Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1 - Жорж Санд страница 9

СКАЧАТЬ interrompit le paysan; vous êtes de braves gens et de bons cœurs, je veux le croire de ce jeune monsieur, comme j'en suis sûr de votre part, monsieur Antoine. Mais, sans vous offenser, je vous dirai que vous n'y voyez pas plus loin que le bout de votre nez. Écoutez-moi. Je suppose que j'ai beaucoup d'argent à placer, avec l'intention, non pas d'en tirer seulement un intérêt honnête et raisonnable, comme c'est permis à tout le monde, mais de doubler et de tripler mon capital en peu d'années. Je ne serai pas si sot que de dire mon intention aux gens que je suis forcé de ruiner. Je commencerai donc par les amadouer, par me montrer généreux, et, pour ôter les méfiances, par me faire passer, au besoin, pour prodigue et sans cervelle. Cela fait, je tiens mes dupes; j'ai sacrifié cent mille francs, je suppose, à ces petites amorces. Cent mille francs, c'est beaucoup dire pour le pays! et, pour moi, si j'ai plusieurs millions, ce n'est que le pot-de-vin de mon affaire. Tout le monde m'aime, bien que quelques-uns se moquent de ma simplicité; le plus grand nombre me plaint et m'estime. Personne ne se sauvegarde. Le temps marche vite, et mon cerveau encore plus; j'ai jeté la nasse, tous les poissons y mordent. D'abord les petits, le fretin qui est avalé sans qu'on s'en aperçoive, ensuite les gros, jusqu'à ce que tout y passe!

      – Et que veux-tu dire avec toutes tes métaphores? dit M. Antoine en haussant les épaules. Si tu continues à parler par figures, je vais m'endormir. Allons, dépêche, il se fait tard.

      – Ce que je dis est bien clair, reprit le paysan. Une fois que j'ai ruiné toutes les petites industries qui me faisaient concurrence, je deviens un seigneur plus puissant que ne l'étaient vos pères avant la révolution, monsieur Antoine! Je gouverne au-dessus des lois, et, tandis que pour la moindre peccadille je fais coffrer un pauvre diable, je me permets tout ce qui me plaît et m'accommode. Je prends le bien d'un chacun (filles et femmes par-dessus le marché, si c'est mon goût), je suis le maître des affaires et des subsistances de tout un département. Par mon talent, j'ai mis les denrées un peu au rabais; mais, quand tout est dans mes mains, j'élève les prix à ma guise, et dès que je peux le faire sans danger, j'accapare et j'affame. Et puis, c'est peu de chose que tuer la concurrence: je deviens bientôt le maître de l'argent qui est la clef de tout. Je fais la banque en dessous main, en petit et en grand; je rends tant de services, que je suis le créancier de tout le monde, et que tout le monde m'appartient. On s'aperçoit qu'on ne m'aime plus, mais on voit qu'il faut me craindre, et les plus puissants eux-mêmes me ménagent, tandis que les petits tremblent et soupirent autour de moi. Cependant, comme j'ai de l'esprit et de la science, je fais le grand de temps à autre. Je sauve quelques familles, je concours à quelque établissement de charité. C'est une manière de graisser la roue de ma fortune, qui n'en court que plus vite: car on en revient à m'aimer un peu. Je ne passe plus pour bon et niais, mais pour juste et grand. Depuis le préfet du département jusqu'au curé du village, et depuis le curé jusqu'au mendiant, tout est dans le creux de ma main; mais tout le pays souffre et nul n'en voit la cause. Aucune autre fortune que la mienne ne s'élévera, et toute petite condition sera amoindrie, parce que j'aurai tari toutes les sources d'aisance, j'aurai fait renchérir les denrées nécessaires et baisser les denrées du superflu, au contraire de ce qui devrait être. Le marchand s'en trouvera mal et le consommateur aussi. Moi, je m'en trouverai bien, puisque je serai, par ma richesse, la seule ressource des uns et des autres. Et l'on dira enfin: Que se passe-t-il donc? les petits fournisseurs sont à découvert, et les petits acheteurs sont à sec. Nous avons plus de jolies maisons et plus de beaux habits sous les yeux que par le passé, et tout cela coûte, dit-on, moins cher; mais nous n'avons plus le sou dans la poche. On nous a donné une fièvre de paraître, et les dettes nous rongent. Ce n'est pas pourtant M. Cardonnet qui a voulu tout cela, car il fait du bien, et, sans lui, nous serions tous perdus. Dépêchons-nous de servir M. Cardonnet: qu'il soit maire, qu'il soit préfet, qu'il soit député, ministre, roi, si c'est possible, et le pays est sauvé!

