Название: Lourdes
Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Et il disait cela, non pas en croyant qui aspire à la récompense de l'autre vie, mais en homme las qui compte tomber au néant, à la grande paix éternelle de n'être plus.
Pendant que M. Sabathier haussait les épaules, comme s'il avait eu affaire à un enfant, l'abbé Judaine, qui venait enfin de retrouver sa bannière, s'arrêta au passage pour gronder doucement le Commandeur, qu'il connaissait, lui aussi.
– Ne blasphémez pas, cher monsieur, c'est offenser le ciel, que de refuser la vie et que de ne pas aimer la santé. Vous-même, si vous m'aviez cru, vous auriez déjà demandé à la sainte Vierge la guérison de votre jambe.
Alors, le Commandeur s'emporta.
– Ma jambe! elle n'y peut rien, je suis tranquille! Et que la mort vienne donc, et que ce soit fini, à jamais!.. Quand il faut mourir, on se tourne contre le mur, et l'on meurt, c'est si simple!
Mais le vieux prêtre l'interrompit. Il lui montra Marie, qui les écoutait, étendue dans sa caisse:
– Vous renvoyez tous nos malades mourir chez eux, même mademoiselle, n'est-ce pas? qui est en pleine jeunesse et qui veut vivre.
Marie, ardemment, ouvrait ses grands yeux, dans son désir d'être, de prendre sa part du vaste monde; et le Commandeur, s'étant approché, la regardait, saisi brusquement d'une profonde émotion, qui fit trembler sa voix.
– Si mademoiselle guérit, je lui souhaite un autre miracle, celui d'être heureuse.
Et il s'en alla, continua sa promenade de philosophe courroucé, au milieu des malades, en traînant le pied et en tapant les dalles du fer de sa grosse canne.
Peu à peu, le trottoir se déblayait, on avait emporté madame Vêtu et la Grivotte; et ce fut Gérard qui emmena M. Sabathier dans une petite voiture; tandis que le baron Suire et Berthaud donnaient déjà des ordres, pour le train suivant, le train vert, qu'on attendait. Il n'y avait plus là que Marie, dont Pierre se chargeait jalousement. Mais il s'était attelé, il l'avait traînée dans la cour de la gare, lorsqu'ils remarquèrent que, depuis un instant, M. de Guersaint avait disparu. Tout de suite, d'ailleurs, ils l'aperçurent en grande conversation avec l'abbé Des Hermoises, dont il venait de faire la connaissance. Une égale admiration de la nature les avait rapprochés. Le jour achevait de paraître, les montagnes environnantes se montraient dans leur majesté. Et M. de Guersaint poussait des cris de ravissement.
– Quel pays, monsieur! Voici trente ans que je désire visiter le cirque de Gavarnie. Mais c'est encore loin, et si cher, que je ne pourrai sûrement faire cette excursion.
– Monsieur, vous vous trompez, rien n'est plus faisable. En se mettant à plusieurs, la dépense est modique.
Et, justement, je compte y retourner, cette année, de sorte que si vous voulez bien être des nôtres…
– Comment donc, monsieur!.. Nous en recauserons. Mille fois merci!
Sa fille l'appelait, il la rejoignit, après un cordial échange de saluts. Pierre avait décidé qu'il traînerait Marie jusqu'à l'Hôpital, pour lui éviter le transbordement dans une autre voiture. Les omnibus, les landaus, les tapissières revenaient déjà, obstruant de nouveau la cour, attendant le train vert; et il eut quelque peine à gagner la route, avec le petit chariot, dont les roues basses entraient dans la boue, jusqu'aux moyeux. Des agents de police, chargés du service d'ordre, pestaient contre cet affreux gâchis qui éclaboussait leurs bottes. Seules, les raccoleuses, les vieilles et les jeunes, brûlant de louer leurs chambres, se moquaient des flaques, les traversaient avec leurs sabots, à la poursuite des pèlerins.
