Lourdes. Emile Zola
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Название: Lourdes

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qu'il connaissait, l'emplissait de dégoût. Sans doute, ce n'était là qu'un reste de sa longue éducation religieuse: il gardait l'idée de l'indébilité de la prêtrise, cette idée que, lorsqu'on s'était donné à Dieu, on ne pouvait se reprendre. Peut-être aussi se sentait-il trop marqué, trop différent déjà des autres, pour ne pas craindre d'être gauche et mal venu au milieu d'eux. Du moment qu'on l'avait châtré, il voulait rester à part, dans sa fierté douloureuse. Et, après des journées d'angoisse, après des luttes sans cesse renaissantes, où se débattaient son besoin de bonheur et les énergies de sa santé revenue, il prit l'héroïque résolution de rester prêtre, et prêtre honnête. Il aurait la force de cette abnégation. Puisque, s'il n'avait pu mater le cerveau, il avait maté la chair, il se jurait de tenir son serment de chasteté; et c'était là l'inébranlable, la vie pure et droite qu'il avait l'absolue certitude de vivre. Qu'importait le reste, s'il était seul à souffrir, si personne au monde ne soupçonnait les cendres de son cœur, le néant de sa foi, l'affreux mensonge où il agoniserait! Son ferme soutien serait son honnêteté, il ferait son métier de prêtre en honnête homme, sans rompre aucun des vœux qu'il avait prononcés, en continuant selon les rites son emploi de ministre de Dieu, qu'il prêcherait, qu'il célébrerait à l'autel, qu'il distribuerait en pain de vie. Qui donc oserait lui faire un crime d'avoir perdu la foi, si même ce grand malheur un jour était connu? Et que pouvait-on lui demander davantage, son existence entière donnée à son serment, le respect de son ministère, l'exercice de toutes les charités, sans l'espoir d'une récompense future? Ce fut ainsi qu'il se calma, debout encore et la tête haute, dans cette grandeur désolée du prêtre qui ne croit plus et qui continue à veiller sur la foi des autres. Et il n'était certainement pas le seul, il se sentait des frères, des prêtres ravagés, tombés au doute, qui restaient à l'autel, comme des soldats sans patrie, ayant quand même le courage de faire luire la divine illusion, au-dessus des foules agenouillées.

      Dès sa guérison complète, Pierre avait repris son service à la petite église de Neuilly. Il y disait sa messe chaque matin. Mais il était décidé à refuser toute situation, tout avancement. Des mois, des années s'écoulèrent: il s'entêtait à n'y être qu'un prêtre habitué, le plus inconnu, le plus humble de ces prêtres qu'on tolère dans une paroisse, qui paraissent et disparaissent, après s'être acquittés de leur devoir. Toute dignité acceptée lui aurait semblé une aggravation de son mensonge, un vol fait à de plus méritants. Et il devait se défendre contre des offres fréquentes, car son mérite ne pouvait passer inaperçu: on s'était étonné, à l'archevêché, de cette obstinée modestie, on aurait voulu utiliser la force qu'on devinait en lui. Parfois seulement, il avait l'amer regret de n'être pas utile, de ne pas s'employer à quelque grande œuvre, à la pacification de la terre, au salut et au bonheur des peuples, comme l'enflammé besoin l'en tourmentait. Heureusement, ses journées étaient libres, et il se consolait dans une rage de travail, tous les volumes de la bibliothèque de son père dévorés, puis toutes ses études reprises et discutées, une préoccupation ardente de l'histoire des nations, un désir d'aller au fond du mal social et religieux, pour tâcher de voir s'il était vraiment sans remèdes.

      C'était un matin, en fouillant dans un des grands tiroirs, en bas de la bibliothèque, que Pierre avait découvert un dossier sur les apparitions de Lourdes. Il y avait là des documents très complets, des copies donnant les interrogatoires de Bernadette, les procès-verbaux administratifs, les rapports de police, la consultation des médecins, sans compter des lettres particulières et confidentielles du plus vif intérêt. Il était resté surpris de sa trouvaille, il avait questionné le docteur Chassaigne, qui s'était souvenu que son ami, Michel Froment, avait en effet étudié un instant avec passion le cas de Bernadette; et lui-même, né dans un village voisin de Lourdes, avait dû s'entremettre pour procurer au chimiste une partie de ce dossier. Pierre, à son tour, s'était alors passionné, pendant un mois, infiniment séduit par la figure droite et pure de la voyante, mais révolté de tout ce qui avait poussé ensuite, le fétichisme barbare, les superstitions douloureuses, la simonie triomphante. Dans sa crise d'incrédulité, certes, cette histoire ne paraissait faite que pour hâter la ruine de sa foi. Mais elle en était venue aussi à irriter sa curiosité, il aurait voulu faire une enquête, établir la vérité scientifique indiscutable, rendre au christianisme pur le service de le débarrasser de cette scorie, de ce conte de fée si touchant et si enfantin. Puis, il avait abandonné son étude, reculant devant la nécessité d'un voyage à la Grotte, éprouvant les difficultés les plus grandes à obtenir les renseignements qui lui manquaient; et il n'était demeuré en lui que sa tendresse pour Bernadette, à laquelle il ne pouvait songer sans un charme délicieux et une infinie pitié.

