Название: Le fauteuil hanté
Автор: Гастон Леру
Издательство: Public Domain
Жанр: Классические детективы
isbn:
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Or, on avait trompé la presse. C'était le lendemain même de la mort de Maxime d'Aulnay, le jour par conséquent où nous venons d'accompagner M. Hippolyte Patard dans la salle du Dictionnaire, que l'élection devait avoir lieu. Chaque académicien avait été averti par les soins de M. le secrétaire perpétuel, en particulier et cette séance, aussi exceptionnelle que privée, allait s'ouvrir dans la demi-heure.
M. le chancelier dit à l'oreille de M. Hippolyte Patard:
–Et Martin Latouche? Avez-vous de ses nouvelles?
Disant cela, M. le chancelier considérait M. le secrétaire perpétuel avec une émotion qu'il n'essayait nullement de dissimuler.
–Je n'en sais rien, répondit évasivement M. Patard.
–Comment!… vous n'en savez rien?…
M. le secrétaire perpétuel montra son courrier intact.
–Je n'ai pas encore ouvert mon courrier!
–Mais ouvrez-le donc, malheureux!…
–Vous êtes bien pressé, monsieur le chancelier! fit M. Patard avec une certaine hésitation.
–Patard, je ne vous comprends pas!…
–Vous êtes bien pressé d'apprendre que peut-être Martin Latouche, le seul qui ait osé maintenir sa candidature avec Maxime d'Aulnay, sachant du reste à ce moment qu'il ne serait pas élu… vous êtes bien pressé d'apprendre, dis-je, monsieur le chancelier que Martin Latouche, le seul qui nous reste, renonce maintenant à la succession de Mgr d'Abbeville!
M. le chancelier ouvrit des yeux effarés, mais il serra les mains de M. le secrétaire perpétuel:
–Oh! Patard! je vous comprends…
–Tant mieux! monsieur le chancelier! Tant mieux!…
–Alors… vous n'ouvrirez votre courrier… qu'après…
–Vous l'avez dit, monsieur le chancelier; il sera toujours temps pour nous d'apprendre, quand il sera élu, que Martin Latouche ne se présente pas!… Ah! c'est qu'ils ne sont pas nombreux, les candidats au Fauteuil hanté!…
M. Patard avait à peine prononcé ces deux derniers mots qu'il frissonna. Il avait dit, lui, le secrétaire perpétuel, il avait dit, couramment, comme une chose naturelle: «le Fauteuil hanté!…» Il y eut un silence entre les deux hommes. Au-dehors, dans la cour quelques groupes commençaient à se former, mais, tout à leur pensée, M. le secrétaire perpétuel ni le chancelier n'y prenaient garde.
M. le secrétaire perpétuel poussa un soupir M. le chancelier fronçant le sourcil, dit:
–Songez donc! Quelle honte si l'Académie n'avait plus que trente-neuf fauteuils!
–J'en mourrais! fit Hippolyte Patard, simplement.
Et il l'eût fait comme il le disait.
Pendant ce temps, le grand Loustalot se barbouillait tranquillement le nez d'une encre noire qu'il était allé, du bout du doigt, puiser dans son encrier, croyant plonger dans sa tabatière.
Tout à coup, la porte s'ouvrit avec fracas: Barbentane entra, Barbentane, l'auteur de l'Histoire de la maison de Condé, le vieux camelot du roi.
–Savez-vous comment il s'appelle? s'écria-t-il.
–Qui donc? demanda M. le secrétaire perpétuel qui, dans le triste état d'esprit où il se trouvait, redoutait à chaque instant un nouveau malheur.
–Bien, lui! votre Eliphas!
–Comment! notre Eliphas!
–Enfin, leur Eliphas!… Eh bien, M. Eliphas de Saint Elme de Taillebourg de La Nox s'appelle Borigo, comme tout le monde! M. Borigo!
D'autres académiciens venaient d'entrer. Ils parlaient tous avec la plus grande animation.
–Oui! Oui! répétaient-ils, M. Borigo! La belle Mme de Bithynie se faisait raconter la bonne aventure par M. Borigo!… Ce sont les journalistes qui le disent!
–Les journalistes sont donc là! s'exclama M. le secrétaire perpétuel.
–Comment! s'ils sont là? Mais ils remplissent la cour. Ils savent que nous nous réunissons et ils prétendent que Martin Latouche ne se présente plus.
M. Patard pâlit. Il osa dire, dans un souffle:
–Je n'ai reçu aucune communication à cet égard…
Tous l'interrogeaient, anxieux. Il les rassurait sans conviction.
–C'est encore une invention des journalistes. Je connais Martin Latouche… Martin Latouche n'est pas homme à se laisser intimider… Du reste, nous allons tout de suite procéder à son élection…
Il fut interrompu par l'arrivée brutale de l'un des deux parrains de Maxime d'Aulnay, M. le comte de Bray.
–Savez-vous ce qu'il vendait, votre Borigo? demanda-t-il.
Il vendait de l'huile d'olive!… Et comme il est né au bord de la Provence, dans la vallée du Careï, il s'est d'abord fait appeler Jean Borigo du Careï…
A ce moment la porte s'ouvrit à nouveau et M. Raymond de La Beyssière, le vieil égyptologue qui avait écrit des pyramides de volumes sur la première pyramide elle-même, entra.
–C'est sous ce nom-là, Jean Borigo du Careï, que je l'ai connu! fit-il simplement.
Un silence de glace accueillit l'entrée de M. Raymond de La Beyssière. Cet homme était le seul qui avait voté pour Eliphas. L'Académie devait à cet homme la honte d'avoir accordé une voix à la candidature d'un Eliphas! Mais Raymond de La Beyssière était un vieil ami de la belle Mme de Bithynie.
M. le secrétaire perpétuel alla vers lui.
–Notre cher collègue, fit-il, pourrait-on nous dire, si, à cette époque, M. Borigo vendait de l'huile d'olive, ou des peaux d'enfant, ou des dents de loup, ou de la graisse de pendu?
Il y eut des rires. M. Raymond de La Beyssière fit celui qui ne les entendait pas. Il répondit:
–Non! A cette époque il était, en Égypte, le secrétaire de Manette-bey, l'illustre continuateur de Champollion, et il déchiffrait les textes mystérieux qui sont gravés, depuis des millénaires, à Sakkarah, sur les parois funéraires des pyramides des rois de la Ve et de la VIe dynastie, et il cherchait le secret de Toth!
Ayant dit, le vieil égyptologue se dirigea vers sa place.
Or son fauteuil était occupé par un collègue qui n'y prit point garde. M. Hippolyte Patard, qui suivait M. de La Beyssière d'un œil perfide, par-dessus ses lunettes, lui dit:
–Eh bien, mon cher collègue? vous ne vous asseyez point? Le fauteuil de Mgr d'Abbeville vous tend les bras!
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