Название: La comtesse de Rudolstadt
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Telle était en somme la lettre du jeune Frédéric de Trenck à la princesse Amélie; et la facilité avec laquelle madame de Kleist lui en fit la lecture, prouva à la Porporina, surprise et attendrie, que cette correspondance par cahiers leur était très-familière. Il y avait un post-scriptum ainsi conçu: «La personne qui vous remettra cette lettre est aussi sûre que les autres l'étaient peu. Vous pouvez enfin vous confier à elle sans réserve et lui remettre toutes vos dépêches pour moi. Le comte de Saint-Germain lui fournira les moyens de me les faire parvenir; mais il est nécessaire que ledit comte, auquel je ne saurais me fier sous tous les rapports, n'entende jamais parler de vous, et me croie épris de la signora Porporina, quoiqu'il n'en soit rien, et que je n'aie jamais eu pour elle qu'une paisible et pure amitié. Qu'aucun nuage n'obscurcisse donc le beau front de la divinité que j'adore. C'est pour elle seule que je respire, et j'aimerais mieux mourir que de la tromper.»
Pendant que madame de Kleist déchiffrait ce post-scriptum à haute voix, et en pesant sur chaque mot, la princesse Amélie examinait attentivement les traits de la Porporina, pour essayer d'y surprendre une expression de douleur, d'humiliation ou de dépit. La sérénité angélique de cette digne créature la rassura entièrement, et elle recommença à l'accabler de caresses en s'écriant:
«Et moi qui te soupçonnais, pauvre enfant! Tu ne sais pas combien j'ai été jalouse de toi, combien je t'ai haïe et maudite! Je voulais te trouver laide et méchante actrice, justement parce que je craignais de te trouver trop belle et trop bonne. C'est que mon frère redoutant de me voir nouer des relations avec toi, tout en feignant de vouloir t'amener à mes concerts, avait eu soin de me faire entendre que tu avais été à Vienne la maîtresse, l'idole de Trenck. Il savait bien que c'était le moyen de m'éloigner à jamais de toi. Et je le croyais, tandis que tu te dévoues aux plus grands dangers, pour m'apporter cette bienheureuse nouvelle! Tu n'aimes donc pas le roi? Ah! tu fais bien, c'est le plus pervers et le plus cruel des hommes!
– Oh! madame, madame! dit madame de Kleist, effrayée de l'abandon et de la volubilité délirante avec lesquels la princesse parlait devant la Porporina, à quels dangers vous vous exposeriez vous-même en ce moment, si mademoiselle n'était pas un ange de courage et de dévouement!
– C'est vrai… je suis dans un état!.. Je crois bien que je n'ai pas ma tête. Ferme bien les portes, de Kleist, et regarde auparavant si personne dans les antichambres n'a pu m'écouter. Quant à elle, ajouta la princesse en montrant la Porporina, regarde-la, et dis-moi s'il est possible de douter d'une figure comme la sienne. Non, non! je ne suis pas si imprudente que j'en ai l'air; chère Porporina, ne croyez pas que je vous parle à cœur ouvert par distraction, ni que je vienne à m'en repentir quand je serai calme. J'ai un instinct infaillible, voyez-vous, mon enfant. J'ai un coup d'œil qui ne m'a jamais trompée. C'est dans la famille, cela, et mon frère le roi, qui s'en pique, ne me vaut pas sous ce rapport-là. Non, vous ne me tromperez pas, je le vois, je le sais!.. vous ne voudriez pas tromper une femme qui est dévorée d'un amour malheureux, et qui a souffert des maux dont personne n'aura jamais l'idée.
– Oh! madame, jamais! dit la Porporina en s'agenouillant près d'elle, comme pour prendre Dieu à témoin de son serment: ni vous, ni M. de Trenck, qui m'a sauvé la vie, ni personne au monde, d'ailleurs!
– Il t'a sauvé la vie? Ah! je suis sûr qu'il l'a sauvée à bien d'autres! il est si brave, si bon, si beau! Il est bien beau, n'est-ce pas? mais tu ne dois pas trop l'avoir regardé; autrement tu en serais devenue amoureuse, et tu ne l'es pas, n'est-il pas vrai? Tu me raconteras comment tu l'as connu, et comment il t'a sauvé la vie; mais pas maintenant. Je ne pourrais pas t'écouter. Il faut que je parle, mon cœur déborde. Il y a si longtemps qu'il se dessèche dans ma poitrine! Je veux parler, parler encore; laisse moi tranquille, de Kleist. Il faut que ma joie s'exhale, ou que j'éclate. Seulement ferme les portes, fais le guet, garde-moi, aie soin de moi. Ayez pitié de moi, mes pauvres amies, car je suis bien heureuse!»
Et la princesse fondit en larmes.
