Название: Le secrétaire intime
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Pour l'amour du ciel, Monsieur, ne le prenez pas ainsi. Si madame de Cavalcanti recevait une injure dans ma maison, elle serait capable de n'y plus descendre. Une princesse qui passe ici presque tous les ans, Monsieur! et qui ne s'arrête pas deux jours sans faire moins de cinq cents francs de dépense!.. Au nom de Dieu, Monsieur, allez, allez souper avec elle. Le souper sera parfait. J'y ai mis la main moi-même. Il y a des faisans truffés que le roi de France ne dédaignerait pas, des gelées qui…
– Eh! Monsieur, laissez-moi tranquille…
– Vraiment, dit l'aubergiste d'un air consterné en croisant ses mains sur son gros ventre, je ne sais plus comment va le monde, je n'y conçois rien. Comment! un jeune homme qui refuse de souper avec la plus belle princesse du monde, dans la crainte qu'on ne se moque de lui! Ah! si madame la princesse savait que c'est là votre motif, c'est pour le coup qu'elle dirait que les Français sont bien ridicules!
– Au fait, se dit Julien, je suis peut-être un grand sot de me méfier ainsi. Quand on se moquerait de moi, après tout! je tâcherai, s'il en est ainsi, d'avoir ma revanche. Eh bien! dit-il à l'aubergiste, allez présenter mes excuses à madame la princesse, et dites-lui que j'obéis à ses ordres.
– Dieu soit loué! s'écria l'aubergiste. Vous ne vous en repentirez pas; vous mangerez les plus belles truites de Vaucluse!..» Et il s'enfuit transporté de joie.
Saint-Julien, voulant lui donner le temps de faire sa commission, rentra dans la salle des voyageurs. Il remarqua un grand homme pâle, d'une assez belle figure, qui errait autour des tables et qui semblait enregistrer les paroles des autres. Saint-Julien pensa que c'était un mouchard, parce qu'il n'avait jamais vu de mouchard, et que, dans son extrême méfiance, il prenait tous les curieux pour des espions. Personne cependant n'en avait moins l'air que cet individu. Il était lent, mélancolique, distrait, et ne semblait pas manquer d'une certaine niaiserie. Au moment où il passa près de Saint-Julien, il prononça entre ses dents, à deux reprises différentes et en appuyant sur les deux premières syllabes, le nom de Quintilia Cavalcanti.
Puis il retourna auprès de la table, et fit des questions sur cette princesse Cavalcanti.
«Ma foi! Monsieur, répondit une personne à laquelle il s'adressa, je ne puis pas trop vous dire; demandez à ce jeune homme qui est auprès du poêle. C'est un de ses domestiques.»
Saint-Julien rougit jusqu'aux yeux, et, tournant brusquement le dos, il s'apprêtait à sortir de la salle; mais l'étranger, avec une singulière insistance, l'arrêta par le bras, et, le saluant avec la politesse d'un homme qui croit faire une grande concession à la nécessité: «Monsieur, lui dit-il, auriez-vous la bonté de me dire si madame la princesse de Cavalcanti arrive directement de Paris?
– Je n'en sais rien, Monsieur, répondit Saint-Julien sèchement. Je ne la connais pas du tout.
– Ah! Monsieur, je vous demande mille pardons. On m'avait dit…»
Saint-Julien le salua brusquement et s'éloigna. Le voyageur pâle revint auprès de la table.
«Eh bien? lui dit le commis voyageur, qui avait observé sa méprise.
– Vous m'avez fait faire une bévue, dit le voyageur pâle à la personne qui l'avait d'abord adressé à Saint-Julien.
– Je vous en demande pardon, dit celui-ci. Je croyais avoir vu ce jeune homme sur le siège de la voiture.»
Le commis voyageur, qui était facétieux comme tous les commis voyageurs du monde, crut que l'occasion était bien trouvée de faire ce qu'il appelait une farce. Il savait fort bien que Saint-Julien ne connaissait pas la princesse, puisque c'était précisément à lui qu'il avait adressé une question semblable à celle du voyageur pâle; mais il lui sembla plaisant de faire durer la méprise de ce dernier.
