Histoire littéraire d'Italie (3. Pierre Loius Ginguené
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Название: Histoire littéraire d'Italie (3

Автор: Pierre Loius Ginguené

Издательство: Public Domain

Жанр: Критика

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СКАЧАТЬ entre les mains le Delopathos latin ou français, qu'il en emprunta l'idée de rattacher à un même sujet ses cent Nouvelles, qu'en un mot il en tira parti, non en servile imitateur, mais en homme de génie, qui crée encore quand il imite.

      C'est de la même manière qu'il put imiter et qu'il imita peut-être en effet quelques uns de nos anciens Fabliaux. On en a fait un grand éclat, on en a même tiré de nos jours un grand triomphe, et l'on est allé jusqu'à des exagérations qui ne sont pas la preuve d'un jugement bien sain. Fauchet avait observé le premier, avec justesse et avec plus de modération, qu'outre les trois Nouvelles imitées du Dolopathos d'Hébers, il y en avait encore dans le Décaméron quatre ou cinq dont les sujets étaient tirés de Rutebeuf et de Vistace, ou Huistace d'Amiens 79. Caylus n'a pas craint de dire, dans un Mémoire sur les anciens conteurs français 80, que l'Italie, qui est si fière de son Boccace et de ses autres conteurs, perdrait beaucoup de ses avantages, si l'on publiait les nôtres; et il cite un manuscrit de l'abbaye de Saint-Germain, où on lisait jusqu'à dix Nouvelles qui avaient été prises par Boccace. La même accusation a été répétée par Barbazan 81 Le Grand d'Aussi a été plus loin; et c'est vraiment lui dont le zèle a passé toutes les bornes.

      Dans son Recueil de Fabliaux 82, dès qu'il voit le moindre rapport entre un de ces vieux Contes et une Nouvelle de Boccace, sans examiner si l'un et l'autre n'ont pas été tirés des mêmes sources, ni si l'auteur du Fabliau n'a pas lui-même copié Boccace, il décide souverainement que Boccace a pillé l'auteur du Fabliau. Il rassemble enfin contre lui tous ses griefs 83, et lui intente très-sérieusement un procès de plagiat, et, qui pis est, d'ingratitude: «Boccace, dit-il, était venu jeune à Paris, et avait étudié dans l'Université, où notre langue et nos auteurs lui étaient devenus familiers.» Boccace, comme nous l'avons vu dans sa Vie, fut en effet envoyé jeune à Paris, mais il s'en fallait beaucoup que ce fût pour y faire ses études; il y vint avec un marchand chez qui il apprenait la tenue des livres et le calcul. C'était même pour l'empêcher d'étudier autre chose, que son père l'avait mis chez ce marchand; et il fréquenta l'Université, comme les jeunes gens placés à Paris dans le commerce la fréquentent aujourd'hui. Sans doute il apprit notre langue, il connut quelques uns de nos vieux auteurs; mais il avait autre chose à faire que de se les rendre familiers. Les copies de ces longues narrations en vers, dénuées de poésie, n'étaient pas assez multipliées pour circuler si familièrement; et l'on ne trouvait pas alors un Pierre d'Anfol ou même un Rutebeuf, sur le comptoir d'un magasin, comme on y peut maintenant trouver un La Fontaine.

      Au reste, le critique ne prétend point faire à Boccace un crime de ces emprunts. «Si j'avais, dit-il, un reproche à lui faire, ce serait de n'avoir point déclaré ce qu'il doit à nos poëtes… Lui qui s'était enrichi de leurs dépouilles, et qui leur devait se brillante renommée, j'ai de la peine à lui pardonner ce silence ingrat» Au lieu de s'enrichir de leurs dépouilles, Boccace n'a-t-il pas plutôt revêtu leur maigre et honteuse nudité? Et n'est-il pas aussi trop ridicule de dire que c'est précisément à ces huit ou dix Nouvelles, que c'est à ce dixième tout au plus, et point du tout apparemment aux neuf autres parties, ni à ses descriptions charmantes, ni aux autres ornements dont il a embelli tout son ouvrage, ni à son talent de dialoguer et de peindre, ni à son style, ni à son éloquence, ni en un mot à son génie, qu'il doit toute la renommée dont il jouit? D'ailleurs, ne dirait-on pas que Boccace a déclaré tous ses originaux, toutes ses sources, qu'il a dit à chacune de ses Nouvelles, celle-ci est tirée d'un Conte arabe, cette autre des anciennes Nouvelles 84; en voici une prise de l'histoire, en voici une autre qui l'est d'une aventure réelle, et d'une tradition locale; et que, sur les seuls Fabliaux français, il a été assez ingrat pour garder le silence? Si ce ne n'est pas cela, quel droit avons-nous de nous plaindre, même en supposant toujours la réalité de ces emprunts?

