Название: Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires
Автор: Constantin-François Volney
Издательство: Public Domain
Жанр: Философия
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Ce concours de persécutions dégoûtait Volney de son séjour aux États-Unis, lorsqu'ayant reçu la nouvelle de la mort de son père, il fit ses adieux à la terre de la liberté, pour venir saluer le sol de la patrie.
À peine arrivé en France11, son premier soin fut de renoncer à la succession de son père en faveur de sa belle-mère, pour laquelle il avait toujours eu les sentiments d'un fils, parce qu'elle lui avait montré dans plusieurs occasions la sollicitude d'une mère.
Volney avait signalé son retour d'Égypte par la publication de son Voyage; on s'attendait généralement à voir paraître la relation de celui qu'il venait de faire en Amérique: cette espérance fut en partie déçue.
À l'époque de l'affranchissement des États-Unis, cette belle contrée attirait l'attention générale; chacun, fasciné par l'enthousiasme de la liberté, y voyait un pays naissant, mais déja riche à son aurore de tous les fruits de l'âge mûr. C'était, suivant la plupart, le modèle de tout gouvernement; mais suivant Volney ce n'était qu'une séduisante chimère. Il avait tout vu en homme impartial; il était revenu riche de remarques neuves, d'observations savantes: il conçut le plan d'un grand ouvrage où il aurait observé la crise de l'indépendance dans toutes ses phases, où il aurait traité successivement des diverses opinions qui partagent les Américains, de la politique de leur nouveau gouvernement, de l'extension probable des États malgré leur division sur quelques points; enfin il aurait cherché à faire sentir l'erreur romanesque des écrivains modernes, qui appellent peuple neuf et vierge une réunion d'habitants de la vieille Europe, Allemands, Hollandais et surtout Anglais des trois royaumes. Mais cet important ouvrage, dont cependant plusieurs parties étaient achevées, demandait un grand travail et surtout beaucoup de temps dont les affaires publiques et privées ne lui permirent pas de disposer; et d'ailleurs ses opinions différant sur beaucoup de points de celles des publicistes américains, peut-être fut-il aussi arrêté par la crainte trop fondée de se faire de nouveaux ennemis. Il se détermina donc à ne publier que le Tableau du climat et du sol des États-Unis.
Le voyage en Égypte et en Syrie avait eu un si brillant succès, que ce ne fut qu'avec défiance que Volney publia le résultat des observations qu'il avait faites en Amérique. Ce dernier ouvrage fut aussi bien accueilli que le premier. L'auteur y embrasse d'un coup d'œil ces vastes régions hérissées de montagnes inaccessibles et couvertes d'immenses forêts; il en trace le plan topographique d'une main hardie; il analyse avec sagacité les variations du climat. Sa définition pittoresque des vents est surtout remarquable. «Il n'a pas songé à les personnifier, et cependant, a dit un écrivain12, ils prennent dans ses descriptions animées une sorte de forme et de stature homériques. Ce sont des puissances; les fleuves et le continent sont leur empire; ils commandent aux nuages, et les nuages, comme un corps d'armée, se rallient sous leurs ordres. Les montagnes, les plaines, les forêts deviennent le théâtre bruyant des combats. L'exposition des marches, des contre-marches de ces tumultueux courants d'air, qui se brisent les uns contre les autres dans des chocs épouvantables, ou qui se précipitent entre les monts à pic avec une impétuosité retentissante; tout ce désordre de l'atmosphère produit un effet qui saisit à la fois l'ame et les sens, et les fait tressaillir d'émotions nouvelles devant ces nouveaux objets de surprise et de terreur.»
Dans cet ouvrage, comme dans son Voyage en Égypte et en Syrie, Volney ne se borne pas à une simple description des pays qu'il parcourt: il se livre à des considérations élevées; l'utilité des hommes est toujours le but de ses recherches. L'étude qu'il avait faite de la médecine lui donnait un grand avantage sur tous les voyageurs qui l'avaient précédé; il était plus à même de juger du climat, d'analyser la salubrité de l'air; il nous retrace les effets de la peste, de la fièvre jaune; il en recherche les diverses causes, et, s'il ne nous indique pas des moyens de guérir ces terribles épidémies, du moins nous apprend-il comment on pourrait les prévenir.
