Название: La Conquête de Plassans
Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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Mouret eut un geste désespéré.
– Dans tout cela, s'écria-t-il, je vois que tu causais toute seule…
Mais elle, elle, que t'a-t-elle dit?
– Attendez donc, laissez-moi achever, continua Rose tranquillement. J'arrivais à mon but… Pour l'inviter à se confier, j'ai fini par lui parler de nous. J'ai dit que vous étiez monsieur François Mouret, un ancien négociant de Marseille, qui, en quinze ans, a su gagner une fortune dans le commerce des vins, des huiles et des amandes. J'ai ajouté que vous aviez préféré venir manger vos rentes à Plassans, une ville tranquille, où demeurent les parents de votre femme. J'ai même trouvé moyen de lui apprendre que madame était votre cousine; que vous aviez quarante ans et elle trente-sept; que vous faisiez très-bon ménage; que, d'ailleurs, ce n'était pas vous autres qu'on rencontrait souvent sur le cours Sauvaire. Enfin, toute votre histoire… Elle a paru très-intéressée. Elle répondait toujours: «Oui, oui,» sans se presser. Quand je m'arrêtais, elle faisait un signe de tête, comme ça, pour me dire qu'elle entendait, que je pouvais continuer… Et, jusqu'à la nuit tombée, nous avons causé ainsi, en bonnes amies, le dos contre le mur.
Mouret s'était levé, pris de colère.
– Comment! s'écria-t-il, c'est tout!.. Elle vous a fait bavarder pendant une heure, et elle ne vous a rien dit!
– Elle m'a dit, lorsqu'il a fait nuit: «Voilà l'air qui devient frais.» Et elle a repris son seau, elle est remontée…
– Tenez, vous n'êtes qu'une bête! Cette vieille-là en vendrait dix de votre espèce. Ah bien! ils doivent rire, maintenant qu'ils savent sur nous tout ce qu'ils voulaient savoir… Entendez-vous, Rose, vous n'êtes qu'une bête!
La vieille cuisinière n'était pas patiente; elle se mit à marcher violemment, bousculant les poêlons et les casseroles, roulant et jetant les torchons.
– Vous savez, monsieur, bégayait-elle, si c'est pour me dire des gros mots que vous êtes venu dans ma cuisine, ce n'était pas la peine. Vous pouvez vous en aller… Moi, ce que j'en ai fait, c'était uniquement pour vous contenter. Madame nous trouverait là ensemble, à faire ce que nous faisons, qu'elle me gronderait, et elle aurait raison, parce que ce n'est pas bien… Après tout, je ne pouvais pas lui arracher les paroles des lèvres, à cette dame. Je m'y suis prise comme tout le monde s'y prend. J'ai causé, j'ai dit vos affaires. Tant pis pour vous, si elle n'a pas dit les siennes. Allez les lui demander, du moment où ça vous tient tant au coeur. Peut-être que vous ne serez pas si bête que moi, monsieur…
Elle avait élevé la voix. Mouret crut prudent de s'échapper, en refermant la porte de la cuisine, pour que sa femme n'entendit pas. Mais Rose rouvrit la porte derrière son dos, lui criant, dans le vestibule:
– Vous savez, je ne m'occupe plus de rien; vous chargerez qui vous voudrez de vos vilaines commissions.
Mouret était battu. Il garda quelque aigreur de sa défaite. Par rancune, il se plut à dire que ces gens du second étaient des gens très-insignifiants. Peu à peu, il répandit parmi ses connaissances une opinion qui devint celle de toute la ville. L'abbé Faujas fut regardé comme un prêtre sans moyens, sans ambition aucune, tout à fait en dehors des intrigues du diocèse; on le crut honteux de sa pauvreté, acceptant les mauvaises besognes de la cathédrale, s'effaçant le plus possible dans l'ombre où il semblait se plaire. Une seule curiosité resta, celle de savoir pourquoi il était venu de Besançon à Plassans. Des histoires délicates circulaient. Mais les suppositions parurent hasardées. Mouret lui-même, qui avait espionné ses locataires par agrément, pour passer le temps, uniquement comme il aurait joué aux cartes ou aux boules, commençait à oublier qu'il logeait un prêtre chez lui, lorsqu'un événement vint de nouveau occuper sa vie.