«Tu sauras, reprit-elle au bout de quelques instants et d'une voix entrecoupée par des larmes, mais avec une agitation que rien ne pouvait calmer, qu'il m'a plu dès le premier jour où je l'ai vu. Il avait dix-huit ans, il était beau comme un ange, et si instruit, si franc, si brave! On voulait me marier au roi de Suède. Ah bien oui! et ma sœur Ulrique qui pleurait de dépit de me voir devenir reine et de rester fille! «Ma bonne sœur, lui dis-je, il y a moyen de nous arranger. Les grands qui gouvernent la Suède veulent une reine catholique; moi je ne veux pas abjurer. Ils veulent une bonne petite reine, bien indolente, bien tranquille, bien étrangère à toute action politique; moi, si j'étais reine, je voudrais régner. Je vais me prononcer nettement sur ces points-là devant les ambassadeurs, et tu verras que demain ils écriront à leur prince que c'est toi qui conviens à la Suède et non pas moi.» Je l'ai fait comme je l'ai dit, et ma sœur est reine de Suède. Et j'ai joué la comédie, depuis ce jour-là, tous les jours de ma vie. Ah! Porporina, vous croyez que vous êtes actrice? Non, vous ne savez pas ce que c'est que de jouer un rôle toute sa vie, le matin, le jour, le soir, et souvent la nuit. Car tout ce qui respire autour de nous n'est occupé qu'à nous épier, à nous deviner et à nous trahir. J'ai été forcée de faire semblant d'avoir bien du regret et du dépit, quand, par mes soins, ma sœur m'a escamoté le trône de Suède. J'ai été forcée de faire semblant de détester Trenck, de le trouver ridicule, de me moquer de lui, que sais-je! Et cela dans le temps où je l'adorais, où j'étais sa maîtresse, où j'étouffais d'ivresse et de bonheur comme aujourd'hui… ah! plus qu'aujourd'hui, hélas! Mais Trenck n'avait pas ma force et ma prudence. Il n'était pas né prince, il ne savait pas feindre et mentir comme moi. Le roi a tout découvert, et, suivant la coutume des rois, il a menti, il a feint de ne rien voir; mais il a persécuté Trenck, et ce beau page, son favori, est devenu l'objet de sa haine et de sa fureur. Il l'a accablé d'humiliations et de duretés. Il le mettait aux arrêts sept jours sur huit. Mais le huitième, Trenck était dans mes bras; car rien ne l'effraie, rien ne le rebute. Comment ne pas adorer tant de courage? Eh bien, le roi a imaginé de lui confier une mission à l'étranger. Et quand il l'a eu remplie avec autant d'habileté que de promptitude, mon frère a eu l'infamie de l'accuser d'avoir livré à son cousin Trenck le Pandoure, qui est au service de Marie-Thérèse, les plans de nos forteresses et les secrets de la guerre. C'était le moyen, non-seulement de l'éloigner de moi par une captivité éternelle, mais de le déshonorer, et de le faire périr de chagrin, de désespoir et de rage dans les horreurs du cachot. Vois si je puis estimer et bénir mon frère. Mon frère est un grand homme, à ce qu'on dit. Moi, je vous dis que c'est un monstre! Ah! garde-toi de l'aimer, jeune fille; car il te brisera comme une branche! Mais il faut faire semblant, vois-tu! toujours semblant! dans l'air où nous vivons, il faut respirer en cachette. Moi, je fais semblant d'adorer mon frère. Je suis sa sœur bien-aimée, tout le monde le sait, ou croit le savoir… Il est aux petits soins pour moi. Il cueille lui-même des cerises sur les espaliers de Sans-Souci, et il s'en prive, lui qui n'aime que cela sur la terre, pour me les envoyer; et avant de les remettre au page qui m'apporte la corbeille, il les compte pour que le page n'en mange pas en route. Quelle attention délicate! quelle naïveté digne de Henri IV et du roi René! Mais il fait périr mon amant dans un cachot sous terre, et il essaie de le déshonorer à mes yeux pour me punir de l'avoir aimé! Quel grand cœur et quel bon frère! aussi comme nous nous aimons!..»
Tout en parlant, la princesse pâlit, sa voix s'affaiblit peu à peu et s'éteignit; ses yeux devinrent fixes et comme sortis de leurs orbites; elle resta immobile, muette et livide. Elle avait perdu connaissance. La Porporina, effrayée, aida madame de Kleist à la délacer et à la porter dans son lit, où elle reprit un peu de sentiment, et continua à murmurer des paroles inintelligibles.
«L'accès va se passer, grâce au ciel, dit madame de Kleist à la cantatrice. Quand elle aura repris l'empire de la volonté, j'appellerai ses femmes. Quant à vous, ma chère enfant, il faut absolument que vous passiez СКАЧАТЬ