Название: Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite)
Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Public Domain
Жанр: Техническая литература
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Cet aperçu général tracé, nous passerons à l'examen des monuments. Nous nous occuperons d'abord du château normand; le plus avancé au point de vue militaire pendant le cours du XIe siècle. Le château d'Arques, près de Dieppe, nous servira de point de départ, car nous retrouvons encore dans son assiette et ses combinaisons de détail les principes de la défense normande primitive. Sur le versant sud-ouest de la vallée d'Arques, à quelques kilomètres de la mer, se détache une langue de terre crayeuse qui forme comme une sorte de promontoire défendu par la nature de trois côtés. C'est à l'extrémité du promontoire que Guillaume 27, oncle de Guillaume le Bâtard, par suite de la donation que son neveu lui avait faite du comté d'Arques vers 1040, éleva la forteresse dont nous allons essayer de faire comprendre l'importance. Peut-être existait-il déjà sur ce point un château; des constructions antérieures à cette époque, il ne reste pas trace. Guillaume d'Arques, plein d'ambition, reconnut le don de son neveu en cherchant à lui enlever le duché de Normandie; en cela il suivait l'exemple de la plupart des seigneurs normands, qui, voyant à la tête du duché un jeune homme à peine sorti de l'adolescence, se préparaient à lui ravir un héritage qui ne paraissait pas dû à sa naissance illégitime. En effet, «dans les premiers temps de la vie de Guillaume le Bâtard, dit Guillaume de Jumiéges 28, un grand nombre de Normands égarés et infidèles élevèrent dans beaucoup de lieux des retranchements et se construisirent de solides forteresses.» Sans perdre de temps, et avant de dévoiler ses projets de révolte, Guillaume d'Arques se mit à l'oeuvre, et, peu d'années après l'investiture de son comté, le village d'Arques voyait s'élever, à l'extrémité de la langue de terre qui le domine, une vaste enceinte fortifiée, protégée par des fossés profonds et un donjon formidable.
Mais c'est ici qu'apparaît tout d'abord le génie normand. Au lieu de profiter de tout l'espace donné par l'extrémité du promontoire crayeux, et de considérer les escarpements et les vallées environnantes comme un fossé naturel, ainsi que l'eût fait un seigneurs français, Guillaume d'Arques fit creuser au sommet de la colline un large fossé, et c'est sur l'escarpe de ce fossé qu'il éleva l'enceinte de son château, laissant, ainsi que l'indique la fig. 2, entre les vallées et ses défenses une crête A, sorte de chemin couvert de deux mètres de largeur, derrière lequel l'assaillant trouvait, après avoir gravi les escarpements naturels B, un obstacle infranchissable entre lui et les murs du château. Les crêtes A étaient d'ailleurs munies de palissades, hériçuns, qui protégeaient le chemin couvert et permettaient de le garnir de défenseurs, ainsi qu'on le voit en C. Un peu au-dessus du niveau du fond du fossé, les Normands avaient le soin de percer des galeries longitudinales S qui permettaient de reconnaître et d'arrêter le travail du mineur qui se serait attaché à la base de l'escarpe. À Arques, ces galeries souterraines prennent entrée sur certains points de la défense intérieure, après de nombreux détours qu'il était facile de combler en un instant, dans le cas où l'assaillant aurait pu parvenir à s'emparer d'un de ces couloirs. Cette disposition importante est une de celles qui caractérisent l'assiette des châteaux normands pendant les XIe et XIIe siècles.
Ce fossé, fait à main d'homme et creusé dans la craie, n'a pas moins de 25m à 30m de largeur de la crête de la contrescarpe à la base des murailles. Le plan topographique (3) explique la position du château d'Arques mieux que ne pourrait le faire une description. Du côté occidental, le val naturel est très-profond et l'escarpement du promontoire abrupt; mais du côté du village vers le nord-est, les pentes sont moins rapides, et s'étendent assez loin jusqu'à la petite rivière d'Arques. Sur ce point, le flanc A de la colline fut défendue par une enceinte extérieure, véritable basse-cour, désignée dans les textes sous le nom de Bel ou Baille 29. Une porte et une poterne donnaient seules entrée au château au nord et au sud.
