SCÈNE X
GUTENBERG, CONRAD HUMMER, ANDRÉ DRITZEN
Conrad et Dritzen entrent par le fond gauche, et regardent Gutenberg8.
Qu'as-tu donc, Gutenberg? Te voilà tout agité.
Il serre la main de Gutenberg.
C'est que je viens d'avoir un entretien, et presque une altercation, avec l'argentier Fust.
L'argentier Fust! Méfie-toi de cet homme. Il est capable de tout, pour arriver à ses fins.
Il est sorti furieux, parce que j'ai refusé de le prendre pour associé.
Il ne veut, crois-le bien, le secret de ton invention que pour t'en déposséder plus tard.
Ce secret est bien simple, mes amis: et ce n'est pas avec vous que j'en ferai mystère. Ce que j'obtiens n'est encore qu'une ébauche, mais elle va m'amener à d'autres résultats. Vous savez que depuis assez longtemps, nos artistes obtiennent des gravures, en sculptant en relief des dessins sur le bois. C'est ainsi que j'opère. Seulement, au lieu de sculpter en relief, sur le bois, les traits du dessin, je sculpte des lettres, des mots, des phrases; et ces caractères, sculptés en relief sur le bois, forment des pages de manuscrit, que je multiplie ensuite, à volonté, en les tirant sur le papier, grâce à l'encre des graveurs, et à la vieille presse qui sert aux imagiers.
C'est une très belle idée, mais tout dépend de la manière d'opérer… Consentirais-tu à nous montrer ton travail?
Mais certainement! Suivez-moi, mes amis, dans mon atelier. (Il passe devant Conrad, ouvre la porte de la boutique et les fait entrer.) Je vais vous montrer mes chefs-d'œuvre.
Il entre derrière eux, dans la boutique.
SCÈNE XI
ZUM, LE PETIT ZUM, ils ont, chacun, une longue plume derrière l'oreille.
La scène reste vide quelques instants; puis Zum et le petit Zum entrent, l'un par la droite, l'autre par la gauche. Ils traversent la scène, sans se voir, et se rencontrent, nez à nez, au second tour, au milieu du théâtre.
C'est toi, grand frère? Où vas-tu ainsi, le nez en l'air?9
C'est toi, petit frère? Où vas-tu ainsi, le poing sur la hanche?
Chez Gutenberg, l'orfèvre.
Et moi chez le père Grimmel, le marchand d'estampes.
Gageons que nous venons tous les deux pour la même chose.
Les feuillets gravés par Gutenberg, n'est-ce pas?
Tout juste.
Eh bien! Allons voir ça!
Ils vont prendre, à la devanture de la boutique du marchand d'estampes, les feuillets, et reviennent au milieu du théâtre.
C'est vraiment extraordinaire! Quelle écriture admirable! Pas une lettre ne dépasse l'autre… Partout même largeur de lignes… Et s'il y a une faute, un trait singulier sur un feuillet, on trouve la même faute, le même trait, sur tous les autres… C'est la même page constamment reproduite… Que dis-tu de cela, petit frère?
Je dis, grand frère, que si cette invention se répand, tout le corps de Mayence, dont nous avons l'honneur de faire partie (Ils saluent tous les deux, du pied droit, et en ôtant leur bonnet.) n'a plus de raison d'être, ni de moyen d'existence… et que nous n'avons plus qu'à nous faire moines ou soldats.
Et c'est ce Gutenberg qui a fait cela!… Je ne l'aimais déjà pas beaucoup, ce jeune homme. Il est gentilhomme et de famille noble, et il s'est fait artisan. Il avait un bon et vieux nom, celui des Gensfleisch, et il l'a quitté, pour prendre le nom d'un petit domaine qu'il possède à Gutenberg. Enfin, voilà qu'il lui vient la déplorable idée de ruiner les copistes!
Et aucune loi ne peut l'empêcher de mettre subitement sur le pavé une foule de pauvres diables, comme toi et moi?
Aucune… Nous n'avons rien contre lui… Excepté ceci.
Il tire un poignard.
Ou cela… (il tire un poignard plus grand.) Alors, grand frère, tu ne verrais pas d'inconvénients?
Il fait le geste de poignarder.
Au contraire!… morte la bête, mort le venin.
J'ai pris, à tout hasard, quelques informations sur notre homme… Il sort, chaque soir, à huit heures, après son repas, et se rend à la brasserie du Rhin, pour deviser, avec ses deux amis, Conrad Hummer et André Dritzen, de choses de jeunesse et d'amour.
De sorte qu'il suffirait, ce soir, par exemple, de nous cacher dans un coin de la rue, et d'attendre notre cavalier.
À ce soir, grand frère! J'aurai mon poignard.
Et moi le mien… c'est-à-dire, non!… j'apporterai une dague: on frappe de plus loin.
À ce soir!… Gutenberg est un homme mort.
SCÈNE XII
Les Mêmes, CONRAD HUMMER, ANDRÉ DRITZEN, sortant de la boutique de Gutenberg.
Conrad Hummer et André Dritzen sont entrés à la fin de la scène précédente, et ont entendu les dernières paroles des deux Zum. Ils s'approchent vivement des deux Zum, et chacun les prend par un bras.
Ah! mes drôles, c'est l'assassinat de notre ami Gutenberg que vous complotiez ainsi12.
Vous vous trompez! Vous avez espionné tout de travers. Nous ne parlions pas du tout de faire du mal à votre ami.
Et que disiez-vous donc?
Nous disions que celui qui a fait et exposé ces feuillets СКАЧАТЬ
8
Conrad, Gutenberg, Dritzen.
9
Le petit Zum, Zum.
10
Zum, le petit Zum.
11
Zum, le petit Zum.
12
Conrad, Zum, le petit Zum, Dritzen.