Название: David Copperfield – Tome II
Автор: Чарльз Диккенс
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Non, Micawber! répliqua-t-elle. Votre tort, dans la vie, est toujours de ne pas regarder assez loin devant vous. Vous êtes obligé, ne fût-ce que par sentiment de justice envers votre famille, si ce n'est envers vous-même, d'embrasser d'un regard les points les plus éloignés de l'horizon auxquels peuvent vous porter vos facultés.»
M. Micawber toussa et but son punch de l'air le plus satisfait en regardant toujours Traddles, comme s'il attendait son opinion.
«Voyez-vous, la vraie situation, mistress Micawber, dit Traddles en lui dévoilant doucement la vérité, je veux dire le fait dans toute sa nudité la plus prosaïque…
– Précisément, mon cher monsieur Traddles, dit mistress Micawber, je désire être aussi prosaïque et aussi littéraire que possible dans une affaire de cette importance.
– C'est que, dit Traddles, cette branche de la carrière, quand même M. Micawber serait avoué dans toutes les règles…
– Précisément, repartit mistress Micawber… Wilkins, vous louchez, et après cela vous ne pourrez plus regarder droit.
– Cette partie de la carrière n'a rien à faire avec la magistrature. Les avocats seuls peuvent prétendre à ces postes importants, et M. Micawber ne peut pas être avocat sans avoir fait cinq ans d'études dans l'une des écoles de droit.
– Vous ai-je bien compris? dit mistress Micawber de son air le plus capable et le plus affable. Vous dites, mon cher monsieur Traddles, qu'à l'expiration de ce terme, M. Micawber pourrait alors occuper la situation de juge ou de chancelier?
– À la rigueur, il le pourrait, repartit Traddles en appuyant sur le dernier mot.
– Merci, dit mistress Micawber, c'est tout ce que je voulais savoir. Si telle est la situation, et si M. Micawber ne renonce à aucun privilège en se chargeant de semblables devoirs, mes inquiétudes cessent. Vous me direz que je parle là comme une femme, dit mistress Micawber, mais j'ai toujours cru que M. Micawber possédait ce que papa appelait l'esprit judiciaire, et j'espère qu'il entre maintenant dans une carrière où ses facultés pourront se développer et l'élever à un poste important.»
Je ne doute pas que M. Micawber ne se vit déjà, avec les yeux de son esprit judiciaire, assis sur le sac de laine. Il passa la main d'un air de complaisance sur sa tête chauve, et dit avec une résignation orgueilleuse:
«N'anticipons pas sur les décrets de la fortune, ma chère. Si je suis destiné à porter perruque, je suis prêt, extérieurement du moins, ajouta-t-il en faisant allusion à sa calvitie, à recevoir cette distinction. Je ne regrette pas mes cheveux, et qui sait si je ne les ai pas perdus dans un but déterminé. Mon intention, mon cher Copperfield, est d'élever mon fils pour l'Église; j'avoue que c'est surtout pour lui que je serais bien aise d'arriver aux grandeurs.
– Pour l'Église? demandai-je machinalement, car je ne pensais toujours qu'à Uriah Heep.
– Oui, dit M. Micawber. Il a une belle voix de tête, et il commencera dans les choeurs. Notre résidence à Canterbury et les relations que nous y possédons déjà, nous permettront sans doute de profiter des vacances qui pourront se présenter parmi les chanteurs de la cathédrale.»
En regardant de nouveau maître Micawber, je trouvai qu'il avait une certaine expression de figure qui semblait plutôt indiquer que sa voix partait de derrière ses sourcils, ce qui me fut bientôt démontré quand je lui entendis chanter (on lui avait donné le choix, de chanter ou d'aller se coucher) le Pivert au bec perçant. Après de nombreux compliments sur l'exécution de ce morceau, on retomba dans la conversation générale, et comme j'étais trop préoccupé de mes intentions désespérées pour taire le changement survenu dans ma situation, je racontai le tout à M. et mistress Micawber. Je ne puis dire combien ils furent enchantés tous les deux d'apprendre les embarras de ma tante, et comme cela redoubla leur cordialité et l'aisance de leurs manières.