Voici (fig. 4) le plan du château d'Arques 30. L'ouvrage avancé B date du XVe siècle. Les bâtiments intérieurs C paraissent être d'une époque assez récente; ils n'existent plus aujourd'hui. Du temps de Guillaume d'Arques, la véritable entrée du château du côté de Dieppe était en D, et le fossé devait alors suivre la ligne ponctuée E E'. Peut-être en B existait-il un ouvrage avancé palissadé pour protéger la porte principale. On distingue encore parfaitement, sous l'entrée G, les constructions du XIe siècle et même les soubassements des tours qui la défendaient. En H est le donjon de figure carrée, conformément aux habitudes normandes, et divisé par un épais mur de refend. Mais nous aurons l'occasion de revenir sur les détails de cette remarquable construction au mot DONJON; nous ne devons ici qu'en indiquer les dispositions générales, celles qui tiennent à l'ensemble de la défense. En K est la seconde porte qui communique au plateau extérieur au moyen d'un pont posé sur des piles isolées. Cette entrée, savamment combinée, passe sous une tour, et un long passage voûté bien défendu et battu par le donjon qui, par sa position oblique, masque la cour du château pour ceux qui arrivent du dehors. Ce donjon est d'ailleurs remarquablement planté pour commander les dehors du côté de la langue de terre par où l'on peut approcher du fossé de plain-pied; ses angles viennent toucher les remparts de l'enceinte, ne laissent ainsi qu'une circulation très-étroite sur le chemin de ronde et dominent le fond du fossé. L'ennemi, se fût-il emparé de la cour L, ne pouvait monter sur la partie des remparts M, et arrivait difficilement à la poterne K qui était spécialement réservée à la garnison renfermée dans le donjon. En P était un ouvrage dépendant du donjon, surmontant le passage de la poterne et qui devait se défendre aussi bien contre la cour intérieure O que contre les dehors. Celle-ci avait plusieurs issues qu'il était impossible à des hommes non familiers avec ces détours de reconnaître; car, outre la poterne K du donjon, un escalier souterrain communique au fond du fossé, et permet ainsi à la garnison de faire une sortie ou de s'échapper sans être vue. Nous avons indiqué en N, sur notre plan, les nombreux souterrains taillés dans la craie, encore visibles, qui se croisent sous les remparts et sont destinés soit à faire de brusques sorties dans les fossés, soit à empêcher le travail du mineur du côté où le château est le plus accessible. De la porte D à la poterne K le plateau sur lequel est assis le château d'Arques s'élève graduellement, de sorte que le donjon se trouve bâti sur le point culminant. En dehors de la poterne K, sur la langue de terre qui réunit le promontoire au massif de collines, étaient élevés des ouvrages en terre palissadés dont il reste des traces qui, du reste, ont dû être modifiées au XVe siècle, lorsque le château fut muni d'artillerie.
La place d'Arques était à peine construite que le duc Guillaume dut l'assiéger, son oncle s'étant déclaré ouvertement contre lui. Ne pouvant tenter de prendre le château de vive force, le Bâtard de Normandie prit le parti de le bloquer. À cet effet, il fit creuser un fossé de contrevallation qui, partant du ravin au nord-ouest, passait devant la porte nord du château, descendait jusqu'à la rivière de la Varenne et remontait dans la direction du sud-est vers le ravin. Il munit ce fossé de bastilles pour loger et protéger son monde contre les attaques du dedans ou du dehors:
«De fossez è de hériçun
Et de pel fist un chasteillon
El pié del teltre en la vallée,
Ki garda tute la cuntrée:
Ne pristrent puiz cels del chastel
Ne bués ne vache ne véel.
Li Dus tel chastelet i fist
Tant chevaliers СКАЧАТЬ
27
Hic Willelmus castrum Archarum in cacumine ipsius montis condidit (Guillaume de Jumiéges). Arcas castrum in pago Tellau primus statuit.
28
Lib. VII, cap. I.
29
On voit encore des restes assez considérables de cette enceinte extérieure, notamment du côté de la porte vers Dieppe.
30
Le plan est complété, en ce qui regarde les bâtiments intérieurs, au moyen du plan déposé dans les archives du château de Dieppe, dressé au commencement du XVIIIe siècle, et réduit par M. Deville dans son