Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8 - (Q suite - R - S). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ où elles s'établissent, en Bretagne, en Germanie, dans les Gaules. C'est donc un des programmes les plus importants dans l'art de l'architecture du moyen âge, un de ceux qui se modifient le moins depuis les premiers siècles jusqu'au XVIIe; et, chose singulière, c'est un des programmes les moins définis, probablement parce que tout le monde, du petit au grand, savait ce qu'était la salle.

      Dans son Dictionnaire historique d'architecture, M. Quatremère de Quincy s'exprime ainsi à propos des salles: «Il ne serait point possible aujourd'hui d'assigner dans l'architecture moderne (c'est-à-dire depuis l'antiquité), aux salles les plus remarquables, ni forme particulière, ni caractère général susceptible de devenir l'objet, soit d'une théorie, soit d'une pratique fondée sur quelque usage constant...»

      Si nous nous en tenions à cette phrase un peu ambiguë du célèbre académicien, les grandes salles des palais, des châteaux, n'auraient pas été «l'objet d'une pratique fondée sur un usage constant.» Probablement ces vastes espaces couverts auraient été dus au hasard. C'est pourtant à des conclusions de cette force que conduit l'esprit exclusif, fût-il appuyé sur le savoir et une haute intelligence.

      Le moyen âge nous a laissé des programmes d'églises, de châteaux, de palais, de monastères, de manoirs et de maisons, il ne nous en a pas légué sur les salles; mais, à défaut des programmes, les monuments existent, et nous permettent de combler cette lacune, car ils sont tous élevés d'après une donnée générale, qui frappe les moins clairvoyants. Nous ne parlerons des salles mérovingiennes et carlovingiennes que pour mémoire; il ne reste debout aucun de ces monuments, construits presque entièrement en charpente. Nous ne pouvons commencer à étudier les salles que sur les monuments du XIIe siècle. La grand'salle du palais épiscopal bâti par Maurice de Sully entre la cathédrale de Paris et le petit bras de la Seine, au sud, affecte déjà les caractères particuliers aux grandes salles des palais et châteaux du moyen âge. Ce bâtiment se composait de deux étages, l'un au rez-de-chaussée, l'autre au premier (voy. PALAIS, fig. 7), tous deux voûtés, celui du rez-de-chaussée sur une épine de colonnes, celui du premier d'une seule volée. Le rez-de-chaussée était l'officialité; le premier, la salle de réunion, à laquelle on montait par un escalier disposé dans la tour barlongue (voy. SACRISTIE, fig. 1). Le chéneau était crénelé du côté de la rivière, et formait une défense (voy. PALAIS, fig. 8).

      De l'examen de cette disposition adoptée au XIIe siècle, on peut déjà conclure que toute grande salle de palais ou château devait se composer d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage, et en effet nous allons voir que les programmes adoptés jusqu'au XVIe siècle ne s'éloignent guère de cette donnée première. Si la salle synodale de l'évêché de Paris n'existe plus que sur des plans anciens et des gravures, celle de l'archevêché de Sens est entière dans son ensemble et ses détails. Elle date du règne de saint Louis, de 1240 environ. Le rez-de-chaussée, bâti sur caves, est voûté sur une épine de colonnes et contient les salles de l'officialité et les prisons (voy. PRISON, fig. 1). Une entrée carrossable passe sous l'extrémité septentrionale de cette salle, et un large escalier partant de ce passage conduit à la salle du premier étage ou salle synodale, ainsi qu'on le voit sur le plan (fig. 1, en A).

