Название: Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires
Автор: Constantin-François Volney
Издательство: Public Domain
Жанр: Философия
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Il dicta son testament avec le plus grand calme, et n'abandonnant pas à son dernier moment l'idée qui n'avait cessé de l'occuper pendant vingt-cinq ans, et craignant, sans doute, que ses essais ne fussent interrompus après lui, il consacra une somme de vingt-quatre mille francs pour fonder un prix annuel de douze cents francs pour le meilleur ouvrage sur l'étude philosophique des langues.
Volney mourut le 25 avril 1820; les regrets de toute la France se sont mêlés aux larmes d'une épousé, modèle de son sexe, dont la bienfaisance fait oublier aux pauvres la perte de leur protecteur, et dont les vertus rappellent les qualités de celui dont elle sut embellir la vie.
Parvenu aux honneurs et à une brillante fortune, et ne les devant qu'à ses talents supérieurs, Volney n'en faisait usage que pour rendre heureux tous ceux qui l'entouraient. Il se plaisait surtout à encourager et à secourir des hommes de lettres indigents. Le malheureux pouvait réclamer l'appui de ce citoyen vertueux, qui ne résistait jamais au plaisir d'être utile.
Dans sa carrière politique, il se montra toujours ami sincère d'une liberté raisonnable, et ne dévia jamais de ses principes de justice et de modération. Un de ses amis le félicitait un jour sur sa lettre à Catherine: «Et moi, je m'en suis repenti,» dit-il aussitôt avec une sincérité philosophique. «Si, au lieu d'irriter ceux des rois qui avaient montré des dispositions favorables à la philosophie, nous eussions maintenu ces dispositions par une politique plus sage et une conduite plus modérée, la liberté n'eût pas éprouvé tant d'obstacles, ni coûté tant de sang.»
La modestie et la simplicité de son caractère et de ses mœurs ne l'abandonnèrent jamais, et les honneurs dont il fut revêtu ne l'éblouirent pas un instant. «Je suis toujours le même,» écrivait-il à un de ses intimes amis, «un peu comme Jean La Fontaine, prenant le temps comme il vient et le monde comme il va; pas encore bien accoutumé à m'entendre appeler monsieur le comte, mais cela viendra avec les bons exemples. J'ai pourtant mes armes, et mon cachet dont je vous régale: deux colonnes asiatiques ruinées, d'or, bases de ma noblesse, surmontées d'une hirondelle, emblématique (fond d'argent), oiseau voyageur, mais fidèle, qui chaque année vient sur ma cheminée chanter printemps et liberté.»
On a souvent reproché à Volney un caractère morose et une sorte de disposition misanthropique, dont il avait montré des germes dans les premières années de sa vie. Ce reproche, il faut l'avouer, n'a pas toujours été sans fondement; ces dispositions furent quelquefois l'effet d'une santé trop languissante; peut-être aussi doit-on les attribuer à cette étude profonde qu'il avait faite du cœur humain, dans le cours de sa vie politique. «Malheur,» a dit un sage, «malheur à l'homme sensible qui a osé déchirer le voile de la société, et refuse de se livrer à cette illusion théâtrale si nécessaire à notre repos! son ame se trouve en vie dans le sein du néant; c'est le plus cruel de tous les supplices......» Volney déchira le voile.
INVOCATION
Je vous salue, ruines solitaires, tombeaux saints, murs silencieux! c'est vous que j'invoque; c'est à vous que j'adresse ma prière. Oui! tandis que votre aspect repousse d'un secret effroi les regards du vulgaire, mon cœur trouve à vous contempler le charme des sentiments profonds et des hautes pensées. Combien d'utiles leçons, de réflexions touchantes ou fortes n'offrez-vous pas à l'esprit qui sait vous consulter! C'est vous qui, lorsque la terre entière asservie se taisait devant les tyrans, proclamiez déja les vérités qu'ils détestent, et qui, confondant la dépouille des rois avec celle du dernier esclave, attestiez le saint dogme de l'égalité. C'est dans votre enceinte, qu'amant solitaire de la liberté, j'ai vu m'apparaître son génie, non tel que se le peint un vulgaire insensé, armé de torches et de poignards, mais sous l'aspect auguste de la justice, tenant en ses mains les balances sacrées où se pèsent les actions des mortels aux portes de l'éternité.
