Название: Spiridion
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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«On te verra avec plaisir accepter cet emploi, me dit-il; parce que la chose qu'on craint le plus ici, c'est la ferveur et l'ascétisme. Tout ce qui peut détourner l'intelligence de son véritable but et l'appliquer aux choses matérielles est encouragé par le Prieur. Il m'a proposé cent fois de m'adjoindre un disciple, et, craignant de trouver un espion et un traître dans les sujets qu'on me présentait, j'ai toujours refusé sous divers prétextes. On a voulu une fois me contraindre en ce point; j'ai déclaré que je ne m'occuperais plus de science et que j'abandonnerais l'observatoire si on ne me laissait vivre seul et à ma guise. On a cédé, parce que, d'une part, il n'y avait personne pour me remplacer, et que les moines mettent une vanité immense à paraître savants et à promener les voyageurs dans leurs cabinets et bibliothèques; parce que, de l'autre, on sait que je ne manque pas d'énergie, et qu'on a mieux aimé se débarrasser de cette énergie au profit des spéculations scientifiques, qui ne font point de jaloux ici, que d'engager une lutte dans laquelle mon âme n'eût jamais plié. Va donc; dis que tu as obtenu de moi l'autorisation de faire ta demande. Si on hésite, marque de l'humeur, prends un air sombre; pendant quelques jours reste sans cesse prosterné dans l'église, jeûne, soupire, montre-toi farouche, exalté dans la dévotion, et, de peur que tu ne deviennes un saint, on cherchera à faire de toi un savant.»
Je trouvai le Prieur encore mieux disposé à accueillir ma demande que le père Alexis ne me l'avait fait espérer. Il y eut même dans le regard pénétrant qu'il attacha sur moi, en recevant mes remerciements, quelque chose d'âcre et de satirique, équivalent à l'action d'un homme qui se frotte les mains. Il avait dans l'âme une pensée que ni le père Alexis ni moi n'avions pressentie.
Je fus aussitôt dispensé d'une grande partie de mes exercices religieux, afin de pouvoir consacrer ce temps à l'étude, et on plaça même mon lit dans une petite cellule voisine de celle d'Alexis, afin que je pusse me livrer avec lui, la nuit, à la contemplation des astres.
Au moment où je franchissait la port…
C'est à partir de ce moment que je contractai avec le père Alexis une étroite amitié. Chaque jour elle s'accrut par la découverte des inépuisables trésors de son âme. Il n'a jamais existé sur la terre un cœur plus tendre, une sollicitude plus paternelle, une patience plus angélique. Il mit à m'instruire un zèle et une persévérance au-dessus de toute gratitude. Aussi avec quelle anxiété je voyais sa santé se détériorer du plus ou plus! Avec quel amour je le soignais jour et nuit, cherchant à lire ses moindres désirs dans ses regards éteints! Ma présence semblait avoir rendu la vie à son cœur longtemps vide d'affection humaine, et, selon son expression, affamé de tendresse; l'émulation à son intelligence fatiguée de solitude et lasse de se tourmenter sans cesse en face d'elle-même. Mais en même temps que son esprit reprenait de la vigueur et de l'activité, son corps s'affaiblissait de jour en jour. Il ne dormait presque plus, son estomac ne digérant plus que des liquides, et ses membres étaient tour à tour frappés de paralysie durant des jours entiers. Il sentait arriver sa fin avec sérénité, sans terreur et sans impatience. Quant à moi, je le voyais dépérir avec désespoir, car il m'avait ouvert un monde inconnu; mon cœur avide d'amour nageait à l'aise dans cette vie de sentiment, de confiance et d'effusion qu'il venait de me révéler.
Toutes les pensées qui m'étaient venues d'abord sur le dérangement possible de son cerveau s'étaient évanouies. Il me sembla désormais que son exaltation mystérieuse était l'élan du génie; son langage obscur me devenait de plus en plus intelligible, et quand je ne le comprenais pas bien, j'en attribuais la faute à mon ignorance, et je vivais dans l'espoir d'arriver à le pénétrer parfaitement.