Comme le chariot roulait plus librement sur la route en pente, Marie leva la tête pour demander à M. de Guersaint, qui marchait près d'elle:
– Père, quel jour sommes-nous aujourd'hui?
– Samedi, ma mignonne.
– C'est vrai, samedi, le jour de la sainte Vierge… Est-ce aujourd'hui qu'elle me guérira?
Et, derrière elle, furtivement, sur une civière couverte, deux porteurs descendaient le cadavre de l'homme, qu'ils étaient allés prendre au fond de la salle des messageries, dans l'ombre des tonneaux, pour le conduire en un lieu secret que le père Fourcade venait de désigner.
II
L'Hôpital de Notre-Dame des Douleurs, bâti par un chanoine charitable, et inachevé, faute d'argent, est un vaste bâtiment de quatre étages, beaucoup trop haut, où il est difficile de monter les malades. D'ordinaire, une centaine de vieillards infirmes et pauvres l'occupent. Mais, pendant le pèlerinage national, ces vieillards sont abrités ailleurs pour trois jours, et l'Hôpital est loué aux pères de l'Assomption, qui parfois y installent jusqu'à cinq et six cents malades. On a beau, d'ailleurs, les y entasser, les salles sont insuffisantes. On distribue les trois ou quatre centaines de malades qui restent, les hommes à l'Hôpital du Salut, les femmes à l'Hospice de la ville.
Ce matin-là, sous le soleil levant, la confusion était grande, dans la cour sablée, devant la porte que gardaient deux prêtres. Depuis la veille, le personnel de la Direction temporaire avait pris possession des bureaux, avec un luxe de registres, de cartes, de formules imprimées. On voulait faire beaucoup mieux que l'année précédente: les salles du bas devaient être réservées aux malades impotents; d'autre part, la distribution des cartes, portant le nom de la salle et le numéro du lit, serait contrôlée avec soin, car des erreurs d'identité s'étaient produites. Mais, devant le flot de grands malades que le train blanc venait d'amener, toutes les bonnes intentions s'effaraient, et les formalités nouvelles compliquaient tellement les choses, qu'il avait fallu prendre le parti de déposer les malheureux dans la cour, au fur et à mesure qu'ils arrivaient, en attendant de pouvoir les admettre avec un peu d'ordre. C'était le déballage de la gare qui recommençait, le pitoyable campement en plein air, tandis que les brancardiers et que les employés du secrétariat, de jeunes séminaristes, couraient de toutes parts, d'un air éperdu.
– On a voulu trop bien faire! criait désespérément le baron Suire.
Et le mot était juste, jamais on n'avait pris tant de précautions inutiles, on s'apercevait qu'on avait classé dans les salles du haut les malades les plus difficiles à remuer, par suite d'erreurs inexplicables. Il était impossible de refaire le classement, tout allait de nouveau s'organiser au petit bonheur; et la distribution des cartes commença, pendant qu'un jeune prêtre écrivait sur un registre les noms et les adresses, pour le contrôle. Chaque malade, d'ailleurs, devait produire sa carte d'hospitalité, de la couleur du train, portant son nom, son numéro d'ordre, et sur laquelle on inscrivait le nom de la salle et le numéro du lit. Cela éternisait le défilé des admissions.
Alors, de bas en haut du vaste bâtiment, au travers des quatre étages, ce fut un piétinement sans fin. M. Sabathier se trouva un des premiers installés, dans une salle du rez-de-chaussée, la salle dite des ménages, où les hommes malades étaient autorisés à garder leurs femmes près d'eux. On n'admettait du reste que des femmes, dans les autres salles, à tous les étages. Et, bien que le frère Isidore fût avec sa sœur, on consentit à les considérer comme un ménage, on le plaça près de M. Sabathier, dans le lit voisin. La chapelle se trouvait à côté, encore blanche de plâtre, les baies fermées par de simples planches. D'autres salles aussi restaient inachevées, garnies quand même de matelas, où les malades s'entassaient rapidement. Mais, déjà, la foule de celles qui pouvaient marcher, assiégeait le réfectoire, une longue СКАЧАТЬ