      Un tambour de pierre ferme l'arrivée de ce degré dans la salle. Celle-ci était en communication directe avec les anciens bâtiments du palais par la petite porte B. La première cour de l'archevêché est en C, et c'est sur cette cour que s'ouvrent les rares fenêtres des prisons, ainsi que la porte qui permet d'entrer dans l'officialité. Sur la place, à l'ouest, la façade de la grande salle du premier étage est éclairée par de grandes fenêtres à meneaux du plus beau style (voy. FENÊTRE, fig. 38 et 39), et sur la rue, D, par une claire-voie. Du côté de la cour, au contraire, les fenêtres sont étroites, simples et très-relevées au-dessus du pavé de la salle. En G, est une cheminée, et en K un petit escalier à vis qui monte aux crénelages supérieurs. L'assemblée réunie était disposée, faisant face à la grande claire-voie méridionale, l'orateur tournant le dos à cette immense fenêtre. Ainsi était-on bien préservé du vent du nord et du nord-est par le mur sur la cour, percé de fenêtres étroites et relevées, et recevait-on du midi et de l'ouest la lumière, tamisée d'ailleurs à travers des vitraux. L'archevêque, arrivant de ses appartements, entrait dans la portion de la salle servant de tribunal ou de parquet; l'assistance arrivait par le fond, et se plaçait successivement selon les rangs de chacun. On pouvait ouvrir les parties basses des grandes verrières, soit pour donner de l'air, soit pour regarder au dehors sur la place et dans la rue. Cette grande salle était voûtée. En 1263, la tour méridionale de la cathédrale tomba sur ces voûtes et les effondra; on se contenta de réparer le dommage à la hâte et de couvrir la salle par une charpente. Mais lorsque la restauration de ce monument fut ordonnée sur l'avis de la Commission des monuments historiques, on retrouva, dans les reprises faites à la fin du XIIIe siècle, tous les membres des voûtes, arcs-doubleaux, arcs ogives, clefs, etc. Ces voûtes ont été refaites depuis peu, et l'archevêque de Sens, ainsi que la municipalité de cette ville, sont fort heureux de trouver ainsi un magnifique vaisseau où l'on peut réunir facilement huit à neuf cents personnes, soit lors des assemblées du clergé, soit pour les distributions de prix, les congrès, banquets, etc. «L'usage constant» de cette salle s'est donc conservé pendant plusieurs siècles, et aujourd'hui chacun, à Sens, s'accorde à reconnaître qu'on ne peut trouver une salle mieux disposée pour de grandes réunions. La figure 2 présente en A la façade méridionale de la salle synodale de Sens sur la rue, et en B sa coupe transversale, sur le côté occidental. Les quatre angles du bâtiment sont couronnés par des échauguettes, et tout le chéneau est crénelé sur la cour de l'archevêché, comme sur la place et la rue.

      Notre figure 2 trace l'admirable claire-voie qui, au sud, termine la salle. Du côté de la place, des contre-forts sont couronnés par des pinacles très-riches, variés, surmontant des statues, parmi lesquelles on distingue celle du roi saint Louis, la seule peut-être qu'il y ait encore en France, de son temps 38.

      La sculpture de la salle synodale de Sens peut être comptée parmi les meilleures de cette époque. Les profils, les détails, sont traités évidemment par un maître, et aucun édifice ne présente un fenestrage mieux conçu et d'un aspect plus grandiose.

      Le château de Blois conserve encore la grand'salle dans laquelle furent tenus les États sous Henri III. Elle date du commencement du XIIIe siècle, et se compose de deux vaisseaux séparés par une épine de colonnes. Cette salle fait exception; elle est située à rez-de-chaussée et n'a pas d'étage inférieur conformément à l'usage général; elle est couverte par deux berceaux de bois lambrissés. C'est d'ailleurs une assez pauvre construction 39. Il est vrai de dire qu'au XIIIe siècle, le château de Blois n'était qu'une résidence sans grande valeur. Autrement importante était la grand'salle du château de Montargis, dont du Cerceau, dans Les plus excellens bâtimens de France, nous a conservé des plans et détails très-précieux. La grand'salle du château de Montargis remplissait exactement le programme admis dès le XIIe siècle: salle basse, salle du premier étage avec grand perron; communications avec l'habitation seigneuriale, le donjon (voy. CHÂTEAU, fig. 15).

      Voici (fig. 3) le plan de ce bâtiment au premier étage. Le rez-de-chaussée était voûté sur une épine de colonnes. Un escalier monumental à trois rampes, A 40, partait de la cour du château, et s'élevait, en passant sur des arches, jusqu'au niveau de la salle du premier étage. Ce vaisseau, l'un des plus grands qui fussent en France, avait 50 mètres de longueur sur 16 mètres, dans oeuvre. La grand'salle était couverte par une charpente lambrissée en berceau, avec entraits et poinçons apparents, le tout richement décoré de peintures. СКАЧАТЬ



<p>38</p>

Cette salle est aujourd'hui complétement restaurée, sous la direction de la Commission des monuments historiques. Le bâtiment avait été divisé en plusieurs étages par des planchers, les voûtes hautes détruites en totalité, celles du rez-de-chaussée en partie. Sur les six fenêtres de l'ouest, deux seulement étaient conservées. Des échoppes adossées aux contre-forts avaient miné leur base. Les combles étaient à refaire à neuf, ainsi que les chéneaux et les couvertures. Les crénelages avaient été supprimés, il n'en restait plus que deux ou trois merlons. Par suite de la chute de la tour de la cathédrale, un écartement s'était manifesté dans les deux murs latéraux. Cette restauration a coûté 445 000 fr. D'ailleurs, rien d'incertain ou d'hypothétique dans ce travail; car, pour les piliers, les voûtes hautes, il existe une grande quantité de fragments qui ont été conservés comme preuves à l'appui de cette restauration.

<p>39</p>

Voyez les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices du ministère de la Maison de l'empereur.

<p>40</p>

Voyez, à l'article ESCALIER, la figure 2, qui donne le détail de ce perron bâti ou réparé par Charles VIII. Voyez, à ce sujet, le texte de du Cerceau.