      «Voilà, Messieurs, comme je me ferais porter sur le dos des autres si j'étais M. Cardonnet, et comment je suis sûr que M. Cardonnet compte faire. A présent, dites que j'ai tort de le voir d'un mauvais œil, que je suis un prophète de malheur, et qu'il n'arrivera rien de ce que j'annonce. Dieu vous fasse dire vrai! mais, moi, je sens la grêle venir de loin; et il n'y a qu'un espoir qui me soutienne: c'est que la rivière sera moins sotte que les gens, qu'elle ne se laissera pas brider par les belles mécaniques qu'on lui passe aux dents, et qu'un de ces matins, elle donnera aux usines de M. Cardonnet un coup de reins qui le dégoûtera de jouer avec elle; et s'engagera à aller porter ailleurs ses capitaux et leur conséquence. Maintenant, j'ai dit, moi aussi. Si j'ai porté un jugement téméraire, que Dieu qui m'a entendu me pardonne!»

      Le paysan avait parlé avec une grande animation. Le feu de la pénétration jaillissait de ses yeux clairs, et un sourire d'indignation douloureuse errait sur ses lèvres mobiles. Le voyageur examinait cette figure accentuée, assombrie par une épaisse barbe grisonnante, flétrie par la fatigue, les injures de l'air, peut-être aussi par le chagrin, et, malgré la souffrance que lui faisait éprouver son langage, il ne pouvait se défendre de le trouver beau, et d'admirer, dans sa facilité à exprimer rudement ses pensées, une sorte d'éloquence naturelle empreinte de franchise et d'amour de la justice: car si ses paroles, dont nous n'avons pas rendu toute la rusticité, étaient simples et parfois vulgaires, son geste était énergique, et l'accent de sa voix commandait l'attention. Une profonde tristesse s'était emparée des auditeurs, tandis qu'il esquissait sans art et sans ménagement la peinture du riche persévérant et insensible. Le vin n'avait fait aucun effet sur lui, et chaque fois qu'il levait les yeux sur le jeune homme, il semblait plonger dans son sein et lui adresser un sévère interrogatoire. M. Antoine, un peu affaissé sous le poids du breuvage, n'avait pourtant rien perdu de son discours, et, subissant, comme de coutume, l'ascendant de cette âme plus ferme que la sienne, il laissait échapper, de temps en temps, un profond soupir.

      Quand le paysan se tut:

      «Que Dieu, te pardonne, en effet, si tu juges mal, ami, dit-il en élevant son verre comme une offrande à la Divinité; et si tu devines juste, que la Providence veuille détourner un tel fléau de la tête des pauvres et des faibles!

      – Monsieur de Châteaubrun, écoutez-moi, et vous aussi, mon ami, s'écria le jeune homme, en prenant de chaque main, les mains de ses hôtes: Dieu, qui entend toutes les paroles des hommes et qui lit leurs sentiments au fond de leurs cœurs, sait que ces maux ne sont pas à craindre, et que vos appréhensions ne sont que des chimères. Je connais l'homme dont vous parlez, je le connais beaucoup; et quoique sa figure soit froide, son caractère obstiné, son intelligence active et puissante, je vous réponds de la loyauté de ses intentions et du noble emploi qu'il saura faire de sa fortune. Il y a quelque chose d'effrayant, j'en conviens, dans la fermeté de sa volonté, et je ne m'étonne pas que son air inflexible vous ait donné une sorte de vertige, comme si un être surnaturel était apparu au milieu de vos campagnes paisibles; mais cette force d'âme est basée sur des principes religieux et moraux qui font de lui, sinon le plus doux et le plus affable des hommes, du moins le plus strictement juste et le plus royalement généreux.

      – Eh bien, tant mieux, nom d'une bombe! répondit le châtelain en choquant son verre contre celui du paysan. Je bois à sa santé et je suis heureux d'avoir à estimer un homme, quand j'étais sur le point de le maudire. Allons, toi, ne fais pas l'entêté, et crois ce brave jeune homme qui parle comme un livre et qui en sait plus long que toi et moi. Puisqu'il te dit qu'il connaît Cardonnet! qu'il le connaît beaucoup, là! que veux-tu de mieux? Il nous répond de lui. Donc, nous pouvons être tranquilles.

      «Sur ce, mes amis, allons nous coucher, ajouta le châtelain, enchanté d'accepter, pour un homme qu'il connaissait peu, la caution d'un homme qu'il ne connaissait pas du tout, et dont il ne savait pas seulement le nom; voilà onze heures qui sonnent, et c'est une heure indue.

      – Je vais prendre congé de vous, dit le voyageur, et me retirer, en vous demandant la permission de venir bientôt vous remercier de vos bontés.

      – Vous ne partirez pas ce soir, s'écria M. Antoine, c'est impossible, il pleut à verse, les chemins sont perdus, et on n'y voit pas à ses pieds. СКАЧАТЬ