      Le Grand d'Aussi mettait si peu de discernement dans cette cause, où il était trop passionné pour bien voir qu'il porte cette accusation contre Boccace à propos d'un Fabliau de Pierre d'Anfol, et qu'il avoue en propres termes que Pierre d'Anfol lui-même n'a point inventé ce Fabliau 85, mais qu'il l'a tiré du Dolopathos ou du Roman des Sept Sages. En effet, c'est un des trois contes 86, dont Fauchet et du Verdier remarquent que Boccace a pris le fond dans ce roman venu de l'Inde. Comment le critique n'a-t-il pas vu, comme nous le voyons nous-mêmes, que ce fablier obscur avait puisé à la même source que Boccace; mais que Boccace, pour y puiser aussi, n'avait aucun besoin du fablier? Loin de revenir de ce faux jugement qu'il avait une fois porté, il y persista, on peut même dire qu'il s'y obstina toute sa vie. «C'est avec nos Fabliaux, dit-il dans ses observations sur les Troubadours 87, que Boccace a procuré à sa patrie et qu'il s'est procuré à lui-même assez facilement un honneur immortel… Il doit à nos fabliers un grand nombre de ses sujets et le genre lui-même. Postérieur à eux d'un siècle environ, il les a copiés, etc.» Que deviennent des assertions aussi positives et aussi hasardées, quand on a vu seulement ce que nous venons de voir? Je ne sais si, en écrivant ainsi, on croit se montrer bon Français et faire preuve d'amour pour sa patrie. Dieu me préserve d'en donner des preuves pareilles! L'amour éclairé de la patrie doit consister avant tout, à ne rien écrire qui la compromette et qui lui donne un ridicule aux yeux des étrangers instruits.

      Quand Boccace entreprit d'écrire ses Nouvelles pour plaire à la princesse Marie, et par ses ordres 88, il recueillit toutes les traditions, il puisa dans toutes les sources. Il n'était pas en Italie le premier conteur en prose; mais il s'empara de ce genre dont il n'existait que de faibles essais, et il le perfectionna. On connaît le recueil de Cent Nouvelles anciennes, Cento Novelle antiche 89, ou le Novellino, l'un des livres où les amateurs de la langue aiment à étudier ses tours originaux et primitifs. Ce ne sont que des historiettes contées sans art et souvent sans élégance. Il y en a qui semblent être du temps de Boccace, d'autres même postérieures à lui; mais il y en a aussi que l'on voit, à l'antiquité du style, à la naïveté encore moins ornée du récit, et à quelques autres marques sensibles, avoir dû être écrites ou à la fin du treizième siècle ou au commencement du quatorzième. Boccace ne dédaigna point d'y puiser quelques sujets 90; il en tira de l'histoire étrangère et nationale, de quelques traductions d'auteurs orientaux et de ces récits populaires qui, n'ayant point encore été écrits, laissent au talent et au génie du conteur plus de liberté. La vie que menaient alors les moines fournissait des anecdotes du genre le plus libre, et elles étaient apparemment du goût particulier de Fiammetta; sans cela il n'aurait pas donné à ces contes orduriers tant de place dans son ouvrage; et il est à remarquer que pas une des cent Novelle antiche n'a, ni dans le sujet, ni dans l'expression, rien de licencieux. Il connaissait aussi des recueils de nos Fabliaux; et il peut en emprunter le fonds de quelques Nouvelles. L'invention des faits n'est donc pas ce qui l'a immortalisé 91: les Italiens tiennent si peu à lui attribuer ce mérite, qu'un de leurs savants les plus zélés pour la gloire littéraire de sa patrie et pour celle de Boccace; Manni, a laborieusement et scrupuleusement recherché toutes les sources où il avait puisé, et surtout les faits, soit anecdotiques, soit historiques qu'il a embellis en les racontant 92. C'est ce talent de tout embellir, de tout raconter avec une grâce et une éloquence inimitables, qui a fait sa gloire; et cette gloire, qu'il ne dut qu'à son génie, rien ne peut la lui ôter.

