Название: Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Gardez-vous-en bien. Nous sommes en sûreté, et lui s'exposerait encore. Oui, je vois que c'est un digne homme. Est-il le parent de cet enfant et de ces gens-là?
– Non, Monsieur, non. C'est les Michaud, c'est des gens et un enfant qui ne lui sont de rien ni à moi non plus: mais quand il y a du malheur quelque part, on peut bien être sûr de voir arriver Jean, et là où personne n'oserait se risquer il y court, lui, quand même il n'y a rien de rien, pas même un verre de vin à y gagner. Le bon Dieu sait bien pourtant qu'il ne fait pas bon dans ce pays-ci pour Jean, et que ce n'est guère sa place.
– Court-il donc quelque autre danger à Gargilesse que celui de se noyer comme tout le monde?»
Sylvain ne répondit pas, et parut se reprocher d'en avoir trop dit.
«Voilà l'eau qui baisse un peu, dit-il pour détourner l'attention d'Émile; dans une couple d'heures, nous pourrons peut-être repasser par où nous sommes venus; car du côté de M. Cardonnet, il y en a pour six heures au moins.»
Cette perspective n'était pas très riante; néanmoins Émile, qui ne voulait à aucun prix effrayer ses parents, s'y résigna de son mieux. Mais un accident nouveau le fit changer de résolution avant qu'une demi-heure se fût écoulée. L'eau se retirait assez vite des points extrêmes qu'elle avait envahis; et de l'autre côté du lac qu'elle avait formé entre lui et la demeure de son père, il vit passer deux chevaux, l'un entièrement nu, l'autre sellé et bridé, que des ouvriers conduisaient vers l'habitation.
«Nos bêtes, Monsieur, dit Sylvain Charasson; oui, Dieu me bénisse, nos deux bêtes qui se sont sauvées! Ma pauvre jument, je la croyais bien dans la Creuse à cette heure! Ah! M. Antoine sera-t-il content, quand je lui ramènerai sa Lanterne! Elle aura bien gagné son avoine, et peut-être que Janille ne lui refusera pas un picotin. Et votre noire, Monsieur, vous voilà pas fâché de la voir sur terre? Il paraît qu'elle sait nager itout?»
Émile s'avisa rapidement de ce qui allait arriver. M. Cardonnet ne connaissait pas son cheval, à la vérité, puisqu'il l'avait acheté en route; mais on ouvrirait la valise, on ne tarderait pas à reconnaître qu'elle lui appartenait, et la première pensée serait qu'il avait péri. Il se décida bien vite à se faire voir, et, après beaucoup d'efforts pour élever sa voix au-dessus de celle du torrent, qui n'était guère apaisée, il réussit à faire savoir aux personnes réfugiées sur le toit de l'usine qu'il était là, et qu'il était urgent d'en informer M. et madame Cardonnet. La nouvelle passa de bouche en bouche par les divers points de refuge aussi vite qu'il put le désirer, et bientôt il vit sa mère à la fenêtre, agitant son mouchoir, et son père monté en personne sur un radeau avec deux hommes vigoureux qui se hasardaient vers le courant avec résolution. Émile réussit à les en détourner, leur criant, non sans beaucoup de paroles perdues et maintes fois répétées, qu'il était en sûreté, qu'il fallait attendre encore pour venir à lui, et que le plus pressé était de délivrer les ouvriers prisonniers dans l'usine. Tout se fit comme il le souhaitait, et quand il n'y eut plus à trembler pour personne, il descendit de l'arbre, se mit à l'eau jusqu'à la ceinture, et s'avança à la rencontre du radeau, soulevant dans ses bras le petit Charasson et l'aidant à ne pas perdre pied. Trois heures après le passage de la trombe, Émile et son guide étaient auprès d'un bon feu, madame Cardonnet couvrait son fils de caresses et de larmes, et le page de Châteaubrun, choyé comme lui-même, racontait avec emphase le péril qu'ils avaient surmonté.
