La Conquête de Plassans. Emile Zola
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Название: La Conquête de Plassans

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ derrière soi si quelque ennemi caché ne va pas lever le bras. D'autres fois, au milieu d'un rire, elle s'arrêtait brusquement, en apercevant sa soutane; elle s'arrêtait, embarrassée, étonnée de parler ainsi avec un homme qui n'était pas comme les autres. L'intimité fut longue à s'établir entre eux.

      Jamais l'abbé Faujas n'interrogea nettement Marthe sur son mari, ses enfants, sa maison. Peu à peu, il n'en pénétra pas moins dans les plus minces détails de leur histoire et de leur existence actuelle. Chaque soir, pendant que Mouret et madame Faujas se battaient rageusement, il apprenait quelque fait nouveau. Une fois, il fit la remarque que les deux époux se ressemblaient étonnamment.

      – Oui, répondit Marthe avec un sourire; quand nous avions vingt ans, on nous prenait pour le frère et la soeur. C'est même un peu ce qui a décidé notre mariage; on plaisantait, on nous mettait toujours à côté l'un de l'autre, on nous disait que nous ferions un joli couple. La ressemblance était si frappante, que le digne monsieur Compan, qui pourtant nous connaissait, hésitait à nous marier.

      – Mais vous êtes cousin et cousine? demanda le prêtre.

      – En effet, dit-elle en rougissant légèrement, mon mari est un Macquart, moi je suis une Rougon.

      Elle se tut un instant, gênée, devinant que le prêtre connaissait l'histoire de sa famille, célèbre à Plassans. Les Macquart étaient une branche bâtarde des Rougon.

      – Le plus singulier, reprit-elle pour cacher son embarras, c'est que nous ressemblons tous les deux à notre grand'mère. La mère de mon mari lui a transmis cette ressemblance, tandis que, chez moi, elle s'est reproduite à distance. On dirait qu'elle a sauté par-dessus mon père.

      Alors l'abbé cita un exemple semblable dans sa famille. Il avait une soeur qui était, paraissait-il, le vivant portrait du grand-père de sa mère. La ressemblance, dans ce cas, avait sauté deux générations, Et sa soeur rappelait en tout le bon-homme par son caractère, les habitudes, jusqu'aux gestes et au son de la voix.

      – C'est comme moi, dit Marthe, j'entendais dire, quand j'étais petite: «C'est tante Dide tout craché.» La pauvre femme est aujourd'hui aux Tulettes; elle n'avait jamais eu la tête bien forte… Avec l'âge, je suis devenue tout à fait calme, je me suis mieux portée; mais, je me souviens, à vingt ans, je n'était guère solide, j'avais des vertiges, des idées baroques. Tenez, je ris encore, quand je pense quelle étrange gamine je faisais.

      – Et votre mari?

      – Oh! lui tient de son père, un ouvrier chapelier, une nature sage et méthodique… Nous nous ressemblions de visage; mais pour le dedans, c'était autre chose… A la longue, nous sommes devenus tout à fait semblables. Nous étions si tranquilles, dans nos magasins de Marseille! J'ai passé là quinze années qui m'ont appris à être heureuse, chez moi, au milieu de mes enfants.

      L'abbé Faujas, chaque fois qu'il la mettait sur ce sujet, sentait en elle une légère amertume. Elle était certainement heureuse, comme elle le disait; mais il croyait deviner d'anciens combats dans cette nature nerveuse, apaisée aux approches de la quarantaine. Et il s'imaginait ce drame, cette femme et ce mari, parents de visage, que toutes leurs connaissances jugeaient faits l'un pour l'autre, tandis que, au fond de leur être, le levain de la bâtardise, la querelle des sangs mêlés et toujours révoltés, irritaient l'antagonisme de deux tempéraments différents. Puis, il s'expliquait les détentes fatales d'une vie réglée, l'usure des caractères par les soucis quotidiens du commerce, l'assoupissement de ces deux natures dans cette fortune gagnée en quinze années, mangée modestement au fond d'un quartier désert de petite ville. Aujourd'hui, bien qu'ils fussent encore jeunes tous les deux, il ne semblait plus y avoir en eux que des cendres. L'abbé essaya habilement de savoir si Marthe était résignée. Il la trouvait très-raisonnable.