Ô tombeaux! que vous possédez de vertus! vous épouvantez les tyrans: vous empoisonnez d'une terreur secrète leurs jouissances impies; ils fuient votre incorruptible aspect, et les lâches portent loin de vous l'orgueil de leurs palais. Vous punissez l'oppresseur puissant; vous ravissez l'or au concussionnaire avare, et vous vengez le faible qu'il a dépouillé; vous compensez les privations du pauvre, en flétrissant de soucis le faste du riche; vous consolez le malheureux, en lui offrant un dernier asyle; enfin vous donnez à l'ame ce juste équilibre de force et de sensibilité qui constitue la sagesse, la science de la vie. En considérant qu'il faut tout vous restituer, l'homme réfléchi néglige de se charger de vaines grandeurs, d'inutiles richesses: il retient son cœur dans les bornes de l'équité; et cependant, puisqu'il faut qu'il fournisse sa carrière, il emploie les instants de son existence, et use des biens qui lui sont accordés. Ainsi vous jetez un frein salutaire sur l'élan impétueux de la cupidité; vous calmez l'ardeur fiévreuse des jouissances qui troublent les sens; vous reposez l'ame de la lutte fatigante des passions; vous l'élevez au-dessus des vils intérêts qui tourmentent la foule; et de vos sommets, embrassant la scène des peuples et des temps, l'esprit ne se déploie qu'à de grandes affections, et ne conçoit que des idées solides de vertu et de gloire. Ah! quand le songe de la vie sera terminé, à quoi auront servi ses agitations, si elles ne laissent la trace de l'utilité?
Ô ruines! je retournerai vers vous prendre vos leçons! je me replacerai dans la paix de vos solitudes; et là, éloigné du spectacle affligeant des passions, j'aimerai les hommes sur des souvenirs; je m'occuperai de leur bonheur, et le mien se composera de l'idée de l'avoir hâté.
LES RUINES, OU MÉDITATION SUR LES RÉVOLUTIONS DES EMPIRES
CHAPITRE PREMIER.
Le voyage
La onzième année du règne d'Abd-ul-Hamid, fils d'Ahmed, empereur des Turks, au temps où les Russes victorieux s'emparèrent de la Krimée et plantèrent leurs étendards sur le rivage qui mène à Constantinople, je voyageais dans l'empire des Ottomans, et je parcourais les provinces qui jadis furent les royaumes d'Égypte et de Syrie.
Portant toute mon attention sur ce qui concerne le bonheur des hommes dans l'état social, j'entrais dans les villes et j'étudiais les mœurs de leurs habitants; je pénétrais dans les palais, et j'observais la conduite de ceux qui gouvernent; je m'écartais dans les campagnes, et j'examinais la condition des hommes qui cultivent; et partout ne voyant que brigandage et dévastation, que tyrannie et que misère, mon cœur était oppressé de tristesse et d'indignation.
Chaque jour je trouvais sur ma route des champs abandonnés, des villages désertés, des villes en ruines: souvent je rencontrais d'antiques monuments, des débris de temples, de palais et de forteresses; des colonnes, des aqueducs, des tombeaux: et ce spectacle tourna mon esprit vers la méditation des temps passés, et suscita dans mon cœur des pensées graves et profondes.
Et j'arrivai à la ville de Hems, sur les bords de l'Oronte; et là, me trouvant rapproché de celle de Palmyre, située dans le désert, je résolus de connaître par moi-même ses monuments si vantés; et, après trois jours de marche dans des solitudes arides, ayant traversé une vallée remplie de grottes et de sépulcres, tout à coup, au sortir de cette vallée, j'aperçus dans la plaine la scène de ruines la plus étonnante: c'était une multitude innombrable de superbes colonnes debout, qui, telles que les avenues de nos parcs, s'étendaient à perte de vue en files symétriques. Parmi ces colonnes étaient de grands édifices, les uns entiers, les autres demi-écroulés. De toutes parts la terre était jonchée de semblables débris, de corniches, de chapiteaux, de fûts, d'entablements, de pilastres, tous de marbre blanc, d'un СКАЧАТЬ