«Parbleu! Monsieur, dit-il, je suis sûr, moi, que vous ne vous êtes pas trompé. Je connais très-bien la figure de ce garçon-là: c'est le valet de chambre de madame de Cavalcanti. Si vous connaissiez le caractère de ces valets italiens, vous sauriez qu'ils ne disent pas une parole gratis; vous lui auriez offert cent sous…
– En effet,» pensa le voyageur, qui tenait extraordinairement à satisfaire sa curiosité. Il prit un louis dans sa bourse et courut après Saint-Julien.
Celui-ci attendait sous le péristyle que l'hôte vînt le chercher pour l'introduire chez la princesse. Le voyageur pâle l'accosta de nouveau, mais plus hardiment que la première fois, et, cherchant sa main, il y glissa la pièce de vingt francs.
Saint-Julien, qui ne comprenait rien à ce geste, prit l'argent, et le regarda en tenant sa main ouverte dans l'attitude d'un homme stupéfait.
«Maintenant, mon ami, répondez-moi, dit le voyageur pâle. Combien de temps madame la princesse Cavalcanti a-t-elle passé à Paris?
– Comment! encore? s'écria Julien furieux en jetant la pièce d'or par terre. Décidément ces gens sont fous avec leur princesse Cavalcanti.»
Il s'enfuit dans la cour, et dans sa colère il faillit s'enfuir de la maison, pensant que tout le monde était d'accord pour le persifler. En ce moment, l'aubergiste lui prit le bras en lui disant d'un air empressé: «Venez, venez, Monsieur, tout est arrangé; l'abbé a été grondé; la princesse vous attend.»
II
Au moment d'entrer dans l'appartement de la princesse, Saint-Julien retrouva cette assurance à laquelle nous atteignons quand les circonstances forcent notre timidité dans ses derniers retranchements. Il serra la boucle de sa ceinture, prit d'une main sa barrette, passa l'autre dans ses cheveux, et entra tout résolu de s'asseoir en blouse de coutil à la table de madame de Cavalcanti, fût-elle princesse ou comédienne.
Elle était debout et marchait dans sa chambre, tout en causant avec ses compagnons de voyage. Lorsqu'elle vit Saint-Julien, elle fit deux pas vers lui, et lui dit: – «Allons donc, Monsieur, vous vous êtes fait bien prier! Est-ce que vous craignez de compromettre votre généalogie en vous asseyant à notre table? Il n'y a pas de noblesse qui n'ait eu son commencement, Monsieur, et la vôtre elle-même…
– La mienne, Madame! répondit Saint-Julien en l'interrompant sans façon, date de l'an mil cent sept.»
La princesse, qui ne se doutait guère des méfiances de Saint-Julien, partit d'un grand éclat de rire. L'espiègle Ginetta, qui était en train d'emporter quelques chiffons de sa maîtresse, ne put s'empêcher d'en faire autant; l'abbé, voyant rire la princesse, se mit à rire sans savoir de quoi il était question. Le seul personnage qui ne parût pas prendre part à cette gaieté fut un grand officier en habit de fantaisie chocolat, sanglé d'or sur la poitrine, emmoustaché jusqu'aux tempes, cambré comme une danseuse, éperonné comme un coq de combat. Il roulait des yeux de faucon en voyant l'aplomb de Saint-Julien et la bonne humeur de la princesse; mais Saint-Julien se fiait si peu à tout ce qu'il voyait, qu'il s'imagina les voir échanger des regards d'intelligence.
«Allons, mettons-nous à table, dit la princesse en voyant fumer le potage. Quand la première faim sera apaisée, nous prierons monsieur de nous raconter les faits et gestes de ses ancêtres. En vérité, il est bien fâcheux, pour nous autres souverains légitimes, que tous les Français ne soient pas dans les idées de celui-ci. Il nous viendrait de par delà les Alpes moins d'influenza contre la santé de nos aristocraties.»
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