Quand nous fûmes presque arrivés au fond du pot à l'eau, je m'adressai à Traddles et je lui rappelai que nous ne pouvions nous séparer sans souhaiter à nos amis une bonne santé et beaucoup de bonheur et de succès dans leur nouvelle carrière. Je priai M. Micawber de remplir les verres, et je portai leur santé avec toutes les formes requises: je serrai la main de M. Micawber à travers la table, et j'embrassai mistress Micawber en commémoration de cette grande occasion. Traddles m'imita pour le premier point, mais ne se crut pas assez intime dans la maison pour me suivre plus loin.
«Mon cher Copperfield, me dit M. Micawber en se levant, les pouces dans les poches de son gilet, compagnon de ma jeunesse, si cette expression m'est permise, et vous, mon estimable ami Traddles, si je puis vous appeler ainsi, permettez-moi, au nom de mistress Micawber, au mien et au nom de notre progéniture, de vous remercier de vos bons souhaits dans les termes les plus chaleureux et les plus spontanés. On peut s'attendre à ce qu'à la veille d'une émigration qui ouvre devant nous une existence toute nouvelle (M. Micawber parlait toujours comme s'il allait s'établir à deux cents lieues de Londres), je tienne à adresser quelques mots d'adieu à deux amis comme ceux que je vois devant moi. Mais j'ai dit là-dessus tout ce que j'avais à dire. Quelque situation dans la société que je puisse atteindre en suivant la profession savante dont je vais devenir un membre indigne, j'essayerai de ne point démériter et de faire honneur à mistress Micawber. Sous le poids d'embarras pécuniaires temporaires, qui venaient d'engagements contractés dans l'intention d'y répondre immédiatement, mais dont je n'ai pu me libérer par suite de circonstances diverses, je me suis vu dans la nécessité de revêtir un costume qui répugne à mes instincts naturels, je veux dire des lunettes, et de prendre possession d'un surnom sur lequel je ne pouvais établir aucune prétention légitime. Tout ce que j'ai à dire sur ce point, c'est que le nuage a disparu du sombre horizon, et que le Dieu du jour règne de nouveau sur le sommet des montagnes. Lundi, à quatre heures, à l'arrivée de la diligence à Canterbury, mon pied foulera ses bruyères natales, et mon nom sera… Micawber!»
M. Micawber reprit son siège après ces observations et but de suite deux verres de punch de l'air le plus grave; puis il ajouta d'un ton solennel:
«Il me reste encore quelque chose à faire avant de nous séparer, il me reste un acte de justice à accomplir. Mon ami, M. Thomas Traddles, a, dans deux occasions différentes, apposé sa signature, si je puis employer cette expression vulgaire, à des billets négociés pour mon usage. Dans la première occasion, M. Thomas Traddles a été… je dois dire qu'il a été pris au trébuchet. L'échéance du second billet n'est pas encore arrivée. Le premier effet montait (ici M. Micawber examina soigneusement des papiers), montait, je crois, à vingt-trois livres sterling, quatre shillings, neuf pence et demi; le second, d'après mes notes sur cet article, était de dix-huit livres, six shillings, deux pence. Ces deux sommes font ensemble un total de quarante une livres, dix shillings, onze pence et demi, si mes calculs sont exacts. Mon ami Copperfield veut-il me faire le plaisir de vérifier l'addition?»
Je le fis et je trouvai le compte exact.
«Ce serait un fardeau insupportable pour moi, dit M. Micawber, que de quitter cette métropole et mon ami M. Thomas Traddles, sans m'acquitter de la partie pécuniaire de mes obligations envers lui. J'ai donc préparé, et je tiens, en ce moment, à la main un document qui répondra à mes désirs sur ce point. Je demande à mon ami M. Thomas Traddles la permission de lui remettre mon billet pour la somme de quarante une livres, dix shillings onze pence et demi, et, cela fait, je rentre avec bonheur en possession de toute ma dignité morale, car je sens que je puis marcher la tête levée devant les hommes mes semblables!»
Après avoir débité cette préface avec une vive émotion, M. Micawber remit son billet entre les mains de Traddles, et l'assura de ses bons souhaits pour toutes СКАЧАТЬ