Émile adorait sa mère. C'était encore la plus ardente affection de sa vie. Il ne l'avait pas vue depuis l'époque des vacances, qu'ils avaient passées ensemble à Paris, loin de la contrainte assidue et sèchement réprimandeuse de leur commun maître, M. Cardonnet. Tous deux souffraient du joug qui pesait sur eux, et s'entendaient sur ce point sans jamais se l'être avoué. Douce, aimante et faible, madame Cardonnet sentait que son fils avait dans l'esprit une bonne partie de l'énergie et de la fermeté de son époux, avec un cœur généreux et sensible qui lui préparait de grands chagrins, lorsque ces deux caractères fortement trempés viendraient à se heurter sur les points où leurs sentiments différeraient. Aussi, avait-elle dévoré tous les chagrins de sa vie, attentive à n'en jamais rien révéler à ce fils, qui était son unique bonheur et sa plus chère consolation. Sans être bien pénétrée du droit que son mari avait de la froisser et de l'opprimer sans relâche, elle avait toujours paru accepter sa situation comme une loi de la nature et un précepte religieux. L'obéissance passive, prêchée ainsi d'exemple, était donc devenue une habitude d'instinct chez le jeune Émile, et s'il en eût été autrement, il y avait déjà longtemps que le raisonnement l'eût conduit à s'y soustraire. Mais en voyant tout plier au moindre signe de la volonté paternelle, et sa mère la première, il n'avait pas encore songé que cela pût et dût être autrement. Cependant le poids de l'atmosphère despotique où il avait vécu, l'avait, dès son enfance, porte à une sorte de mélancolie et de souffrance sans nom, dont il lui arrivait rarement de rechercher la cause. Il est dans la loi de nature que les enfants prennent le contre-pied des leçons qui les froissent; aussi Émile avait-il, de bonne heure, reçu des faits extérieurs une impulsion tout opposée à celle que son père eût voulu lui donner.
Les conséquences de cet antagonisme naturel et inévitable seront suffisamment développées par les faits de cette histoire, sans qu'il soit nécessaire de les expliquer ici.
Après avoir donné à sa mère le temps de se remettre un peu des émotions qu'elle avait éprouvées, Émile suivit son père, qui l'appelait pour venir constater les effets du désastre. M. Cardonnet montrait un calme au-dessus de tous les revers, et quelque contrariété qu'il pût éprouver, il n'en témoignait rien. Il passa en silence au milieu d'une haie de paysans qui étaient venus satisfaire leur curiosité et se donner le spectacle de son malheur, les uns avec indifférence, quelques autres avec un intérêt sincère, la plupart avec cette satisfaction non avouée mais irrésistible que le pauvre refoule prudemment, mais qu'il éprouve à coup sûr, lorsqu'il voit la colère des éléments frapper également sur le riche et sur lui. Tous ces villageois avaient perdu quelque chose à l'inondation, l'un une petite récolte de foin, l'autre un coin de potager, un troisième une brebis, quelques poules ou un tas de fagots; pertes bien minces en réalité, mais aussi graves peut-être relativement que celles du riche industriel. Cependant, lorsqu'ils virent le désordre de cette belle propriété naguère florissante, ils ne purent se défendre d'un mouvement de consternation, comme si la richesse avait quelque chose de respectable en soi-même, en dépit de la jalousie qu'elle excite.
M. Cardonnet n'attendit pas que l'eau fût complètement retirée pour faire reprendre le travail. Il envoya courir dans les prairies environnantes à la recherche des matériaux emportés par le courant. Il arma ses hommes de pelles et de pioches pour déblayer la vase et les foins entraînés qui obstruaient les abords de l'usine, et quand on put y pénétrer, il y entra le premier, afin de n'avoir point à s'émouvoir en pure perte des exagérations inspirées aux témoins par la première surprise.
VI.
JEAN LE CHARPENTIER
«Prenez un crayon, Émile, dit l'industriel à son fils, qui le suivait dans la crainte de quelque danger pour sa personne; ne faites pas d'erreur dans les chiffres que je vais СКАЧАТЬ