Ce qui frappait d'abord dans la figure de cette jeune femme, d'une beauté remarquable, c'était le contraste de ses cheveux, du plus beau blond cendré, avec ses grands yeux noirs et ses sourcils de même couleur, hardiment accusés.
De longues et épaisses boucles de cheveux, pressés par la passe de son chapeau, cachaient à demi ses joues; malgré le froid qui aurait dû aviver son teint, cette jeune femme était très-pâle: ses traits paraissaient bouleversés par la frayeur.
Deux fois elle leva au ciel ses yeux humides de larmes; et lorsqu'elle rejoignit la personne qui l'attendait, ses lèvres, contractées par un douloureux sourire, laissèrent voir des dents du plus bel émail.
En passant devant madame Lebœuf elle hâta le pas.
M. Godet n'y tint plus, il entr'ouvrit la porte, et vit les deux femmes regagner un petit fiacre bleu à stores rouges qu'elles avaient laissé au coin de la rue Saint-Louis.
Elles montèrent en voiture et partirent en gardant les stores baissés.
– J'espère… j'espère que voilà du nouveau! – dit M. Godet en se croisant les bras et en secouant la tête d'un air triomphant.
Et les habitués de récapituler les événements qui s'accumulaient depuis le matin…
– Une lettre qui sent le musc.
– Une vieille femme qui apporte un coffret d'écaille incrusté d'or, d'un air effaré.
– Et enfin une jeune femme qui pleurniche en passant devant la porte du Robin des Bois, du Vampire, – ajouta la veuve Lebœuf.
– Saperlotte! la jolie créature! – dit M. Godet.
– Ça… une belle femme… ça n'a pas plus de prestance que rien du tout, – dit madame Lebœuf en se rengorgeant.
– Je parie que c'est la femme qui porte des odeurs et qui n'affranchit pas ses lettres! s'écria M. Godet après quelques minutes de réflexion.
– L'Anglaise? Mais vous n'avez donc pas vu comme elle était habillée, monsieur Godet? – reprit la veuve en haussant les épaules avec un air de supériorité écrasante. – Ça une Anglaise! mais il n'y a rien de plus facile à reconnaître qu'une Anglaise. Il n'y a qu'à voir la manière dont elle s'habille. C'est bien simple: en toute saison un bibi en paille, un spencer rose, une jupe écossaise, des brodequins vert clair ou jaune citron; avec cela presque toujours les cheveux rouges: témoin les Anglaises pour rire, aux Variétés. C'est une pièce qui ne date pas d'hier, et qui a de l'autorité, puisque ça se joue en public. Encore une fois, depuis que le monde est monde, les Anglaises, les vraies Anglaises n'ont jamais été autrement habillées.
Malheureusement; l'arrivée de deux individus qui entrèrent brusquement dans le café interrompit les observations et les enseignements de madame Lebœuf sur la monographie des Anglaises.
Les habitués contemplèrent avec un redoublement de curiosité ces deux nouveaux personnages, évidemment aussi étrangers au quartier du Marais, que l'était la jeune et charmante femme dont nous avons tout à l'heure esquissé le portrait.
CHAPITRE III.
LES RECHERCHES
Les deux inconnus étaient jeunes et vêtus avec élégance.
Quoiqu'il fît très-froid, ni l'un ni l'autre n'étaient défigurés par ces abominables sacs, si mal imités du north-west des marins anglais, et appelés paletots par les tailleurs français.
Le plus jeune de ces deux hommes, blond, mince, d'une charmante tournure, portait par-dessus ses vêtements une redingote de drap blanchâtre, ouatée, à longue et large taille. Le gros nœud de sa cravate de satin noir était fixé par une petite épingle de turquoise; son pantalon, presque juste et d'un bleu très-clair, s'échancrait avec grâce sur ses bottes glacées d'un brillant vernis.
L'autre inconnu, brun, un peu plus âgé, avait aussi les dehors d'un homme du monde; il portait un surtout couleur de bronze, doublé au collet et au revers de velours de même nuance mais écrasé. Son pantalon, gris clair, laissait voir un fort joli pied chaussé d'un soulier à bottine de casimir noir; une cravate de fantaisie, d'un rouge brique, à larges raies blanches, assortissait à merveille son teint et ses cheveux bruns.
Nous insistons sur ces puérils détails, parce qu'ils expliquent la curiosité avide et pour ainsi dire sauvage avec laquelle ces deux hommes furent examinés par les habitués du café Lebœuf.
Le plus jeune des deux inconnus, blond et d'une figure remplie de distinction, semblait en proie à une vive émotion.
En entrant il ôta son chapeau, s'assit presque avec accablement devant une table, et appuya sa tête dans ses deux mains, parfaitement bien gantées de peau de Suède.
– Que diable! – lui dit son ami (que nous appellerons Alfred) – que diable! Gaston, calmez-vous; vous vous serez trompé, vous dis-je… ce n'était sûrement pas elle.
– Ce n'était pas elle? – reprit Gaston en relevant vivement la tête et en souriant avec amertume. – Ce n'était pas elle? Comment! quand, au bal masqué, je la reconnaîtrais entre mille femmes rien qu'à sa démarche, rien qu'à ce je ne sais quoi qui n'appartient qu'à elle, vous voulez que je me sois trompé? Allons donc, Alfred, vous me prenez pour un enfant; je l'ai vue quitter sa voiture et monter en fiacre, vous dis-je, un petit fiacre bleu à stores rouges; elle était avec sa maudite madame Blondeau, qui portait le coffret.
A ces mots, prononcés assez haut par le jeune homme, les habitués du café Lebœuf ne purent retenir un mouvement de joie.
M. Godet dit à vois basse à ses complices…
– Entendez-vous? entendez-vous?.. le coffret!.. C'est sans doute celui que la vieille femme a apporté tout à l'heure au domestique du Vampire. Bravo! Cela se complique, cela devient fort intéressant. Écoutons. Donnez-moi un journal; je vais me glisser adroitement près de ces deux messieurs, qui m'ont l'air de gaillards de la plus haute volée.
En disant ces mots, il s'approcha de la table où causaient ces deux jeunes gens.
Ceux-ci s'apercevant qu'on les regardait avec attention, contrariés du voisinage de M. Godet, reprirent leur conversation en anglais, au grand désappointement des curieux.
– Mais quel était ce coffret? – dit Alfred.
– Un coffret qu'elle m'avait donné, et que mon valet de chambre a été assez sot pour remettre à cette madame Blondeau, croyant qu'elle venait de ma part… Ce matin, en rentrant chez moi, Pierre m'apprend cette belle équipée; dans mon étonnement je cours chez elle, elle était sortie… Je vous rencontre au pont Royal, devant le pavillon de Flore: pendant que nous causions, je la vois aussi clairement que je vous vois, de l'autre côté du pont, monter en fiacre bleu, avec madame Blondeau.
– Le fiacre part, reprit Alfred; – nous n'avons СКАЧАТЬ