      Après avoir reconnu dans ses récits les faits et les contes anciens qui lui en avaient fourni le sujet, on a prétendu lever aussi le voile dont on a cru qu'il avait couvert les personnages. Il leur a donné des noms de fantaisie: on en a voulu percer СКАЧАТЬ



<p>79</p>

Du Dolopathos français, le trait de la Femme qui veut se jeter dans un puits, Journée VII, Nouv. IV; celui du Palefrenier (qui, dans le Dolopathos est un Chevalier) et de la Fille du Roi Agilulf, Journée III, Nouvelle II; et la Revanche du Siénois avec la Femme de son Voisin, Journ. VIII, Nouv. III: de Rutebeuf, la Nouv. de Dom Jean, Journ. IX, Nouv. X, devenue dans La Fontaine, la Jument du Compère Pierre; de Vistace ou Huistace, celle du Mari jaloux qui confesse sa femme, Journ. VII, Nouv. V, et celle de deux jeunes Florentins dans une auberge, Journ. IX, Nouv. VI, d'où La Fontaine a tiré son conte du Berceau. Fauchet croit aussi que la fin tragique des Amours du châtelain de Coucy, a pu fournir le sujet de la Nouvelle de Guillaume de Roussillon, Journ. IV, Nouv. IX; mais elle est évidemment tirée du provençal. Voyez ci-après, pag. 106, note i.

<p>80</p>

Mém. de l'Acad. des Inscrip., tom. XX, pag. 375, in-4.

<p>81</p>

Dans la Préface de son Recueil des Fabliaux et Contes des Poëtes français, des 12e, 13e., 14e. et 15e. siècles, Paris, 1766, 3 vol. in-12.

<p>82</p>

Paris, 1779, 3 vol. in-8.

<p>83</p>

Tom. II, pag. 288.

<p>84</p>

Novelle antiche.

<p>85</p>

Ub. sup., p. 289.

<p>86</p>

Journ. VII, Nouv. IV.

<p>87</p>

1787, in-8., p. 28.

<p>88</p>

C'était ainsi qu'il avait écrit le Filocopo et la Théséide. Quant au Décaméron, la preuve des ordres qu'il avait reçus, est dans une lettre citée par M. Baldelli. Boccace l'écrivit dans sa vieillesse, à son ami Mainardo de' Cavalcanti, maréchal du royaume de Naples. Mainardo avait épousé une très-jeune femme, à qui il avait promis, ainsi qu'aux dames de sa maison, de leur faire lire le Décaméron de Boccace. Il fit part de cette promesse à son ami: «Gardez-vous-en bien, lui répond Boccace; vous savez combien il s'y trouve de choses peu décentes et contraires à l'honnêteté… Si vos dames y arrêtaient leur esprit, ce serait votre faute et non la leur. Gardez-vous-en, je vous le répète, je vous le conseille, et je vous en prie… Si ce n'est par respect pour leur honneur, que ce soit par égard pour le mien… Elles me prendraient, en lisant mes Nouvelles, pour un vil entremetteur, un vieillard incestueux, un homme impur, etc… Il n'y a, dans tous ces endroits, personne qui se lève, et qui dise pour m'excuser: Il a écrit en jeune homme, et forcé par des ordres qui avaient toute autorité sur lui.» (Vita del Boccaccio, p. 161 et 162.)

<p>89</p>

Libro di Novelle e di bel parlar gentile, etc., imprimé en 1525, et réimprimé en 1572. J'en ai parlé dans les notes ajoutées à la fin du tom. II, p. 574.

<p>90</p>

Dans la première Journée, la Nouvelle III est tirée de la LXXIIe. du Novellino; la IXe., de la même Journée, l'est de la XIIIe., etc.

<p>91</p>

Le Grand d'Aussy a pourtant dit, dans son écrit sur les Troubadours: «Quoiqu'il passe, non-seulement pour l'inventeur de ces Contes, mais encore pour le premier qui a renouvelé dans l'Occident, ce genre agréable.» Mais il s'est trompé en cela, comme en beaucoup d'autres choses.

<p>92</p>

Voyez ci-dessus, p. 63.