Lourdes. Emile Zola
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Название: Lourdes

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ rasée, aux yeux ternes et comme brouillés, dans de gros traits paisibles.

      Le père Fourcade avait interpellé le chef de gare, qui sortait de son bureau en courant.

      – Monsieur, est-ce que le train blanc a beaucoup de retard?

      – Non, mon révérend père, dix minutes au plus. Il sera ici à la demie… Mais ce qui m'inquiète, c'est le train de Bayonne, qui devrait être passé.

      Et il reprit sa course, pour donner un ordre; puis, il revint, maigre et nerveux, agité, dans ce coup de fièvre qui le tenait debout, durant des nuits et des jours, au moment des grands pèlerinages. Ce matin-là, il attendait, en dehors du service habituel, dix-huit trains, plus de quinze mille voyageurs. Le train gris et le train bleu, partis les premiers de Paris, étaient déjà arrivés, à l'heure réglementaire. Mais le retard du train blanc aggravait tout, d'autant plus que l'express de Bayonne, lui non plus, n'était pas signalé; et l'on comprenait la continuelle surveillance nécessaire, l'alerte de chaque seconde, où vivait le personnel.

      – Dans dix minutes, alors? répéta le père Fourcade.

      – Oui, dans dix minutes, à moins qu'on ne soit obligé de fermer la voie! jeta le chef de gare, qui courait au télégraphe.

      Lentement, le religieux et le médecin reprirent leur promenade. Leur étonnement était qu'il ne fût jamais arrivé d'accident sérieux, au milieu d'une telle bousculade. Autrefois surtout, régnait un incroyable désordre. Et le père se plut à rappeler le premier pèlerinage qu'il avait organisé et conduit, en 1875: le terrible, l'interminable voyage, sans oreillers, sans matelas, avec des malades à demi morts, qu'on ne savait comment ranimer; puis, l'arrivée à Lourdes, le déballage pêle-mêle, pas le moindre matériel préparé, ni bretelles, ni brancards, ni voitures. Aujourd'hui, existait une organisation puissante, des hôpitaux attendaient les malades, qu'on n'était plus réduit à coucher sous des hangars, dans de la paille. Quelle secousse pour ces misérables! Quelle force de volonté chez l'homme de foi qui les menait au miracle! Et le père souriait doucement à l'œuvre qu'il avait faite.

      Il questionnait maintenant le docteur, tout en s'appuyant à son épaule.

      – Combien avez-vous eu de pèlerins, l'année dernière?

      – Deux cent mille environ. Cette moyenne se maintient… L'année du couronnement de la Vierge, le nombre s'est élevé à cinq cent mille. Mais il fallait une occasion exceptionnelle, un effort de propagande considérable. Naturellement, de pareilles foules ne se retrouvent pas.

      Il y eut un silence, puis le père murmura:

      – Sans doute… L'œuvre est bénie, elle prospère de jour en jour, nous avons réuni près de deux cent cinquante mille francs d'aumônes pour ce voyage; et Dieu sera avec nous, vous aurez demain des guérisons nombreuses à constater, j'en suis convaincu.

      Puis, s'interrompant:

      – Est-ce que le père Dargelès n'est pas venu?

      Le docteur Bonamy eut un geste vague, pour dire qu'il l'ignorait. Ce père Dargelès était chargé de la rédaction du Journal de la Grotte. Il appartenait à l'ordre des pères de l'Immaculée-Conception, installés à Lourdes par l'évêché, et qui étaient les maîtres absolus. Mais, lorsque les pères de l'Assomption amenaient de Paris le pèlerinage national, auquel se joignaient les fidèles des villes de Cambrai, Arras, Chartres, Troyes, Reims, Sens, Orléans, Blois, Poitiers, ils mettaient une sorte d'affectation à disparaître complètement: on ne les voyait plus, ni à la Grotte, ni à la Basilique; ils semblaient livrer toutes les clefs, avec toutes les responsabilités. Leur supérieur, le père Capdebarthe, un grand corps noueux, taillé à coups de serpe, une sorte de paysan dont le visage fruste gardait le reflet roux et morne de la terre, ne se montrait même pas. Il n'y avait que le père Dargelès, petit et insinuant, qu'on rencontrait partout, en quête de notes pour le journal. Seulement, si les pères de l'Immaculée-Conception disparaissaient, on les sentait quand même derrière tout le vaste décor, ainsi que la force cachée et souveraine, qui battait monnaie, qui travaillait sans relâche à la prospérité triomphale de la maison. Ils utilisaient jusqu'à leur humilité.