Cependant cette félicité n'était pas sans nuages. Il y avait comme un ver rongeur au fond de ma conscience timorée. Le père Alexis ne me semblait pas croire en Dieu selon les lois de l'Église chrétienne. Il y a plus, il me semblait parfois qu'il ne servait pas le même Dieu que moi. Nous n'étions jamais en dissidence ouverte sur aucun point, parce qu'il évitait soigneusement tout rapport entre les sujets de nos études scientifiques et les enseignement du dogme. Mais il semblait que nous nous fissions mutuellement cette concession, lui, de ne pas l'attaquer, moi, de ne pas le défendre. Quand par hasard je lui soumettais un cas de conscience ou une difficulté théologique, il refusait de s'expliquer en disant:
«Ceci n'est pas de mon ressort; vous avez des docteurs versés dans ces matières, allez les consulter; moi, en fait de culte, je ne m'embarrasse pas dans le labyrinthe de la scolastique, je sers mon maître comme je l'entends, et ne demande point à un directeur ce que je dois admettre ou rejeter: ma conscience est en paix avec elle-même, et je suis trop vieux pour aller me remettre sur les bancs.»
Son thème favori était de parler sur la chair et sur l'esprit; mais, quoiqu'il ne se déclarât jamais en dissidence avec la foi, il traitait ces matières bien plus en philosophe métaphysicien qu'en serviteur zélé de l'Église catholique et romaine.
J'avais encore remarqué une chose qui me donnait bien à penser. Il avait souvent l'air préoccupé de mon instruction scientifique, et alors il me faisait entreprendre des expériences chimiques dont j'apercevais moi-même, grâce aux enseignements qu'il m'avait déjà donnés, l'insignifiance et la grossièreté; puis bientôt il m'interrompait au milieu de mes manipulations pour me faire chercher dans des livres inconnus des éclaircissements qu'il disait précieux. Je lisais à voix haute, en commençant à la page qu'il m'indiquait, pendant des heures entières. Lui, pendant ce temps, se promenait de long en large, levant les yeux au ciel avec enthousiasme, passant lentement la main sur son front dépouillé, et s'écriant de temps en temps: «Bon! bon!» Pour moi, j'avais bientôt reconnu que ce n'étaient pas là des articles de science sèche et précise, mais bien des pages pleines d'une philosophie audacieuse et d'une morale inconnue. Je continuais quelque temps par respect pour lui, espérant toujours qu'il m'arrêterait; mais voyant qui'il me laissait aller, je me mettais à craindre pour ma foi, et, posant le livre tout d'un coup, je lui disais:
«Mais, mon père, ne sont-ce pas des hérésies que nous lisons là, et croyez-vous qu'il n'y ait rien dans ces pages, trop belles peut-être, qui soit contraire à notre sainte religion?»
En entendant ces paroles, il s'arrêtait brusquement dans sa marche d'un air découragé, me prenait le livre des mains, et le jetait sur une table en me disant:
«Je ne sais pas! je ne sais pas, mon enfant; je suis une créature malade et bornée; je ne puis juger ces choses; je les lis, mais sans dire qu'elles sont bonnes ni mauvaises. Je ne sais pas! je ne sais pas! Travaillons!»
Et nous nous remettions tous deux en silence à l'ouvrage, sans oser, moi approfondir mes pensées, lui me communiquer les siennes.
Ce qui me fâchait le plus, c'était de l'entendre citer et invoquer sans cesse les révélations d'un Esprit tout-puissant qu'il ne désignait jamais clairement. Il donnait à ce nom d'Esprit l'extension la plus vague. Tantôt il semblait s'en servir pour qualifier Dieu créateur et inspirateur de toutes choses, et tantôt il réduisait les proportions de cette essence universelle jusqu'à personnifier une sorte de génie familier avec lequel il aurait eu, comme Socrate, des communications-cabalistiques. Dans ces instants-là, j'étais saisi d'une telle frayeur que je n'osais dormir; je me recommandais à mon ange gardien, et je murmurais des formules d'exorcisme chaque fois que mes yeux appesantis voyaient passer les visions des rêves. Mon esprit devenait alors si faible que j'étais tenté d'aller encore me confesser au père Hégésippe; si je ne le faisais pas c'est que ma tendresse pour Alexis restant inaltérable, je craignais de le perdre par mes aveux, quelque réserve et quelque prudence que je pusse y mettre. Cependant les deux choses qui m'avaient le plus inquiété n'avaient plus lieu. Lorsque mon maître s'endormait, un livre à la main, la tête penchée dans l'attitude d'un homme qui lit, à son réveil il ne se persuadait plus avoir lu, et il ne me rapportait plus les sentences imaginaires qu'il prétendait avoir trouvées dans ce livre. En outre, je СКАЧАТЬ