Fausse sortie.
Vous oubliez quelqu'un, maître!
C'est vrai: je ne t'ai rien dit, mon pauvre Friélo. (Il lui tend la main.) Que la providence veille sur toi!
Ce n'est pas ça, mon cher maître; vos adieux ne me feront pas le cœur plus content. Ce que je désire, c'est aller avec vous chez Laurent Coster, l'imagier de Harlem. Comment avez-vous pu songer à partir seul? Croyez-vous que je me soucie de rester sans vous à Mayence!
Toi, Friélo, si casanier, si poltron et si amoureux des belles filles de ton pays, tu consentirais à aller jusqu'en Hollande?
Oui, car au-dessus de mes aises, de ma poltronnerie et de mes amourettes, il y a mon frère de lait, il y a mon maître. Me conduiriez-vous en enfer? (À part.) je sais bien qu'il n'ira jamais de ce vilain côté. (Haut.) je vous suivrais partout!
Eh bien, mon garçon, tu me suivras, puisque tu le veux.
Monseigneur, les amis m'envoient vous demander ce que vous avez décidé contre ce mécréant.
Je lui ai ordonné de partir, de quitter Mayence.
Et de n'y jamais rentrer, nous l'espérons! (La foule vient se ranger autour de Gutenberg, de Diether et des autres personnes, avec un air menaçant.) Qu'il parte à l'instant, s'il ne veut pas tomber sous nos coups.
À mort! à mort!
Malheur СКАЧАТЬ
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Friélo, Gutenberg, Conrad Dritzen, Petit Zum, Zum, Fust, peuple et bourgeois au fond.
15
Annette, Hébèle, Dritzen, Conrad, Friélo, Gutenberg, Diether, Petit Zum, Zum, Soldats, Peuple, Bourgeois, au fond.