      – Il est vrai, reprit le père Fourcade gaiement, qu'il a fallu se lever de bonne heure, à deux heures… Mais je voulais être là. Qu'auraient dit mes pauvres enfants?

      Il appelait ainsi les malades, la chair à miracles; et jamais il n'avait manqué de se trouver à la gare, quelle que fût l'heure, pour l'arrivée du train blanc, ce train lamentable, aux grandes souffrances.

      – Trois heures vingt-cinq, encore cinq minutes, dit le docteur Bonamy, qui étouffa un bâillement en regardant l'horloge, très maussade au fond, malgré son air obséquieux, d'avoir quitté son lit de si grand matin.

      Sur le quai, pareil à un promenoir couvert, la lente promenade continuait, au milieu de l'épaisse nuit, que les becs de gaz éclairaient de nappes jaunes. Des gens vagues, par petits groupes, des prêtres, des messieurs à redingote, un officier de dragons, allaient et venaient sans cesse, avec de discrets murmures de voix. D'autres, assis le long de la façade, sur des bancs, causaient aussi ou patientaient, les regards perdus en face, dans la campagne ténébreuse. Les bureaux et les salles d'attente, vivement éclairés, découpaient leurs portes claires; et, déjà, tout flambait dans la buvette, dont on apercevait les tables de marbre, le comptoir chargé de corbeilles de pain et de fruits, de bouteilles et de verres.

      Mais, surtout, à droite, au bout de la marquise, il y avait un grouillement confus de monde. C'était de ce côté, par une porte des messageries, qu'on sortait les malades. Tout un encombrement de brancards et de petites voitures, parmi des tas de coussins et de matelas, barrait le large trottoir. Et trois équipes de brancardiers étaient là, des hommes de toutes les classes, spécialement des jeunes gens du meilleur monde, portant sur leur vêtement la croix rouge lisérée d'orange et la bretelle de cuir jaune. Beaucoup avaient adopté le béret, la coiffure commode du pays. Quelques-uns, équipés comme pour une expédition lointaine, avaient de belles guêtres montant jusqu'aux genoux. Et les uns fumaient, tandis que les autres, installés dans leurs petites voitures, dormaient ou lisaient un journal, à la lueur des becs de gaz voisins. Il y en avait un groupe, à l'écart, qui discutaient une question de service.

      Brusquement, les brancardiers saluèrent. Un homme paterne arrivait, tout blanc, à la figure épaisse et bonne, aux gros yeux bleus d'enfant crédule. C'était le baron Suire, une des grandes fortunes de Toulouse, président de l'Hospitalité de Notre-Dame de Salut.

      – Où est Berthaud? demandait-il à chacun d'un air affairé, où est Berthaud? Il faut que je lui parle.

      Chacun répondait, donnait un renseignement contraire. Berthaud était le directeur des brancardiers. Les uns venaient de voir monsieur le directeur avec le révérend père Fourcade, d'autres affirmaient qu'il devait être dans la cour de la gare, à visiter les voitures d'ambulance.

      – Si monsieur le président désire que nous allions chercher monsieur le directeur…

      – Non, non, merci! je le trouverai bien moi-même.

      Et, pendant ce temps, Berthaud, qui venait de s'asseoir sur un banc, à l'autre extrémité de la gare, causait avec son jeune ami Gérard de Peyrelongue, en attendant l'arrivée du train. C'était un homme d'une quarantaine d'années, à belle figure large et régulière, qui avait gardé ses favoris soignés de magistrat. Appartenant à une famille légitimiste militante, et lui-même d'opinions très réactionnaires, il était procureur de la république dans une ville du Midi, depuis le 24 mai, lorsque, au lendemain des décrets contre les congrégations, il s'était démis, bruyamment, par СКАЧАТЬ