Название: Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires
Автор: Constantin-François Volney
Издательство: Public Domain
Жанр: Философия
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Par la raison qu'à mesure que les États acquirent plus d'étendue, leur administration devenant plus épineuse et plus compliquée, il fallut, pour remuer ces masses, donner plus d'énergie au pouvoir, et il n'y eut plus de proportion entre les devoirs des souverains et leurs facultés;
Par la raison que les despotes, sentant leur faiblesse, redoutèrent tout ce qui développait la force des nations, et qu'ils firent leur étude de l'atténuer;
Par la raison que les nations, divisées par des préjugés d'ignorance et des haines féroces, secondèrent la perversité des gouvernements; et que, se servant réciproquement de satellites, elles aggravèrent leur esclavage;
Par la raison que la balance s'étant rompue entre les États, les plus forts accablèrent plus facilement les faibles;
Enfin, par la raison qu'à mesure que les États se concentrèrent, les peuples, dépouillés de leurs lois, de leurs usages et des gouvernements qui leur étaient propres, perdirent l'esprit de personnalité qui causait leur énergie.
Et les despotes, considérant les empires comme des domaines, et les peuples comme des propriétés, se livrèrent aux déprédations et aux déréglements de l'autorité la plus arbitraire.
Et toutes les forces et les richesses des nations furent détournées à des dépenses particulières, à des fantaisies personnelles; et les rois, dans les ennuis de leur satiété, se livrèrent à tous les goûts factices et dépravés: il leur fallut des jardins suspendus sur des voûtes, des fleuves élevés sur des montagnes; ils changèrent des campagnes fertiles en parcs pour des fauves, creusèrent des lacs dans les terrains secs, élevèrent des rochers dans les lacs, firent construire des palais de marbre et de porphyre, voulurent des ameublements d'or et de diamants. Sous prétexte de religion, leur orgueil fonda des temples, dota des prêtres oiseux, bâtit, pour de vains squelettes, d'extravagants tombeaux, mausolées et pyramides. Pendant des règnes entiers, on vit des millions de bras employés à des travaux stériles: et le luxe des princes, imité par leurs parasites et transmis de grade en grade jusqu'aux derniers rangs, devint une source générale de corruption et d'appauvrissement.
Et, dans la soif insatiable des jouissances, les tributs ordinaires ne suffisant plus, ils furent augmentés; et le cultivateur, voyant accroître sa peine sans indemnité, perdit le courage; et le commerçant, se voyant dépouillé, se dégoûta de son industrie; et la multitude, condamnée à demeurer pauvre, restreignit son travail au seul nécessaire, et toute activité productive fut anéantie.
La surcharge rendant la possession des terres onéreuse, l'humble propriétaire abandonna son champ, ou le vendit à l'homme puissant; et les fortunes se concentrèrent en un moindre nombre de mains. Et toutes les lois et les institutions favorisant cette accumulation, les nations se partagèrent entre un groupe d'oisifs opulents et une multitude pauvre de mercenaires. Le peuple indigent s'avilit, les grands rassasiés se dépravèrent; et le nombre des intéressés à la conservation de l'État décroissant, sa force et son existence devinrent d'autant plus précaires.
D'autre part, nul objet n'étant offert à l'émulation, nul encouragement à l'instruction, les esprits tombèrent dans une ignorance profonde.
Et l'administration étant secrète et mystérieuse, il n'exista aucun moyen de réforme ni d'amélioration; les chefs ne régissant que par la violence et la fraude, les peuples ne virent plus en eux qu'une faction d'ennemis publics, et il n'y eut plus aucune harmonie entre les gouvernés et les gouvernants.
Et tous ces vices ayant énervé les États de l'Asie opulente, il arriva que les peuples vagabonds et pauvres des déserts et des monts adjacents convoitèrent les jouissances des plaines fertiles; et, par une cupidité commune, ayant attaqué les empires policés, ils renversèrent les trônes des despotes; et ces révolutions furent rapides et faciles, parce que la politique des tyrans avait amolli les sujets, rasé les forteresses, détruit les guerriers; et parce que les sujets accablés restaient sans intérêt personnel, et les soldats mercenaires sans courage.
Et des hordes barbares ayant réduit des nations entières à l'état d'esclavage, il arriva que les empires formés d'un peuple conquérant et d'un peuple conquis, réunirent en leur sein deux classes essentiellement opposées et ennemies. Tous les principes de la société furent dissous: il n'y eut plus ni intérêt commun, ni esprit public; et il s'établit une distinction de castes et de races, qui réduisit en système régulier le maintien du désordre; et selon que l'on naquit d'un certain sang, l'on naquit serf ou tyran, meuble ou propriétaire.
Et les oppresseurs étant moins nombreux que les opprimés, il fallut, pour soutenir ce faux équilibre, perfectionner la science de l'oppression. L'art de gouverner ne fut plus que celui d'assujettir au plus petit nombre le plus grand. Pour obtenir une obéissance si contraire à l'instinct, il fallut établir des peines plus sévères; et la cruauté des lois rendit les mœurs atroces. Et la distinction des personnes établissant dans l'État deux codes, deux justices, deux droits; le peuple, placé entre le penchant de son cœur et le serment de sa bouche, eut deux consciences contradictoires, et les idées du juste et de l'injuste n'eurent plus de base dans son entendement.
Sous un tel régime, les peuples tombèrent dans le désespoir et l'accablement. Et les accidents de la nature s'étant joints aux maux qui les assaillaient, éperdus de tant de calamités, ils en reportèrent les causes à des puissances supérieures et cachées; et parce qu'ils avaient des tyrans sur la terre, ils en supposèrent dans les cieux; et la superstition aggrava les malheurs des nations.
Et il naquit des doctrines funestes, des systèmes de religion atrabilaires et misanthropiques, qui peignirent les dieux méchants et envieux comme les despotes. Et pour les apaiser, l'homme leur offrit le sacrifice de toutes ses jouissances: il s'environna de privations, et renversa les lois de la nature. Prenant ses plaisirs pour des crimes, ses souffrances pour des expiations, il voulut aimer la douleur, abjurer l'amour de soi-même; il persécuta ses sens, détesta sa vie; et une morale abnégative et antisociale plongea les nations dans l'inertie de la mort.
Mais parce que la nature prévoyante avait doué le cœur de l'homme d'un espoir inépuisable, voyant le bonheur tromper ses désirs sur cette terre, il le poursuivit dans un autre monde: par une douce illusion, il se fit une autre patrie, un asile où, loin des tyrans, il reprît les droits de son être; de là résulta un nouveau désordre: épris d'un monde imaginaire, l'homme méprisa celui de la nature; pour des espérances chimériques, il négligea la réalité. Sa vie ne fut plus à ses yeux qu'un voyage fatigant, qu'un songe pénible; son corps qu'une prison, obstacle à sa félicité; et la terre un lieu d'exil et de pèlerinage, qu'il ne daigna plus cultiver. Alors une oisiveté sacrée s'établit dans le monde politique; les campagnes se désertèrent; les friches se multiplièrent, les empires se dépeuplèrent, les monuments furent négligés; et de toutes parts l'ignorance, la superstition, le fanatisme, joignant leurs effets, multiplièrent les dévastations et les ruines.
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