      – Non, disait-elle, je me plais chez moi; mes enfants me suffisent. Je n'ai jamais été très-gaie. Je m'ennuyais un peu, voilà tout; il m'aurait fallu une occupation d'esprit que je n'ai pas trouvée … Mais à quoi bon? Je me serais peut-être cassé la tête. Je ne pouvais seulement pas lire un roman, sans avoir des migraines affreuses; pendant trois nuits, tous les personnages me dansaient dans la cervelle… Il n'y a que la couture qui ne m'a jamais fatiguée. Je reste chez moi, pour éviter tous ces bruits du dehors, ces commérages, ces niaiseries qui me fatiguent.

      Elle s'arrêtait parfois, regardait Désirée endormie sur la table, souriant dans son sommeil de son sourire d'innocente.

      – Pauvre enfant! murmurait-elle, elle ne peut pas même coudre, elle a des vertiges tout de suite… Elle n'aime que les bêtes. Quand elle va passer un mois chez sa nourrice, elle vit dans la basse-cour, et elle me revient les joues roses, toute bien portante.

      Et elle reparlait souvent des Tulettes, avec une peur sourde de la folie. L'abbé Faujas sentit ainsi un étrange effarement, au fond de cette maison si paisible. Marthe aimait certainement son mari d'une bonne amitié; seulement, il entrait dans son affection une crainte des plaisanteries de Mouret, de ses taquineries continuelles. Elle était aussi blessée de son égoïsme, de l'abandon où il la laissait; elle lui gardait une vague rancune de la paix qu'il avait faite autour d'elle, de ce bonheur dont elle se disait heureuse. Quand elle parlait de son mari, elle répétait:

      – Il est très-bon pour nous… Vous devez l'entendre crier quelquefois; c'est qu'il aime l'ordre en toutes choses, voyez-vous, jusqu'à en être ridicule, souvent; il se fâcha pour un pot de fleurs dérangé dans le jardin, pour un jouet qui traîne sur le parquet … Autrement, il a bien raison de n'en faire qu'à sa tête. Je sais qu'on lui en veut, parce qu'il a amassé quelque argent, et qu'il continue à faire, de temps à autre, de bons coups, tout en se moquant des bavardages… On le plaisante aussi à cause de moi. On dit qu'il est avare, qu'il me tient à la maison, qu'il me refuse jusqu'à des bottines. Ce n'est pas vrai. Je suis absolument libre. Sans doute, il préfère me trouver ici, quand il rentre, au lieu de me savoir toujours par les rues, à me promener ou à rendre des visites. D'ailleurs, il connaît mes goûts. Qu'irais-je chercher au dehors?

      Lorsqu'elle défendait Mouret contre les bavardages de Plassans, elle mettait dans ses paroles une vivacité soudaine, comme si elle avait eu le besoin de le défendre également contre des accusations secrètes qui montaient d'elle-même; et elle revenait avec une inquiétude nerveuse à cette vie du dehors. Elle semblait se réfugier dans l'étroite salle à manger, dans le vieux jardin aux grands buis, prise de la peur de l'inconnu, doutant de ses forces, redoutant quelque catastrophe. Puis, elle souriait de cette épouvante d'enfant; elle haussait les épaules, se remettait lentement à tricoter son bas ou à raccommoder quelque vieille chemise. Alors, l'abbé Faujas n'avait plus devant lui qu'une bourgeoise froide, au teint reposé, aux yeux pâles, qui mettait dans la maison une odeur de linge frais et de bouquet cueilli à l'ombre.

      Deux mois se passèrent ainsi. L'abbé Faujas et sa mère étaient entrés dans les habitudes des Mouret. Le soir, chacun avait sa place marquée autour de la table; la lampe était à la même place, les mêmes mots des joueurs tombaient dans les mêmes silences, dans les mêmes paroles adoucies du prêtre et de Marthe. Mouret, lorsque madame Faujas ne l'avait pas trop brutalement battu, trouvait ses locataires «des gens très comme il faut» Toute sa curiosité de bourgeois inoccupé s'était calmée dans le souci des parties de la soirée; il n'épiait plus l'abbé, disant que maintenant il le connaissait bien, qu'il le tenait pour un brave homme.

      – Eh! laissez-moi donc tranquille! criait-il à ceux qui attaquaient l'abbé Faujas devant lui. Vous faites un tas d'histoires, vous allez chercher midi à quatorze heures, lorsqu'il est si aisé d'expliquer les choses simplement… Que diable! je le sais sur le bout du doigt. Il me fait l'amitié de venir passer toutes ses soirées avec nous… Ah! ce n'est pas un homme qui se prodigue, je comprends qu'on lui en veuille et qu'on l'accuse de fierté.

      Mouret СКАЧАТЬ