Название: Le vicomte de Bragelonne, Tome I.
Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Oh! des chiffres! dit Bernouin. Bon! si Votre Éminence se jette dans ses calculs, je lui promets pour demain la plus belle migraine! et avec cela que M. Guénaud n'est pas ici.
– Tu as raison, Bernouin. Eh bien! tu vas remplacer Brienne, mon ami. En vérité, j'aurais dû emmener avec moi M. de Colbert. Ce jeune homme va bien, Bernouin, très bien. Un garçon d'ordre!
– Je ne sais pas, dit le valet de chambre, mais je n'aime pas sa figure, moi, à votre jeune homme qui va bien.
– C'est bon, c'est bon, Bernouin! On n'a pas besoin de votre avis. Mettez-vous là, prenez la plume, et écrivez.
– M'y voici; monseigneur. Que faut-il que j'écrive?
– Là, c'est bien, à la suite de deux lignes déjà tracées.
– M'y voici.
– Écris. Sept cent soixante mille livres.
– C'est écrit.
– Sur Lyon…
Le cardinal paraissait hésiter.
– Sur Lyon, répéta Bernouin.
– Trois millions neuf cent mille livres.
– Bien, monseigneur.
– Sur Bordeaux, sept millions.
– Sept, répéta Bernouin.
– Eh! oui, dit le cardinal avec humeur, sept.
Puis, se reprenant:
– Eh! monseigneur, que ce soit à dépenser ou à encaisser, peu m'importe, puisque tous ces millions ne sont pas à moi.
– Ces millions sont au roi; c'est l'argent du roi que je compte.
Voyons, nous disions?.. Tu m'interromps toujours!
– Sept millions, sur Bordeaux.
– Ah! oui, c'est vrai. Sur Madrid, quatre. Je t'explique bien à qui est cet argent, Bernouin, attendu que tout le monde a la sottise de me croire riche à millions. Moi, je repousse la sottise. Un ministre n'a rien à soi, d'ailleurs. Voyons, continue. Rentrées générales, sept millions. Propriétés, neuf millions. As- tu écrit, Bernouin?
– Oui, monseigneur.
– Bourse, six cent mille livres; valeurs diverses, deux millions.
Ah! j'oubliais: mobilier des différents châteaux…
– Faut-il mettre de la couronne? demanda Bernouin.
– Non, non, inutile; c'est sous-entendu. As-tu écrit, Bernouin?
– Oui, monseigneur.
– Et les chiffres?
– Sont alignés au-dessous les uns des autres.
– Additionne, Bernouin.
– Trente-neuf millions deux cent soixante mille livres, monseigneur.
– Ah! fit le cardinal avec une expression de dépit, il n'y a pas encore quarante millions!
Bernouin recommença l'addition.
– Non, monseigneur, il s'en manque sept cent quarante mille livres.
Mazarin demanda le compte et le revit attentivement.
– C'est égale dit Bernouin, trente-neuf millions deux cent soixante mille livres, cela fait un joli denier.
– Ah! Bernouin, voilà ce que je voudrais voir au roi.
– Son Éminence me disait que cet argent était celui de Sa
Majesté.
– Sans doute, mais bien clair, bien liquide. Ces trente-neuf millions sont engagés, et bien au-delà.
Bernouin sourit à sa façon, c'est-à-dire en homme qui ne croit que ce qu'il veut croire, tout en préparant la boisson de nuit du cardinal et en lui redressant l'oreiller.
– Oh! dit Mazarin lorsque le valet de chambre fut sorti, pas encore quarante millions! Il faut pourtant que j'arrive à ce chiffre de quarante-cinq millions que je me suis fixé.
«Mais qui sait si j'aurai le temps! Je baisse, je m'en vais, je n'arriverai pas. Pourtant, qui sait si je ne trouverai pas deux ou trois millions dans les poches de nos bons amis les Espagnols? Ils ont découvert le Pérou, ces gens-là, et, que diable! il doit leur en rester quelque chose.
Comme il parlait ainsi, tout occupé de ses chiffres et ne pensant plus à sa goutte, repoussée par une préoccupation qui, chez le cardinal, était la plus puissante de toutes les préoccupations, Bernouin se précipita dans sa chambre tout effaré.
– Eh bien! demanda le cardinal, qu'y a-t-il donc?
– Le roi! Monseigneur, le roi!
– Comment, le roi! fit Mazarin en cachant rapidement son papier. Le roi ici! le roi à cette heure! Je le croyais couché depuis longtemps. Qu'y a-t-il donc?
Louis XIV put entendre ces derniers mots et voir le geste effaré du cardinal se redressant sur son lit, car il entrait en ce moment dans la chambre.
– Il n'y a rien, monsieur le cardinal, ou du moins rien qui puisse vous alarmer; c'est une communication importante que j'avais besoin de faire ce soir-même à Votre Éminence, voilà tout.
Mazarin pensa aussitôt à cette attention si marquée que le roi avait donnée à ses paroles touchant Mlle de Mancini, et la communication lui parut devoir venir de cette source. Il se rasséréna donc à l'instant même et prit son air le plus charmant, changement de physionomie dont le jeune roi sentit une joie extrême, et quand Louis se fut assis:
– Sire, dit le cardinal, je devrais certainement écouter Votre
Majesté debout, mais la violence de mon mal…
– Pas d'étiquette entre nous, cher monsieur le cardinal, dit Louis affectueusement; je suis votre élève et non le roi, vous le savez bien, et ce soir surtout, puisque je viens à vous comme un requérant, comme un solliciteur, et même comme un solliciteur très humble et très désireux d'être bien accueilli.
Mazarin, voyant la rougeur du roi, fut confirmé dans sa première idée, c'est-à-dire qu'il y avait une pensée d'amour sous toutes ces belles paroles. Cette fois, le rusé politique, tout fin qu'il était, se trompait: cette rougeur n'était point causée par les pudibonds élans d'une passion juvénile, mais seulement par la douloureuse contraction de l'orgueil royal.
En bon oncle, Mazarin se disposa à faciliter la confidence.
– Parlez, dit-il, Sire, et puisque Votre Majesté veut bien un instant oublier que je suis son sujet pour m'appeler son maître et son instituteur, je proteste à Votre Majesté de tous mes sentiments dévoués et tendres.
– Merci, СКАЧАТЬ