Différent des autres voyageurs, Volney ne nous entretient jamais de ses aventures personnelles; il évite avec soin de se mettre en scène, et ne parle même pas des dangers qu'il a courus. Ce n'est cependant qu'exposé à des périls de toute espèce qu'il a pu voyager dans les pays ravagés de l'Orient et dans les sombres forêts de l'Amérique. Il avait d'autant plus à craindre la cruauté des hommes et les attaques des bêtes féroces, qu'il négligeait de prendre les précautions les plus simples qu'indique la prudence; aussi n'échappa-t-il plusieurs fois que par miracle. En traversant une des forêts des États-Unis, il s'endormit au pied d'un chêne; à son réveil, il secoue son manteau, et reste pétrifié à la vue d'un serpent à sonnettes. L'affreux reptile, troublé dans son repos, s'élance et disparaît parmi les arbres; on n'entendait plus le bruit de ses écailles, avant que Volney, glacé de terreur, eût songé à s'enfuir…
Pendant ce voyage, on avait créé en France ce corps littéraire qui sut, en peu d'années, se placer au premier rang des sociétés savantes de l'Europe. L'illustre voyageur fut appelé à siéger à l'Académie: cet honneur lui avait été décerné pendant son absence; il y acquit de nouveaux droits en publiant les observations qu'il avait faites aux États-Unis…
Trois années s'étaient écoulées depuis qu'il avait quitté la France, et les orages politiques n'étaient pas apaisés: les factions s'agitaient encore et dominaient tour à tour. Volney ne voulut pas reparaître sur la scène politique, et chercha dans l'étude des consolations contre les peines que lui causaient les malheurs de sa patrie.
À peu près vers cette époque, il vit arriver chez lui le général Bonaparte, qu'il n'avait pas vu depuis plusieurs années, et que le mouvement des partis avait fait priver de son grade. «Me voilà sans emploi, dit-il à Volney; je me console de ne plus servir un pays que se disputent les factions. Je ne puis rester oisif; je veux chercher du service ailleurs. Vous connaissez la Turquie; vous y avez sans doute conservé des relations; je viens vous demander des renseignements, et surtout des lettres de recommandation pour ce pays: mes services dans l'artillerie peuvent m'y rendre très-utile. C'est parce que je connais ce pays, répondit Volney, que je ne vous conseillerai jamais de vous y rendre. Le premier reproche qu'on vous y fera, sera d'être chrétien: il sera bien injuste sans doute, mais enfin on vous le fera et vous en souffrirez. Vous allez me dire peut-être que vous vous ferez musulman: faible ressource, la tache originelle vous restera toujours; plus vous développerez de talents, et plus vous aurez à souffrir de persécutions.—Hé bien, n'y songeons plus. J'irai en Russie; on y accueille les Français. Catherine vous a donné des marques de considération; vous avez des correspondances avec ce pays, vous y avez des amis.—Le renvoi de ma médaille a détruit toutes ces relations. D'ailleurs les Français qu'on accueille aujourd'hui en Russie, ne sont pas ceux qui appartiennent à votre opinion. Croyez-moi, renoncez à votre projet; c'est en France que vos talents trouveront le plus de chances favorables: plus les factions se succèdent rapidement dans un pays, moins une destitution y est durable.—J'ai tout tenté pour être réintégré; rien ne m'a réussi.—Le gouvernement va prendre une nouvelle forme, et Laréveillère-Lépeaux y aura sans doute de l'influence: c'est mon compatriote, il fut autrefois mon collègue; j'ai lieu de croire que ma recommandation ne sera pas sans effet auprès de lui. Je vais l'inviter à déjeuner pour demain: trouvez-vous-y, nous ne serons que nous trois.»
Le déjeuner eut lieu en effet; la conversation de Bonaparte frappa Laréveillère, déja prévenu par Volney. Le député présenta le lendemain le général à son collègue Barras; qui le fit réintégrer.
Une liaison intime ne tarda pas à s'établir entre le vertueux citoyen qui voulait par-dessus tout la liberté de son pays, et l'homme extraordinaire qui devait l'asservir; mais Volney, toujours modéré dans sa conduite et ses opinions politiques, était loin d'approuver la pétulante activité de Bonaparte.
Vers la fin de 1799, Volney, convaincu que la liberté allait périr sous les coups de l'anarchie, seconda СКАЧАТЬ
11
En juin 1798.
12
Laya, Discours de l'Académie.