      Les jours s'écoulaient, et Pierre vivait de plus en plus seul. Le docteur Chassaigne venait de partir pour les Pyrénées, dans un coup de mortelle inquiétude: il abandonnait sa clientèle, il emmenait à Cauterets sa femme malade, que lui et sa fille, une grande fille adorable, regardaient avec angoisse s'éteindre un peu chaque jour. Dès lors, la petite maison de Neuilly était tombée à un silence, à un vide de mort. Pierre n'avait plus eu d'autre distraction que d'aller voir de temps à autre les Guersaint, déménagés de la maison voisine, retrouvés par lui au fond d'une rue misérable du quartier, dans un étroit logement. Et le souvenir de sa première visite était si vivant encore, qu'il en eut un élancement au cœur, en se rappelant son émotion devant la triste Marie.

      Il s'éveilla, regarda, et il aperçut Marie allongée sur la banquette, telle qu'il l'avait retrouvée alors, déjà dans sa gouttière, clouée dans ce cercueil, auquel on adaptait des roues, pour la promener. Elle, si débordante de vie autrefois, toujours à remuer et à rire, se mourait là d'inaction et d'immobilité. Elle n'avait gardé que ses cheveux qui la vêtaient d'un manteau d'or, elle était si amaigrie, qu'elle en semblait diminuée, retournée à la taille d'une enfant. Et ce qu'il y avait de navrant, dans ce visage pâle, c'étaient les regards vides et fixes, la continuelle hantise, une expression d'absence, d'anéantissement au fond de son mal. Pourtant, elle remarqua qu'il la regardait, elle voulut lui sourire; mais des plaintes lui échappaient, et quel sourire de pauvre créature frappée, convaincue qu'elle va expirer avant le miracle! Il en fut bouleversé, il n'entendait plus qu'elle, il ne voyait plus qu'elle, au milieu des autres douleurs dont le wagon était plein, comme si elle les eût résumées toutes, dans la longue agonie de sa beauté, de sa gaieté et de sa jeunesse.

      Et, peu à peu, sans quitter Marie des yeux, Pierre retourna aux jours passés, il goûta les heures d'amer et triste charme qu'il avait vécues près d'elle, lorsqu'il montait lui tenir compagnie, dans le petit logement pauvre. M. de Guersaint venait d'achever sa ruine, en rêvant de rénover l'imagerie religieuse, dont la médiocrité l'irritait. Ses derniers sous s'étaient engloutis dans la faillite d'une maison d'impression en couleurs; et distrait, imprévoyant, s'en remettant au bon Dieu, avec la continuelle illusion de son âme puérile, il ne s'apercevait pas de la gêne atroce qui grandissait, il en était à chercher la direction des ballons, sans même voir que sa fille aînée, Blanche, devait faire des prodiges d'activité pour arriver à gagner le pain de son petit monde, de ses deux enfants, comme elle nommait son père et sa sœur. C'était Blanche qui, en donnant des leçons de français et de piano, en courant Paris du matin au soir, dans la poussière et dans la boue, trouvait encore l'argent nécessaire aux continuels soins que Marie réclamait. Et celle-ci se désespérait souvent, éclatant en larmes, s'accusant d'être la cause première de la ruine, depuis tant d'années qu'on payait des médecins, qu'on la promenait à toutes les eaux imaginables, la Bourboule, Aix, Lamalou, Amélie-les-Bains. Maintenant, les médecins l'avaient abandonnée, après dix années de diagnostics et de traitements contradictoires: les uns croyaient à la rupture des ligaments larges, les autres à la présence d'une tumeur, d'autres à une paralysie venant de la moelle; et, comme elle refusait tout examen, dans une révolte de vierge, qu'ils n'osaient même pas nettement questionner, ils s'en tenaient chacun à son explication, déclarant qu'elle ne pouvait guérir. D'ailleurs, elle ne comptait que sur l'aide de Dieu, devenue d'une dévotion étroite depuis qu'elle souffrait. Son grand chagrin était de ne plus aller à l'église, et elle lisait la messe tous les matins. Ses jambes inertes semblaient mortes, elle tombait à une faiblesse telle, que, certains jours, sa sœur devait la faire manger.

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