Une après-midi, comme il rentrait, il aperçut devant lui l'abbé Faujas, qui montait la rue Balande. Il ralentit le pas. Il l'examina à loisir. Depuis un mois que le prêtre logeait dans sa maison, c'était la première fois qu'il le tenait ainsi en plein jour. L'abbé avait toujours sa vieille soutane; il marchait lentement, son tricorne à la main, la tête nue, malgré le vent qui était vif. La rue, dont la montée est fort raide, restait déserte, avec ses grandes maisons nues, aux persiennes closes. Mouret qui hâtait le pas, finit par marcher sur la pointe des pieds, de peur que le prêtre ne l'entendît et ne se sauvât. Mais, comme ils approchaient tous deux de la maison de M. Rastoil, un groupe de personnes, débouchant de la place de la Sous-Préfecture, entrèrent dans cette maison. L'abbé Faujas avait fait un léger détour pour éviter ces messieurs. Il regarda la porte se fermer. Puis, s'arrêtant brusquement, il se tourna vers son propriétaire, qui arrivait sur lui.
– Que je suis heureux de vous rencontrer ainsi! dit-il avec sa grande politesse. Je me serais permis de vous déranger ce soir… Le jour de la dernière pluie, il s'est produit, dans le plafond de ma chambre, des infiltrations que je désire vous montrer.
Mouret se tenait planté devant lui, balbutiant, disant qu'il était à sa disposition. Et, comme ils rentraient ensemble, il finit par lui demander à quelle heure il pourrait se présenter pour voir le plafond.
– Mais tout de suite, je vous prie, répondit l'abbé, à moins que cela ne vous gêne par trop.
Mouret monta derrière lui, suffoqué, tandis que Rose, sur le seuil de la cuisine, les suivait des yeux de marche en marche, stupide d'étonnement.
IV
Arrivé au second étage, Mouret était plus ému qu'un écolier qui va entrer pour la première fois dans la chambre d'une femme. La satisfaction inespérée d'un désir longtemps contenu, l'espoir de voir des choses tout à fait extraordinaires, lui coupaient la respiration. Cependant l'abbé Faujas, cachant la clef entre ses gros doigts, l'avait glissée dans la serrure, sans qu'on entendit le bruit du fer. La porte tourna comme sur des gonds de velours. L'abbé, reculant, invita silencieusement Mouret à entrer.
Les rideaux de coton pendus aux deux fenêtres étaient si épais, que la chambre avait une pâleur crayeuse, un demi-jour de cellule murée. Cette chambre était immense, haute de plafond, avec un papier déteint et propre, d'un jaune effacé. Mouret se hasarda, marchant à petits pas sur le carreau, net comme une glace, dont il lui semblait sentir le froid sous la semelle de ses souliers. Il tourna sournoisement les yeux, examina le lit de fer, sans rideaux, aux draps si bien tendus qu'on eût dit un banc de pierre blanche posé dans un coin. La commode, perdue à l'autre bout de la pièce, une petite table placée au milieu, avec deux chaises, une devant chaque fenêtre, complétait le mobilier. Pas un papier sur la table, pas un objet sur la commode, pas un vêtement aux murs: le bois nu, le marbre nu, le mur nu. Au-dessus de la commode, un grand christ de bois noir coupait seul d'une croix sombre cette nudité grise.
– Tenez, monsieur, venez par ici, dit l'abbé; c'est dans ce coin que s'est produite une tache au plafond.
Mais Mouret ne se pressait pas, il jouissait. Bien qu'il ne vît pas les choses singulières qu'il s'était vaguement promis de voir, la chambre avait pour lui, esprit fort, une odeur particulière. Elle sentait le prêtre, pensait-il; elle sentait un homme autrement fait que les autres, qui souffle sa bougie pour changer de chemise, qui ne laisse traîner ni ses caleçons ni ses rasoirs. СКАЧАТЬ